Cour de justice de l’Union européenne, le 19 décembre 2012, n°C-325/11

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’articulation entre le droit de l’Union relatif à la signification des actes et les règles de procédure nationales. En l’espèce, des demandeurs résidant dans un État membre avaient saisi une juridiction d’un autre État membre d’une action en paiement. La juridiction saisie leur avait enjoint de désigner un représentant domicilié sur le territoire national pour la réception des actes de procédure. Faute d’une telle désignation dans le délai imparti, les actes suivants, notamment la convocation à l’audience, furent versés au dossier du tribunal et réputés avoir été signifiés, conformément au droit procédural national. N’ayant pas eu connaissance de l’audience, les demandeurs n’y comparurent pas et furent déboutés de leur demande par un jugement qui acquit force de chose jugée.

Les demandeurs formèrent une demande de réouverture de la procédure, arguant qu’ils avaient été privés de leur droit d’agir en justice. Ils soutenaient que la juridiction nationale aurait dû leur signifier les actes à leur adresse à l’étranger, en application du règlement (CE) n° 1393/2007. Saisie en première instance, la juridiction rejeta leur demande, mais sa décision fut annulée en appel, la juridiction supérieure jugeant la fiction de signification contraire au règlement européen. De retour devant la juridiction de première instance, celle-ci manifesta son désaccord avec l’analyse de la juridiction d’appel, estimant que le règlement ne s’appliquait pas et que la règle nationale était justifiée. Cette divergence conduisit la juridiction de renvoi à interroger la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle législation nationale, instaurant une fiction de signification, avec l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 1393/2007 et l’article 18 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Plus précisément, il était demandé si le droit de l’Union s’opposait à ce que des actes judiciaires « destinés à une partie dont la résidence ou le lieu de séjour habituel se situe dans un autre État membre peuvent être conservés au dossier, en étant réputés signifiés, lorsque ladite partie n’a pas désigné un représentant autorisé à recevoir les significations qui réside dans l’État membre dans lequel se déroule la procédure juridictionnelle ». La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant que le règlement européen prévaut sur une telle fiction procédurale.

La décision de la Cour clarifie le monopole du règlement européen en matière de signification transfrontalière (I), tout en réaffirmant la primauté des droits de la défense sur les impératifs de célérité procédurale (II).

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I. L’application exclusive du règlement sur la signification des actes au détriment des fictions procédurales nationales

La Cour de justice opère une interprétation large du champ d’application du règlement (A), ce qui la conduit à écarter logiquement toute compétence du législateur national pour y déroger par des mécanismes alternatifs (B).

A. Une interprétation extensive du champ d’application du règlement

Le règlement n° 1393/2007 précise à son article 1er, paragraphe 1, qu’il est applicable « lorsqu’un acte judiciaire […] doit être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié ». Le débat portait sur les circonstances dans lesquelles un acte « doit » être ainsi transmis. Pour le gouvernement mis en cause, cette nécessité ne s’imposait que si le droit national le prévoyait expressément. Une telle lecture aurait permis à une législation nationale, comme celle en l’espèce, de contourner le règlement en imposant une obligation préalable, celle de désigner un représentant local, dont le non-respect déclenchait un mode de notification purement interne.

La Cour rejette cette approche restrictive. Par une interprétation systématique, elle déduit que le règlement a vocation à s’appliquer dans toutes les hypothèses où le destinataire de l’acte réside dans un autre État membre. Elle s’appuie sur les seules exceptions prévues par le texte lui-même pour définir son champ d’application. Le règlement ne s’applique pas « lorsque l’adresse du destinataire de l’acte n’est pas connue » ou lorsqu’un « représentant mandaté d’une partie » a été désigné dans l’État du for. A contrario, en dehors de ces deux cas, la transmission transfrontalière est obligatoire. La Cour estime donc que « dès que le destinataire d’un acte judiciaire réside à l’étranger, la signification ou la notification de cet acte relèvent nécessairement du champ d’application du règlement n° 1393/2007 ».

