Par un arrêt du 19 décembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de la notion de ressources d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. En l’espèce, une législation nationale imposait à certaines entreprises électriques une obligation d’acheter l’électricité d’origine éolienne à un prix supérieur à celui du marché. Les surcoûts engendrés par cette obligation étaient intégralement compensés par un mécanisme financé par des contributions dues par l’ensemble des consommateurs finals d’électricité sur le territoire national. Une association et plusieurs personnes physiques ont formé un recours en annulation devant le Conseil d’État contre les arrêtés ministériels fixant les conditions de cet achat, soutenant que ce dispositif constituait une aide d’État illégale. La haute juridiction administrative française, constatant une modification du mode de financement de ce mécanisme, a décidé de surseoir à statuer. Elle a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle visant à déterminer si ce nouveau mécanisme de financement devait être qualifié d’intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. La Cour de justice de l’Union européenne a répondu par l’affirmative, considérant que les fonds en cause, bien que ne provenant pas directement du budget de l’État, demeuraient sous contrôle public et constituaient de ce fait des ressources d’État.
Il convient d’analyser en premier lieu les critères retenus par la Cour pour qualifier les fonds de ressources d’État, fondés sur l’existence d’un contrôle public continu (I), avant d’examiner la portée de cette solution qui étend le champ du contrôle des aides d’État à des mécanismes de soutien jusqu’alors considérés comme relevant d’initiatives privées (II).
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I. L’identification des ressources d’État par le prisme du contrôle public
La Cour établit que le financement du mécanisme de soutien à l’énergie éolienne, bien que n’émanant pas directement du budget national, relève de ressources d’État en raison de son origine légale et obligatoire (A) ainsi que de sa gestion par une entité publique agissant pour le compte de l’État (B).
A. La nature étatique des fonds issus de contributions obligatoires
Le mécanisme de compensation repose sur des contributions prélevées auprès de tous les consommateurs finals d’électricité, dont le montant est fixé par l’autorité ministérielle sur proposition d’un régulateur indépendant. Cette origine non volontaire des fonds est un premier indice de leur caractère étatique. La Cour rappelle en effet que « des fonds alimentés par des contributions obligatoires imposées par la législation de l’État membre, gérés et répartis conformément à cette législation peuvent être considérés comme des ressources d’État ». Le caractère contraignant du prélèvement, assorti de sanctions administratives en cas de défaut de paiement, ancre fermement les sommes collectées dans la sphère d’influence de la puissance publique.
Contrairement à une simple relation commerciale entre acteurs privés, l’intervention de la loi pour créer une charge financière pesant sur une catégorie définie d’opérateurs économiques confère aux fonds une nature publique. Ces derniers ne résultent pas d’une libre négociation mais d’une obligation légale, ce qui suffit à les rattacher à une décision imputable à l’État. Ainsi, la source de l’avantage accordé aux producteurs d’électricité éolienne trouve son origine non pas dans la générosité d’une entreprise, mais dans un prélèvement imposé par la collectivité, par l’intermédiaire de ses institutions.
B. La gestion des fonds par un organisme public, critère déterminant du contrôle
Au-delà de l’origine légale des contributions, la Cour accorde une importance décisive à la gestion des sommes collectées. Celles-ci sont centralisées par la Caisse des dépôts et consignations, une personne morale de droit public, qui les inscrit sur un compte spécifique avant de les répartir au profit des opérateurs électriques. La Cour souligne que cette entité, mandatée par l’État pour assurer la gestion administrative et financière du dispositif, agit comme un intermédiaire sous contrôle public. Le fait que les fonds « restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu’elles soient qualifiées de ressources d’État ».
Ce contrôle est renforcé par le fait que l’État garantit une « couverture intégrale des surcoûts », ce qui implique qu’il serait tenu d’intervenir en cas d’insuffisance des contributions collectées. De plus, les produits financiers générés par le placement éventuel des fonds par l’organisme gestionnaire sont déduits des contributions futures, démontrant que ces sommes ne quittent jamais la sphère du contrôle étatique. Par conséquent, la centralisation et la redistribution par une entité publique désignée par la loi constituent la preuve d’un contrôle public permanent, transformant des contributions privées en ressources d’État mobilisées pour une politique publique.
II. La portée de la solution : une redéfinition de la frontière avec l’intervention privée
Cette décision marque une évolution significative en se distinguant nettement de la jurisprudence antérieure relative aux obligations d’achat (A), ce qui a pour conséquence d’élargir le périmètre du contrôle des aides d’État à de nombreux dispositifs de soutien aux énergies renouvelables (B).
A. Le dépassement de la jurisprudence antérieure sur l’obligation d’achat
L’arrêt se distingue de la solution rendue dans l’affaire *PreussenElektra* du 13 mars 2001, dans laquelle la Cour avait jugé qu’une obligation d’achat d’électricité verte à prix minimal imposée à des entreprises privées ne constituait pas une aide d’État. La différence fondamentale réside dans l’absence, dans cette précédente affaire, d’un mécanisme de compensation centralisé et géré par l’État. Les entreprises étaient alors « tenues à une obligation d’achat au moyen de leurs ressources financières propres », sans qu’aucun transfert de ressources publiques, direct ou indirect, ne soit identifié.
Dans la présente affaire, la Cour souligne que le mécanisme français ne se limite pas à imposer une obligation, mais organise une compensation intégrale des surcoûts via un circuit financier entièrement défini et maîtrisé par la puissance publique. L’intervention de la Caisse des dépôts et consignations et la garantie de couverture par l’État sont les éléments décisifs qui distinguent ce montage d’une simple contrainte légale pesant sur des acteurs privés. La Cour opère ainsi une clarification essentielle : dès lors que l’État ne se contente pas d’imposer une charge mais met en place un système de redistribution de fonds pour l’annuler, il intervient au moyen de ressources d’État.
B. L’extension du champ d’application du contrôle des aides d’État aux mécanismes de compensation
En qualifiant le mécanisme de ressources d’État, la Cour étend la surveillance de la Commission européenne à de nombreux dispositifs nationaux de soutien qui, bien que financés par des prélèvements sur les consommateurs ou des entreprises, étaient jusqu’alors considérés comme hors du champ des aides d’État. La solution rendue possède une portée considérable, car elle implique que de tels systèmes doivent être notifiés à la Commission européenne avant leur mise en œuvre, conformément à l’article 108, paragraphe 3, du Traité. Le refus de la Cour de limiter les effets de son arrêt dans le temps confirme la pleine et immédiate applicabilité de cette interprétation.
Cette jurisprudence invite les États membres à une vigilance accrue dans la conception de leurs politiques de soutien, notamment dans le secteur de l’énergie. Tout mécanisme de compensation qui centralise des fonds, même d’origine privée, sous l’égide d’une entité publique, est désormais susceptible d’être qualifié d’aide d’État. La décision réaffirme ainsi une conception large de la notion de ressources d’État, privilégiant le critère du contrôle public sur celui de l’appartenance formelle des fonds au patrimoine de l’État. Elle renforce par là même la cohérence du marché intérieur en soumettant à un examen commun des mesures de soutien qui, sous des apparences diverses, poursuivent des objectifs de politique publique financés par des prélèvements obligatoires.