Cour de justice de l’Union européenne, le 19 décembre 2013, n°C-452/12

Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser les conditions d’articulation entre le règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 et les conventions internationales particulières. En l’espèce, un litige opposait deux opérateurs dans le cadre d’un contrat de transport international de marchandises par route, vraisemblablement au sujet d’une avarie ou d’une perte. Une première action fut engagée dans un État membre afin de faire constater l’absence de responsabilité de l’une des parties. Postérieurement, une action récursoire fut introduite par la partie adverse dans un autre État membre, visant à obtenir l’indemnisation du même dommage. Saisie de cette seconde demande, la juridiction nationale fut confrontée à une exception de litispendance. Estimant que la solution dépendait de l’interprétation du droit de l’Union, et plus particulièrement de l’interaction entre le règlement précité et la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR), elle décida de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice. La question de droit posée aux juges européens portait sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’une interprétation de la convention CMR qui exclurait l’identité d’objet et de cause entre une action en constatation négative et une action récursoire relatives au même dommage. La Cour de justice de l’Union européenne répond que l’article 71 du règlement n° 44/2001 s’oppose à une telle interprétation. Elle affirme qu’une convention internationale ne peut être interprétée « d’une manière qui n’assure pas, dans des conditions au moins aussi favorables que celles prévues par ce règlement, le respect des objectifs et des principes qui sous-tendent ledit règlement ». Par conséquent, la Cour juge qu’une action en constatation négative et une action récursoire entre les mêmes parties et pour le même dommage doivent être considérées comme ayant le même objet et la même cause.

L’arrêt impose ainsi une lecture des conventions spéciales à la lumière des principes directeurs du droit judiciaire européen (I), ce qui conduit à une application rigoureuse et fonctionnelle de la notion de litispendance dans le contentieux des transports (II).

I. La soumission des conventions spéciales aux principes du droit judiciaire européen

La Cour rappelle d’abord que l’application des conventions spéciales est conditionnée au respect des objectifs du règlement (A), avant de consacrer une interprétation autonome de la notion de litispendance (B).

A. L’application conditionnée des règles de compétence des conventions spéciales

La décision commentée offre une clarification majeure quant à la portée de l’article 71 du règlement n° 44/2001. Cette disposition organise la coexistence du règlement avec les conventions spéciales, telles que la CMR, qui prévoient des règles de compétence dans des matières particulières. En affirmant que cet article « s’oppose à ce qu’une convention internationale soit interprétée d’une manière qui n’assure pas, dans des conditions au moins aussi favorables que celles prévues par ce règlement, le respect des objectifs et des principes qui sous-tendent ledit règlement », la Cour établit une hiérarchie interprétative claire. L’autonomie reconnue à ces conventions n’est pas absolue ; elle est subordonnée à la préservation de l’effet utile du droit de l’Union. Les objectifs de prévisibilité des compétences, de sécurité juridique et de bonne administration de la justice, qui animent le règlement, doivent prévaloir. Ainsi, une convention spéciale ne saurait être lue d’une façon qui affaiblirait les garanties procédurales offertes aux justiciables par le droit commun européen, notamment en matière de prévention des décisions contradictoires.

B. La consécration d’une interprétation autonome et extensive de la litispendance

Appliquant ce principe au cas d’espèce, la Cour examine si l’identité d’objet et de cause, condition de la litispendance, peut être écartée entre une action déclaratoire négative et une action récursoire. La Cour rejette une approche formaliste qui distinguerait les deux actions au motif que l’une tend à faire constater une absence de droit et l’autre à obtenir une condamnation. Elle privilégie une analyse fonctionnelle : dès lors que le litige oppose les mêmes parties et que la question juridique fondamentale, à savoir l’imputabilité d’un dommage, est identique, la cause et l’objet sont les mêmes. L’arrêt affirme ainsi que l’article 71 du règlement « s’oppose à une interprétation de l’article 31, paragraphe 2, de la convention [CMR] » qui conclurait à l’absence d’identité de cause et d’objet dans une telle situation. Cette solution garantit la cohérence du système judiciaire européen en faisant obstacle aux manœuvres dilatoires, notamment la stratégie dite du « torpillage », qui consiste à saisir préventivement une juridiction pour bloquer une action future devant un autre for.

L’harmonisation interprétative ainsi opérée par la Cour emporte des conséquences pratiques significatives, renforçant l’efficacité des règles de procédure dans un domaine économique essentiel.

II. Les conséquences pratiques de l’harmonisation interprétative en droit des transports

Cette décision a pour effet de renforcer la sécurité juridique dans le contentieux international (A) tout en affirmant la portée transversale de sa solution au-delà du seul droit des transports routiers (B).

A. Le renforcement de la sécurité juridique dans le contentieux international

La valeur de cet arrêt réside principalement dans sa contribution à la sécurité juridique et à la bonne administration de la justice au sein de l’Union. En neutralisant les risques de procédures parallèles et de jugements inconciliables, la Cour assure la pleine efficacité du principe de litispendance. Les opérateurs économiques du secteur des transports peuvent désormais anticiper avec une plus grande certitude que le premier tribunal saisi d’un litige relatif à un dommage sera seul compétent pour en connaître, quelle que soit la forme de l’action introduite. Cette prévisibilité est essentielle pour la confiance mutuelle entre les systèmes judiciaires des États membres, pierre angulaire de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. La solution empêche qu’un même différend soit jugé deux fois, évitant ainsi un gaspillage de ressources judiciaires et une incertitude préjudiciable aux relations commerciales.

B. La portée générale de la solution au-delà de la convention CMR

La portée de la décision dépasse manifestement le seul cadre de la convention CMR. Le raisonnement de la Cour est fondé sur l’article 71 du règlement, une disposition de coordination à vocation générale. Par conséquent, la solution est transposable à toutes les autres conventions spéciales qui régissent la compétence judiciaire dans des domaines spécifiques, comme le transport maritime ou aérien. L’arrêt constitue un guide d’interprétation pour l’ensemble des juridictions nationales confrontées à une articulation entre le règlement et une convention particulière. Il les contraint à adopter une lecture pro-communautaire, garantissant l’application uniforme des principes fondamentaux du droit judiciaire européen. Cet arrêt de principe confirme le rôle de la Cour de justice comme garante de la cohérence de l’ordre juridique de l’Union, même lorsque celui-ci interagit avec des instruments de droit international.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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