B. Le rejet de la compétence du législateur national pour déroger au mécanisme européen

En affirmant que la nécessité de la transmission transfrontalière découle du règlement lui-même et non des droits nationaux, la Cour garantit l’effet utile et l’application uniforme du droit de l’Union. Elle rappelle qu’admettre le contraire reviendrait à « empêcher toute application uniforme du règlement n° 1393/2007, dès lors qu’il n’est pas exclu que les États membres prévoient à cet égard des solutions divergentes ». La législation nationale, qui subordonnait la signification à l’étranger à l’absence de désignation d’un représentant local, créait en réalité une voie de contournement du droit de l’Union.

La Cour établit ensuite que le système de transmission prévu par le règlement est exhaustif. Celui-ci organise la transmission via des entités désignées ou par d’autres voies comme la voie diplomatique, les services postaux ou le recours à des officiers ministériels. Ce catalogue de modes de transmission ne laisse aucune place à un mécanisme national qui substituerait à la signification effective une simple fiction juridique. La Cour conclut donc que le règlement « s’oppose donc à une procédure de signification ou de notification fictive telle que celle en vigueur » dans l’État membre concerné. Le mécanisme national est ainsi jugé incompatible non seulement parce qu’il restreint le champ d’application du règlement, mais aussi parce qu’il introduit un mode de signification que celui-ci ignore et contredit.

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II. La consécration des droits de la défense comme finalité impérative du règlement

La Cour ne se limite pas à une analyse formelle du champ d’application, mais ancre sa solution dans les objectifs du règlement, en particulier la protection des justiciables (A), ce qui la mène à affirmer la nécessité d’une réception effective de l’acte pour garantir un procès équitable (B).

A. La conciliation de l’efficacité procédurale et du droit à un procès équitable

Le règlement n° 1393/2007 poursuit un double objectif : « améliorer et d’accélérer la transmission entre les États membres des actes judiciaires » pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, mais aussi garantir les droits de la défense. La juridiction de renvoi et le gouvernement mis en cause justifiaient la règle de la signification fictive par la nécessité d’assurer le bon déroulement de la procédure et d’éviter les coûts et difficultés des significations à l’étranger. Cet argument met en avant l’objectif d’efficacité.

Cependant, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle cet objectif de célérité « ne saurai[t] être atteint en affaiblissant, de quelque manière que ce soit, les droits de la défense ». Ces droits, qui découlent du droit à un procès équitable, constituent une finalité essentielle du règlement. En exigeant la désignation d’un représentant sous peine de priver une partie de toute information sur la procédure, le système national rompait totalement cet équilibre. Il sacrifiait les droits fondamentaux du justiciable sur l’autel d’une efficacité procédurale purement formelle, ce que la Cour ne pouvait admettre.

B. La garantie de la réception effective de l’acte comme condition du procès équitable

La Cour souligne que plusieurs dispositions du règlement visent à assurer une protection concrète et effective des droits du destinataire. Elle cite notamment l’obligation d’utiliser des formulaires types, la nécessité de traduire les documents dans une langue que le destinataire comprend, le recours à la lettre recommandée avec accusé de réception pour les notifications postales ou encore l’obligation pour le juge de surseoir à statuer tant qu’il n’est pas établi que le défendeur a pu recevoir l’acte en temps utile pour se défendre. Toutes ces garanties matérielles tendent vers un même but : la réception réelle de l’acte.

Un mécanisme de signification fictive, tel que celui en cause, est l’antithèse de cette logique. Il « prive de tout effet utile le droit du destinataire d’un acte judiciaire […] de bénéficier d’une réception réelle et effective de cet acte ». En effet, la connaissance de l’acte et sa compréhension ne sont plus du tout assurées. Une telle procédure porte une atteinte substantielle au principe du contradictoire et au droit à un procès équitable. La portée de cet arrêt est donc considérable : il invalide toute législation nationale qui, pour des litiges transfrontaliers au sein de l’Union, instaurerait une fiction de notification ayant pour effet de priver un justiciable de la possibilité réelle et effective de prendre connaissance des actes d’une procédure le concernant.

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Hassan KOHEN
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