Cour de justice de l’Union européenne, le 19 décembre 2012, n°C-534/10

L’arrêt soumis à commentaire, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, tranche une question relative à l’étendue des pouvoirs d’un office de l’Union dans le cadre d’une procédure d’octroi de protection pour une obtention végétale. En l’espèce, une société avait déposé une demande de protection pour une nouvelle variété de pomme. L’office compétent avait initialement demandé la soumission du matériel végétal nécessaire à l’examen technique, ce que le demandeur avait fait dans les délais. Par la suite, l’office a constaté que le matériel n’était pas accompagné d’un certificat phytosanitaire et a demandé sa production, avant de réaliser plusieurs mois plus tard que le matériel fourni n’était pas exempt de virus, une condition qui n’avait pas été explicitement formulée dans ses instructions initiales.

La procédure a suivi un cours complexe. Face à cette situation, l’office a autorisé le demandeur à présenter un nouveau matériel végétal, sain cette fois, en justifiant cette décision par l’imprécision de ses propres instructions initiales. Des titulaires d’un droit antérieur sur une autre variété ont formé une objection, arguant que la demande aurait dû être rejetée. Le comité compétent de l’office a d’abord accordé la protection, mais la chambre de recours de ce même office a ensuite annulé cette décision, estimant que l’office n’avait pas le pouvoir d’autoriser la présentation d’un nouveau matériel. Saisi par la société demanderesse, le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de la chambre de recours, jugeant que l’office disposait bien d’un pouvoir d’appréciation pour corriger ses propres imprécisions. C’est contre cet arrêt du Tribunal que les titulaires du droit antérieur ont formé un pourvoi devant la Cour de justice.

La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si un office de l’Union, constatant l’imprécision de sa propre demande initiale concernant les qualités sanitaires du matériel végétal soumis à examen, peut, en vertu de son pouvoir d’appréciation et du principe de bonne administration, autoriser un demandeur à présenter un nouveau matériel conforme, ou s’il est au contraire tenu de rejeter la demande pour non-respect des exigences initiales.

À cette question, la Cour de justice répond en rejetant le pourvoi. Elle confirme l’analyse du Tribunal et valide la décision de l’office d’autoriser la soumission d’un nouveau matériel. La Cour considère que le large pouvoir d’appréciation reconnu à l’office, justifié par la complexité technique de sa mission et encadré par le principe de bonne administration, lui permet de rectifier les conséquences d’une imprécision dans ses propres demandes sans être contraint de rejeter la demande de protection. La solution retenue par la Cour repose ainsi sur la reconnaissance d’un large pouvoir d’appréciation au profit de l’office (I), tout en précisant les conséquences et les limites de cette prérogative (II).

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**I. La consécration d’un pouvoir d’appréciation fondé sur la bonne administration**

La Cour de justice confirme la position du Tribunal en reconnaissant à l’office un pouvoir d’appréciation étendu, justifié par la nature de ses missions (A), et guidé par le principe supérieur de bonne administration (B).

**A. L’affirmation d’une large marge d’appréciation technique**

L’arrêt réaffirme avec force que l’office spécialisé dans les obtentions végétales dispose d’une latitude décisionnelle significative. La Cour rappelle que « la tâche de l’OCVV est caractérisée par une complexité scientifique et technique des conditions d’examen des demandes de protection communautaire, de sorte qu’il y a lieu de lui reconnaître une marge d’appréciation dans l’exercice de ses fonctions ». Cette reconnaissance n’est pas nouvelle et s’inscrit dans une jurisprudence constante qui tient compte de la spécificité des agences de l’Union dont l’activité repose sur des évaluations techniques poussées. En l’espèce, la qualité phytosanitaire du matériel végétal est une condition essentielle de l’examen, et sa vérification relève de cette compétence technique.

En jugeant que l’office pouvait émettre des demandes successives et préciser ses exigences en cours de procédure, la Cour valide une approche pragmatique. Elle admet que la lettre du 25 mars 1999, réclamant un certificat phytosanitaire, constituait bien une demande individuelle relative à la qualité du matériel, distincte de la première demande de soumission. Cette interprétation souple de l’article 55, paragraphe 4, du règlement n° 2100/94 permet à l’office d’ajuster ses requêtes au fur et à mesure des constats techniques, sans être prisonnier d’un formalisme rigide qui paralyserait la procédure au moindre écueil. La marge d’appréciation est donc l’outil qui garantit l’effectivité de l’examen technique.

Cette marge d’appréciation n’est cependant pas sans fondement ; elle s’ancre dans un principe directeur de l’action administrative.

