Cour de justice de l’Union européenne, le 19 décembre 2012, n°C-534/10

Par un arrêt du 12 juillet 2012, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’étendue des pouvoirs de l’Office communautaire des variétés végétales dans le cadre de la procédure d’examen d’une demande de protection. En l’espèce, une société avait déposé en 1999 une demande de protection pour une nouvelle variété de pomme. L’Office lui avait alors demandé de présenter le matériel végétal nécessaire à l’examen technique, ce que la société fit dans le délai imparti. Constatant ultérieurement l’absence d’un certificat phytosanitaire, l’Office en réclama la production « dès que possible ». Après plusieurs échanges, il s’est avéré que le matériel initialement fourni n’était pas exempt de virus, une condition qui n’avait pas été explicitement formulée dans la demande initiale de l’Office. En 2001, ce dernier a donc autorisé la société à soumettre un nouveau matériel, sain cette fois, considérant que ses propres instructions initiales manquaient de clarté.

La procédure a suivi son cours jusqu’à ce que des tiers, titulaires de droits sur une variété similaire, forment des objections en 2006, arguant notamment que la demande initiale aurait dû être rejetée en 2001. Un comité de l’Office a d’abord accordé la protection, mais sa décision fut annulée par la chambre de recours de l’Office. Celle-ci a estimé que l’Office n’avait pas la faculté d’autoriser la présentation d’un nouveau matériel, car la demande initiale n’avait pas été respectée. Saisi d’un recours par la société demanderesse, le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de la chambre de recours. Il a jugé que l’Office disposait d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de remédier à l’imprécision de ses propres demandes. C’est contre cet arrêt du Tribunal que les tiers se sont pourvus devant la Cour de justice.

La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si l’Office communautaire des variétés végétales, face à la soumission d’un matériel non conforme à une exigence non explicitement formulée, dispose d’un pouvoir d’appréciation l’autorisant à demander la présentation d’un nouveau matériel ou s’il est tenu de rejeter la demande.

La Cour de justice a rejeté le pourvoi, validant ainsi le raisonnement du Tribunal. Elle a affirmé que l’Office jouit d’une marge d’appréciation notable, justifiée par la complexité technique de ses missions et par le principe de bonne administration. Cette marge lui permet de clarifier une demande imprécise et de solliciter la soumission d’un matériel corrigé sans être contraint de rejeter la demande de protection. L’analyse de la Cour consacre ainsi un pouvoir d’appréciation fonctionnel au service de l’efficacité procédurale, tout en le distinguant nettement des cas de défaillance caractérisée du demandeur.

La solution retenue par la Cour renforce la souplesse procédurale de l’Office en la fondant sur des justifications solides, marquant ainsi la primauté de l’efficacité administrative sur un formalisme rigide (I). Par cette décision, la Cour délimite également le périmètre de ce pouvoir, en le distinguant clairement d’autres mécanismes juridiques et en recentrant le débat sur la seule compétence de l’Office (II).

I. La consécration d’un pouvoir d’appréciation fonctionnel de l’Office

La Cour de justice justifie l’étendue du pouvoir de l’Office en s’appuyant sur deux fondements complémentaires. D’une part, elle reconnaît qu’une nécessaire flexibilité découle de la nature même des tâches de l’Office (A). D’autre part, elle ancre cette flexibilité dans le principe général de bonne administration qui doit guider l’action des organes de l’Union (B).

A. Une flexibilité procédurale fondée sur la complexité technique

La Cour souligne d’emblée la spécificité des fonctions exercées par l’Office. Le contrôle des conditions d’octroi d’une protection pour une obtention végétale implique des évaluations techniques et scientifiques d’une grande complexité. Cette particularité justifie qu’une certaine latitude soit laissée à l’organe en charge de cet examen. La Cour affirme ainsi que « la tâche de l’OCVV est caractérisée par une complexité scientifique et technique des conditions d’examen des demandes de protection communautaire, de sorte qu’il y a lieu de lui reconnaître une marge d’appréciation dans l’exercice de ses fonctions ».

