Cour de justice de l’Union européenne, le 19 décembre 2018, n°C-572/17

Par un arrêt du 19 décembre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel par la Cour suprême de Suède, a précisé les contours du droit exclusif de distribution en matière de droit d’auteur. En l’espèce, un commerçant vendait des vêtements et accessoires sur lesquels étaient apposés sans autorisation des motifs protégés. Outre les articles présents dans son magasin, des marchandises identiques étaient détenues dans un entrepôt attenant ainsi que dans un second lieu de stockage plus éloigné. Condamné en première instance pour contrefaçon au titre de l’ensemble des marchandises, y compris celles stockées, le commerçant vit sa peine allégée en appel, la juridiction de second degré considérant que les articles entreposés n’avaient pas été mis en vente ni distribués au public. Cette divergence d’appréciation entre les juges du fond quant à la qualification des actes de stockage a conduit la juridiction suprême à interroger la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si le stockage de marchandises contrefaisantes, identiques à celles déjà offertes à la vente par le même opérateur, pouvait être qualifié d’acte de « distribution au public » au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE, et si la localisation des entrepôts avait une incidence sur cette qualification. La Cour a répondu que le stockage peut constituer une atteinte au droit de distribution, à la condition qu’il soit démontré que lesdites marchandises sont effectivement destinées à une vente sur le territoire où le droit d’auteur est protégé.

La décision étend ainsi la notion de distribution à certains actes préparatoires (I), tout en encadrant cette extension par des exigences probatoires strictes qui renforcent le pouvoir d’appréciation des juridictions nationales (II).

***

I. L’extension du droit de distribution aux actes préparatoires de commercialisation

La Cour de justice confirme une interprétation large de la notion de distribution en y incluant des actes qui précèdent la vente elle-même (A), ce qui la conduit à admettre que le stockage peut, sous condition, constituer un acte de contrefaçon (B).

A. La consécration d’une interprétation extensive de la notion de distribution

La Cour rappelle que le droit de distribution ne se limite pas à la conclusion d’un contrat de vente ou à la livraison effective d’un bien au public. Elle s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence antérieure, selon laquelle la distribution « se caractérise par une série d’opérations allant, à tout le moins, de la conclusion d’un contrat de vente à l’exécution de celui-ci ». L’emploi des termes « à tout le moins » suggère que des actes antérieurs à la vente elle-même peuvent relever du champ d’application du droit exclusif. Ainsi, un « acte préalable à la réalisation d’une vente d’une œuvre ou d’une copie d’une œuvre protégée par un droit d’auteur, accompli sans l’autorisation du titulaire de ce droit et dans l’objectif de réaliser une telle vente » est susceptible de constituer une atteinte. Cette approche fonctionnelle vise à garantir l’effectivité du droit de l’auteur en lui permettant d’intervenir avant même que l’objet contrefaisant n’atteigne le consommateur final, prévenant ainsi la dilution de son monopole d’exploitation.

B. L’inclusion conditionnelle du stockage dans le périmètre de la contrefaçon

Appliquant ce raisonnement au cas d’espèce, la Cour considère que le stockage de marchandises peut être qualifié d’acte préparatoire à la vente. Toutefois, un tel acte n’est pas illicite en soi ; il ne le devient qu’en raison de sa finalité. La Cour pose une condition claire : il doit être prouvé que les marchandises entreposées « sont effectivement destinées à être vendues au public sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur ». L’élément déterminant n’est donc pas l’acte matériel de détention, mais l’intention commerciale qui le sous-tend. Pour qu’il y ait contrefaçon, le stockage doit être directement lié à un projet de commercialisation sur le marché où l’œuvre est protégée. C’est cette destination avérée qui transforme un acte logistique neutre en une violation du droit de distribution, car il s’inscrit dans la chaîne des opérations visant à mettre l’œuvre à la disposition du public.

***

L’élargissement du champ de la distribution à l’acte de stockage est donc tempéré par une condition subjective forte. En conséquence, la Cour prend soin de définir les limites probatoires de cette nouvelle configuration de l’atteinte au droit d’auteur.

II. La délimitation probatoire de l’atteinte au droit de distribution

La Cour refuse d’instaurer une règle de preuve automatique, rejetant toute présomption d’intention de vente (A), et renvoie l’appréciation des faits aux juridictions nationales en leur fournissant une méthode d’analyse concrète (B).

A. Le rejet d’une présomption d’intention de vente

La Cour précise qu’« il ne saurait être inféré du seul constat que les marchandises stockées et les marchandises vendues dans le magasin de l’intéressé sont identiques, que le stockage constitue un acte accompli dans l’objectif de réaliser une vente ». L’identité des produits n’est qu’un « indice » parmi d’autres et ne suffit pas à établir l’intention de commercialisation illicite. Cette position est essentielle, car elle évite d’instaurer une présomption quasi irréfragable à l’encontre du commerçant. La Cour protège ainsi la situation où des marchandises stockées pourraient avoir une autre destination, telle que l’exportation vers un territoire où leur vente est licite, ou un retour au fournisseur. En exigeant une preuve positive de la destination des biens, la Cour garantit le respect du principe de sécurité juridique et impose aux titulaires de droits et aux autorités de poursuite une charge probatoire complète, empêchant ainsi une condamnation fondée sur de simples apparences.

B. La promotion d’une appréciation souveraine par les juges du fond

En définitive, il appartient à la juridiction nationale « d’apprécier à la lumière des éléments de preuve dont elle dispose si l’ensemble des marchandises identiques […] ou une partie seulement de ces marchandises, était destiné à être commercialisé ». Pour guider cette analyse, la Cour énumère plusieurs éléments pertinents, tels que « l’approvisionnement régulier du magasin par des marchandises provenant des entrepôts en cause, des éléments comptables, le volume des ventes et des commandes par rapport au volume des marchandises stockées, ou encore les contrats de vente en cours ». Elle ajoute que la distance géographique entre le lieu de vente et le lieu de stockage ne saurait être un critère décisif à lui seul. Cette méthode d’analyse au cas par cas confère au juge national un rôle central dans l’application du droit de l’Union. La portée de la décision est donc double : si elle établit un principe d’interprétation uniforme, sa mise en œuvre dépendra d’une appréciation souveraine des faits, faisant de chaque affaire une décision d’espèce.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture