Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’application du régime de protection des réfugiés aux personnes relevant du mandat de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. En l’espèce, plusieurs personnes ayant bénéficié de l’assistance de cet organisme avaient quitté sa zone d’opération avant de déposer une demande d’asile dans un État membre de l’Union européenne. Saisie de plusieurs questions préjudicielles par une juridiction nationale, la Cour était invitée à interpréter les dispositions de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/83/CE. La juridiction de renvoi cherchait à déterminer, d’une part, les circonstances dans lesquelles l’assistance offerte par l’organisme onusien doit être considérée comme ayant « cessé pour quelque raison que ce soit ». D’autre part, elle interrogeait la Cour sur la portée du droit pour les personnes concernées de pouvoir « ipso facto se prévaloir de [cette] directive ». Se posait donc la question de savoir si la cessation de l’assistance d’une agence des Nations Unies, pour un motif indépendant de la volonté du demandeur, entraînait un accès automatique au statut de réfugié. La Cour de justice juge que la cessation de l’assistance vise bien la situation d’une personne contrainte de quitter la zone d’opération pour des raisons échappant à son contrôle. Elle ajoute que cette cessation implique la reconnaissance de la qualité de réfugié et l’octroi de plein droit du statut afférent, sous réserve des autres clauses d’exclusion prévues par la directive.
La solution retenue par la Cour de justice clarifie de manière substantielle le régime de protection applicable aux réfugiés palestiniens en définissant les conditions de cessation de l’assistance de l’organisme onusien (I), avant de consacrer l’automaticité de l’accès au statut de réfugié qui en découle (II).
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**I. La définition des conditions de cessation de l’assistance**
La Cour de justice apporte une précision essentielle sur la notion de cessation de l’assistance en rejetant une interprétation purement factuelle (A) pour lui substituer un critère fondé sur une contrainte avérée et une insécurité personnelle (B).
**A. Le rejet d’une cessation résultant d’un simple départ volontaire**
L’arrêt écarte l’idée selon laquelle le seul départ de la zone d’opération de l’organisme suffirait à caractériser une cessation de l’assistance. La Cour souligne que l’article 1er, section D, de la convention de Genève, auquel la directive renvoie, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Admettre qu’un départ volontaire mette fin à l’exclusion du statut de réfugié priverait cette clause de son effet utile. En effet, tout demandeur d’asile se trouvant physiquement sur le territoire d’un État membre serait, par définition, en dehors de la zone d’opération de l’organisme. Une telle approche « aurait pour conséquence de priver de tout effet utile une telle cause d’exclusion ». La Cour affirme donc que la clause d’exclusion de l’article 12, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la directive s’applique non seulement aux personnes bénéficiant actuellement de l’assistance, mais aussi à celles qui y ont eu recours peu de temps avant leur demande d’asile.
Cette position s’inscrit dans une logique de continuité de la protection, visant à éviter que des personnes ne choisissent stratégiquement de quitter la zone d’assistance pour obtenir le statut de réfugié dans l’Union européenne. Le raisonnement de la Cour préserve ainsi la spécificité du régime applicable aux réfugiés palestiniens, tout en prévenant les abus potentiels. La Cour établit ainsi que le départ ne suffit pas en lui-même, et qu’il convient d’analyser les raisons qui le motivent pour déterminer si l’assistance a véritablement cessé.
**B. La consécration d’un critère fondé sur la contrainte et l’insécurité**
La Cour interprète les termes « pour quelque raison que ce soit » de manière extensive pour y inclure des circonstances individuelles. Elle juge que l’assistance cesse non seulement lorsque l’organisme est supprimé ou incapable de remplir sa mission de manière générale, mais aussi lorsque des contraintes indépendantes de la volonté de la personne la forcent à partir. La cessation est donc avérée lorsque le départ est motivé par des motifs échappant au contrôle de l’individu. La Cour précise qu’un réfugié palestinien « doit être considéré comme contraint de quitter la zone d’opération de l’UNRWA lorsqu’il se trouve dans un état personnel d’insécurité grave et que cet organisme est dans l’impossibilité de lui assurer, dans cette zone, des conditions de vie conformes à la mission dont ce dernier est chargé ».
Il appartient ainsi aux autorités nationales de procéder à une évaluation individuelle de chaque demande. Elles doivent vérifier si la personne a été contrainte de quitter la zone en raison de cette insécurité grave. Ce faisant, la Cour déplace l’analyse d’une situation générale vers une appréciation personnalisée des risques encourus, conférant une portée protectrice significative à la directive. Cette approche garantit que la protection internationale est accordée à ceux qui en ont un besoin réel car ils ne peuvent plus bénéficier de l’assistance qui leur était destinée.
**II. L’automaticité de l’accès au statut de réfugié**
Une fois la cessation de l’assistance établie, la Cour se prononce sur ses effets juridiques en affirmant le caractère automatique de l’octroi du statut de réfugié (A), tout en définissant les contours d’une voie d’accès spécifique à ce statut (B).
**A. L’interprétation de la clause « ipso facto »**
La Cour confère une portée forte à l’expression « pourront ipso facto se prévaloir de [cette] directive ». Elle estime que ce droit ne peut se limiter à la simple possibilité de solliciter le statut de réfugié, car cette faculté est déjà ouverte à tout ressortissant de pays tiers. Une telle interprétation restrictive rendrait la précision « ipso facto » superflue. La Cour s’appuie sur le libellé de la convention de Genève qui dispose que les personnes concernées « bénéficieront de plein droit du régime de cette convention ». Le droit conféré par la directive doit donc être plus substantiel.
La Cour en déduit que, lorsque les conditions de la cessation de l’assistance sont remplies, la personne concernée a droit à la reconnaissance de la qualité de réfugié. Le terme « ipso facto » implique une conséquence juridique directe et non une simple ouverture de procédure. Cette interprétation maximalise l’effet utile de la disposition et assure une protection effective aux personnes qui ne bénéficient plus de l’assistance spécifique qui leur était accordée.
**B. La définition d’une voie d’accès autonome au statut**
L’arrêt précise que cet accès de plein droit au statut de réfugié ne dispense pas d’une procédure formelle. Le demandeur doit présenter une demande qui sera examinée par les autorités nationales. Cependant, cet examen est allégé : la personne n’a pas à démontrer qu’elle craint d’être persécutée au sens de l’article 2, sous c), de la directive. L’examen des autorités doit seulement vérifier que le demandeur relevait bien de l’assistance de l’organisme, que celle-ci a cessé dans les conditions définies, et que le demandeur ne tombe pas sous le coup d’autres clauses d’exclusion, notamment celles liées à la commission de crimes graves. Le fait de pouvoir « ipso facto se prévaloir de [cette] directive » implique donc « la reconnaissance, par cet État membre, de la qualité de réfugié au sens de l’article 2, sous c), de ladite directive et l’octroi de plein droit du statut de réfugié ».
La Cour établit ainsi une voie d’accès autonome et dérogatoire au statut de réfugié pour une catégorie spécifique de demandeurs. Elle justifie cette différence de traitement en rappelant que les réfugiés palestiniens se trouvent dans une situation juridique distincte, reconnue par les États signataires de la convention de Genève. Cet arrêt consacre donc un régime de protection renforcé, fidèle à l’esprit de la convention de Genève et de la directive, garantissant une continuité de protection pour les personnes ne bénéficiant plus de l’assistance qui leur était initialement destinée.