Cette marge d’appréciation n’est pas un blanc-seing mais un outil nécessaire à l’accomplissement de sa mission. Elle permet à l’Office d’adapter sa procédure aux particularités de chaque dossier, notamment lorsque des imprécisions apparaissent. En l’espèce, l’absence d’une mention explicite exigeant un matériel exempt de virus a été considérée par l’Office lui-même comme une lacune de sa propre demande initiale. Le pouvoir de demander un nouveau matériel apparaît alors comme le corollaire de cette complexité, permettant de s’assurer que l’examen technique se déroulera sur une base saine et pertinente, conformément à l’objectif même de la procédure.

B. Le principe de bonne administration comme justification de la régularisation

Au-delà de la spécificité technique, la Cour ancre sa décision dans un principe fondamental du droit de l’Union. Elle rappelle que « l’OCVV en tant qu’organe de l’Union est soumis au principe de bonne administration en vertu duquel il lui appartient d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents d’une affaire ». Ce principe implique une obligation pour l’administration d’agir de manière cohérente et efficace, non seulement dans son propre intérêt mais aussi dans celui des administrés.

Dans cette perspective, rejeter une demande de protection en raison d’une imprécision imputable à l’Office lui-même serait contraire à une bonne administration. La Cour valide le raisonnement du Tribunal qui a considéré que la demande de l’Office de fournir un nouveau matériel visait à « remédier à cette imprécision ». Plutôt que de sanctionner le demandeur, l’Office a choisi de corriger sa propre démarche, garantissant ainsi le bon déroulement et l’efficacité de la procédure. Cette régularisation n’est donc pas une faveur accordée au demandeur, mais une manifestation de la diligence attendue de l’administration dans la conduite de ses missions.

II. La portée et les limites du pouvoir d’appréciation reconnu

En confirmant la marge d’appréciation de l’Office, la Cour prend soin d’en dessiner les contours. Elle opère une distinction claire entre la correction d’une imprécision administrative et une véritable défaillance du demandeur (A). De plus, elle circonscrit le débat juridique en écartant les questions relatives au comportement du demandeur, jugées inopérantes pour apprécier la légalité de l’action de l’Office (B).

A. La distinction entre la régularisation d’une imprécision et la sanction d’une défaillance

La Cour veille à ne pas créer une brèche qui permettrait aux demandeurs de contourner systématiquement les délais. Elle précise que la situation d’espèce doit être nettement différenciée du cas où un demandeur ne respecte pas une demande claire et précise dans le délai fixé. Dans une telle hypothèse, l’article 61, paragraphe 1, sous b), du règlement, qui impose le rejet de la demande, trouverait à s’appliquer.

Or, en l’occurrence, la Cour relève que « l’OCVV a considéré que le [demandeur] ne pouvait se conformer à la demande individuelle initiale du fait de son imprécision ». Par conséquent, l’Office ne pouvait pas légalement rejeter la demande sur le fondement de cet article sans commettre lui-même une erreur de droit. De même, la Cour écarte l’application de l’article 80 du règlement relatif à la restitution des droits, car cette disposition vise les cas où le demandeur a été empêché de respecter un délai. Ici, la question n’est pas celle d’une défaillance du demandeur mais celle de l’exercice par l’Office de sa prérogative de clarification.

B. L’indifférence à la bonne ou mauvaise foi du demandeur

Les requérantes au pourvoi alléguaient la mauvaise foi du demandeur initial, qui aurait dissimulé le statut sanitaire du matériel végétal. La Cour écarte cet argument en le jugeant sans pertinence pour la résolution du litige. La seule question posée était de déterminer si l’Office disposait de la compétence pour rectifier sa propre demande.

Comme l’a jugé le Tribunal, « le comportement du [demandeur] était étranger à la question de savoir si l’OCVV disposait de la faculté de remédier à l’imprécision de ses demandes individuelles ». En validant cette approche, la Cour opère une dissociation rigoureuse entre, d’une part, l’étendue du pouvoir procédural de l’administration et, d’autre part, l’appréciation du comportement substantiel d’un administré. Le pouvoir de régularisation de l’Office est une question de compétence objective, indépendante de l’attitude subjective du demandeur. Cette clarification renforce la sécurité juridique en focalisant le contrôle juridictionnel sur la légalité des actes de l’Office plutôt que sur les intentions des parties.

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Hassan KOHEN
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