La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 19 décembre 2013, précise les conditions de qualification d’une pratique commerciale trompeuse. Cette décision porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2005/29 relative aux pratiques commerciales déloyales. Une société de distribution a diffusé une publicité promettant des remises importantes sur des ordinateurs portables dans plusieurs supermarchés. Un consommateur a constaté l’indisponibilité du produit lors de sa visite en magasin pendant la période de promotion définie. L’autorité de régulation de la concurrence a alors infligé une sanction pécuniaire aux sociétés responsables de cette campagne publicitaire par une décision du 22 janvier 2009. Ces dernières ont contesté la sanction devant le Tribunal administratif régional du Latium, lequel a rejeté leur recours par un jugement. Saisi en appel, le Conseil d’État d’Italie a, par une décision du 13 décembre 2011, sursis à statuer pour interroger la juridiction européenne. La question de droit consiste à déterminer si l’influence sur la décision du consommateur constitue une condition cumulative ou alternative au caractère mensonger. La Cour affirme que la pratique doit contenir des informations fausses et être de nature à provoquer une décision commerciale non envisagée. Cette solution repose sur une lecture globale de la directive visant un niveau élevé de protection des consommateurs. L’étude du caractère cumulatif des conditions précèdera l’analyse de l’élargissement de la notion de décision commerciale.
I. L’exigence de conditions cumulatives pour qualifier la pratique trompeuse
A. La nécessaire altération du comportement économique du consommateur
La Cour rappelle que les pratiques trompeuses constituent une catégorie spécifique de pratiques commerciales déloyales interdites par le droit de l’Union. Selon l’article 5 de la directive, une pratique est déloyale si elle est contraire à la diligence professionnelle et altère substantiellement le comportement. L’article 2 définit cette altération comme l’utilisation d’une pratique « amenant par conséquent le consommateur à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ». Les juges considèrent que l’article 6 doit impérativement se lire en cohérence avec les principes généraux posés par le texte initial. La qualification de pratique trompeuse exige donc la réunion de deux éléments distincts mais strictement complémentaires pour être valablement retenue. Le premier élément concerne la fausseté de l’information ou sa capacité à induire en erreur le consommateur moyen dans son jugement. Le second élément impose que cette erreur soit déterminante dans le déclenchement d’un comportement économique que l’individu n’aurait pas adopté spontanément.
B. La primauté de l’interprétation uniforme sur les divergences linguistiques
La juridiction de renvoi soulignait des différences notables entre les versions linguistiques italienne et allemande par rapport aux versions française et anglaise. La version italienne utilisait une expression suggérant que l’influence sur la décision pourrait constituer une clause générale autonome ou une simple alternative. La Cour précise qu’une formulation utilisée dans une seule langue ne saurait servir de base unique à l’interprétation d’une disposition. Elle affirme que « la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation ». En privilégiant l’unité du droit de l’Union, les juges confirment que la condition relative à la décision commerciale s’applique obligatoirement. Cette rigueur méthodologique permet d’éviter une fragmentation du droit de la consommation selon les traductions nationales de la directive européenne. Cette clarification des conditions de la tromperie s’accompagne d’une vision extensive des comportements protégés par le juge de l’Union européenne.
II. L’interprétation extensive de la notion de décision commerciale
A. L’inclusion des actes préparatoires dans le processus d’achat
L’arrêt définit largement la décision commerciale en se fondant sur l’article 2, sous k), qui mentionne toute décision concernant l’opportunité d’acheter. Cette notion « inclut non seulement la décision d’acquérir ou non un produit, mais également celle qui présente un lien direct avec celle-ci ». Le simple fait pour un consommateur de se déplacer jusqu’à un point de vente constitue une décision commerciale au sens du droit européen. La Cour considère que l’entrée dans le magasin est un acte préparatoire indissociable du processus global d’achat d’un bien ou d’un service. La pratique trompeuse est constituée dès lors que l’annonce publicitaire mensongère a incité l’individu à entreprendre cette démarche physique inutile. Cette interprétation garantit que la protection ne se limite pas au seul acte de paiement final mais couvre toute la chaîne de décision.
B. Le renforcement de l’objectif de protection des intérêts économiques
La solution s’inscrit dans la finalité de la directive qui vise à assurer un niveau élevé de protection des intérêts économiques des citoyens. Le législateur européen souhaite que les pratiques trompeuses couvrent les méthodes qui « en induisant le consommateur en erreur, l’empêchent de faire un choix en connaissance de cause ». En élargissant la portée de la décision commerciale, la Cour renforce l’efficacité de la lutte contre les publicités incitatives mais mensongères. L’interprétation retenue permet de sanctionner les professionnels qui utilisent la disponibilité limitée d’un produit pour attirer artificiellement la clientèle dans leurs locaux. Cet arrêt confirme une jurisprudence constante protégeant le consentement du consommateur contre toute altération substantielle de sa liberté de choix économique. La Cour de justice de l’Union européenne impose ainsi une vision pragmatique et protectrice des relations entre les opérateurs économiques et les particuliers.