La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 19 décembre 2018, a précisé le régime fiscal applicable au droit de suite. Cette affaire opposait la Commission européenne à un État membre dont la législation soumettait à la taxe sur la valeur ajoutée la rémunération des auteurs. L’administration défenderesse considérait que le versement perçu lors de la revente d’une œuvre originale constituait la contrepartie d’une prestation de services imposable. La Commission a engagé un recours en manquement après une phase précontentieuse infructueuse, arguant que ce droit légal échappait au champ d’application de la taxe. L’État membre soutenait que l’auteur fournissait un service en tolérant la revente ou que ce paiement modifiait la base d’imposition de la vente initiale.
Le problème de droit consistait à savoir si le droit de suite constitue une opération effectuée à titre onéreux au sens de la directive. La Cour juge que cette rémunération est exclue du système commun de taxe car elle ne résulte pas d’un rapport juridique d’échange réciproque. Cette solution conduit à analyser l’absence de prestation à titre onéreux dans l’exercice du droit de suite avant d’étudier l’étanchéité de cette créance.
I. L’absence de prestation à titre onéreux dans l’exercice du droit de suite
A. L’inexistence d’un rapport juridique d’échange entre l’auteur et le revendeur
Une prestation n’est imposable que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique impliquant l’échange de prestations réciproques bien identifiées. La Cour rappelle que « la rétribution perçue par le prestataire constitue la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire » pour justifier l’assujettissement. Or, le rapport juridique de revente se noue exclusivement entre le vendeur et l’acheteur sans que l’auteur puisse influencer les termes du contrat. Le bénéficiaire du droit de suite ne participe d’aucune manière à l’opération de cession et ne peut s’opposer à la transaction entre les parties. Cette absence de lien contractuel direct interdit de qualifier la somme perçue de contrepartie effective d’un service individualisable rendu par l’artiste original.
B. L’irrecevabilité de la qualification de prestation de services par tolérance
L’État membre prétendait que l’auteur fournissait une prestation de services en acceptant la revente de son œuvre d’art sur le marché secondaire. La Cour écarte cet argument en soulignant que le droit de suite est le « fruit de la volonté du législateur » et non d’un accord. L’auteur perçoit un pourcentage fixé par la loi sans disposer du pouvoir d’empêcher la vente s’il est en désaccord avec le prix. Le législateur européen n’a pas envisagé que les créateurs participent aux opérations de revente mais a simplement instauré un droit de participation économique. Cette tolérance forcée ne peut être assimilée à une prestation volontaire puisque l’épuisement du droit de distribution prive l’auteur de tout moyen d’action. Le versement ne présente donc aucun caractère synallagmatique et ne saurait être rattaché à une quelconque activité de service au sens fiscal habituel.
II. La confirmation de l’étanchéité entre droit de suite et opérations imposables
A. L’impossibilité d’une modification de la base d’imposition initiale
L’argument subsidiaire de l’État membre visait à considérer le droit de suite comme une indexation du prix payé lors de la première vente. La Cour rejette cette analyse en rappelant que la base d’imposition comprend uniquement ce qui constitue la contrepartie réelle du service initialement fourni. Le montant perçu au titre du droit de suite est totalement indépendant de la rétribution convenue avec le premier acquéreur de l’œuvre d’art. Un auteur pourrait même avoir fait cadeau de sa création tout en conservant un droit de participation légal lors des reventes ultérieures. Cette rémunération n’est aucunement la contrepartie de la prestation offerte lors de la mise sur le marché et ne saurait modifier l’assiette fiscale. La dissociation totale entre la première transaction et les prélèvements légaux successifs interdit toute requalification en complément de prix ou en indexation différée.
B. La préservation de la neutralité fiscale face aux spécificités des œuvres plastiques
Le principe de neutralité fiscale exige que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale sans une justification objective et pertinente. Les œuvres d’art graphiques et plastiques présentent un caractère unique qui les distingue des autres créations intellectuelles faisant l’objet d’exploitations répétées. Les droits d’utilisation classiques s’épuisent au moment de la première mise sur le marché alors que les autres auteurs tirent profit de diffusions multiples. La Cour précise que la rémunération litigieuse « n’est pas comparable à celle tirée de l’exercice des droits d’utilisation » attachés aux œuvres reproductibles. Soumettre le droit de suite à la taxe reviendrait à ignorer la situation économique particulière des artistes plastiques par rapport aux autres créateurs. Cette décision protège ainsi l’équilibre du système de la taxe sur la valeur ajoutée en limitant son application aux véritables échanges de services.