**B. La primauté du principe de bonne administration**

Au-delà de la technicité, la Cour fonde sa décision sur le principe de bonne administration, qui impose à l’office des devoirs précis. Elle souligne qu’il « lui appartient d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents d’une affaire et de réunir tous les éléments de fait et de droit nécessaires à l’exercice de son pouvoir d’appréciation ». Ce principe implique également une obligation de clarté dans les demandes adressées aux administrés. C’est précisément parce que l’office a lui-même reconnu que ses instructions initiales manquaient de précision quant à l’exigence d’un matériel exempt de virus qu’il était fondé à en corriger les effets.

Refuser au demandeur la possibilité de soumettre un nouveau matériel aurait abouti à une solution inéquitable et inefficace, le sanctionnant pour une lacune imputable à l’administration elle-même. La Cour valide donc le raisonnement du Tribunal qui estimait qu’une telle situation justifiait que l’office puisse « poursuivre l’examen de la demande, sans être tenu de rejeter cette dernière ». Le principe de bonne administration sert ici de rempart contre un formalisme excessif et garantit que la procédure atteigne son but : évaluer valablement une obtention végétale. Loin d’être un blanc-seing, le pouvoir d’appréciation est ici un instrument au service d’une gestion saine et équitable des dossiers.

En validant la démarche de l’office, la Cour en précise également les implications procédurales et le périmètre d’application.

**II. La portée et les limites du pouvoir de régularisation reconnu à l’office**

La décision de la Cour clarifie les modalités de la procédure de soumission du matériel (A) tout en la distinguant nettement d’autres mécanismes de correction prévus par le règlement (B).

**A. La clarification de la procédure de soumission du matériel**

L’un des apports de l’arrêt est de préciser les conséquences procédurales de l’imprécision d’une demande administrative. En l’espèce, les requérantes soutenaient que le non-respect de la première demande aurait dû entraîner le rejet automatique de la protection en vertu de l’article 61, paragraphe 1, sous b), du règlement. La Cour écarte cet argument en suivant une logique imparable : cette disposition ne s’applique que si le demandeur « ne s’est pas conformé à une demande individuelle dans le délai fixé ». Or, comme l’a constaté le Tribunal, l’imprécision de la demande initiale faisait obstacle à ce que le demandeur puisse s’y conformer pleinement.

Par conséquent, l’office non seulement pouvait, mais devait, clarifier sa demande. Le courrier électronique du 13 juin 2001, autorisant la soumission d’un nouveau matériel, n’est pas une simple tolérance mais une nouvelle demande individuelle, remplaçant la précédente devenue inapplicable. Cette solution a une portée pratique considérable : elle signifie qu’une demande administrative imprécise neutralise l’effet couperet des délais qui y sont associés. L’administration ne peut se prévaloir de ses propres manquements pour sanctionner un administré. La Cour confirme ainsi que la procédure d’examen n’est pas une course d’obstacles formaliste, mais un dialogue encadré entre l’office et le demandeur.

Si la Cour admet une certaine souplesse procédurale, elle veille toutefois à en délimiter le champ pour éviter toute confusion avec d’autres mécanismes juridiques.

**B. L’exclusion des procédures étrangères à la rectification administrative**

L’arrêt prend soin de distinguer la situation d’espèce d’autres hypothèses juridiques. Premièrement, il écarte l’application de l’article 80 du règlement, qui prévoit la *restitutio in integrum*. Cette disposition vise le cas où un demandeur, malgré toute sa diligence, n’a pu respecter un délai. Or, la présente affaire ne concerne pas une défaillance du demandeur, mais une rectification initiée par l’office en raison de sa propre imprécision. La solution ne relève donc pas d’une mesure de clémence envers le demandeur, mais d’une obligation de cohérence pour l’administration.

Deuxièmement, la Cour valide l’appréciation du Tribunal jugeant inopérant l’argument tiré de la prétendue mauvaise foi du demandeur. En effet, la question centrale n’était pas de savoir si le demandeur avait cherché à dissimuler l’état de son matériel, mais de déterminer si l’office avait le pouvoir de remédier à l’ambiguïté de ses propres instructions. En se concentrant sur le comportement objectif de l’administration, la Cour dépersonnalise le débat et le cantonne au strict terrain du droit administratif. Cette approche renforce la sécurité juridique en fondant la solution sur des critères objectifs liés à la clarté de la norme édictée par l’administration, plutôt que sur des appréciations subjectives du comportement des parties.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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