Cour de justice de l’Union européenne, le 19 décembre 2019, n°C-389/18

La Cour de justice de l’Union européenne, par sa décision du 19 décembre 2019, interprète le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales. Cette affaire oppose une société commerciale à l’administration fiscale nationale concernant l’ordre d’imputation des déductions opérées sur le bénéfice imposable annuel. La requérante a perçu des dividendes distribués par sa filiale tout en bénéficiant parallèlement d’une déduction spécifique pour le capital à risque investi. L’administration a imposé la déduction prioritaire des revenus de participations, provoquant ainsi l’expiration de l’avantage fiscal lié au capital à risque. Le tribunal de première instance francophone de Bruxelles interroge la Cour sur la conformité de ce mécanisme avec la directive européenne du 23 juillet 1990. La question juridique centrale réside dans l’existence d’une imposition indirecte résultant de l’interaction entre les différentes catégories de déductions fiscales autorisées par l’État. La Cour juge que l’article 4 s’oppose à une réglementation nationale dont l’ordre de priorité des déductions entraîne la perte d’un avantage fiscal chronologiquement limité. L’analyse de cette décision suppose d’étudier l’affirmation d’une neutralité fiscale absolue (I) avant d’examiner l’invalidation de la hiérarchie nationale des déductions fiscales opérées (II).

**I. L’affirmation d’une neutralité fiscale absolue des bénéfices distribués**

**A. L’interdiction des mécanismes d’imposition indirecte**

La directive 90/435 impose aux États membres soit d’exonérer les bénéfices perçus, soit d’imputer l’impôt déjà acquitté par la société filiale étrangère. Le législateur national a opté pour le système de l’exonération en prévoyant l’intégration initiale des dividendes suivie d’une déduction de quatre-vingt-quinze pour cent. Cette méthode ne doit cependant pas aboutir à ce que la société mère subisse « indirectement une imposition sur ces dividendes » par le jeu des règles comptables. La Cour souligne que l’obligation de s’abstenir d’imposer les bénéfices distribués est inconditionnelle et ne tolère aucune modalité nationale réduisant cet avantage économique substantiel. L’arrêt rappelle que les États « s’abstiennent d’imposer ces bénéfices », interdisant toute distinction selon que le fait générateur est la réception ou la redistribution. Cette interprétation stricte garantit que les bénéfices ne soient pas frappés une seconde fois dans le chef de la société mère après l’imposition initiale.

**B. Le rejet de l’autonomie fiscale face aux objectifs européens**

Le gouvernement défendeur invoquait son autonomie fiscale pour justifier la détermination discrétionnaire de l’ordre d’imputation des différentes déductions sur la base imposable. La juridiction européenne écarte cet argument en rappelant que les compétences nationales doivent s’exercer dans le respect du droit de l’Union européenne. L’objectif fondamental demeure la suppression des pénalisations fiscales entravant la coopération entre des sociétés établies dans des États membres différents du marché commun. La Cour affirme que la directive tend à assurer la « neutralité, sur le plan fiscal, de la distribution de bénéfices » entre les entités liées. L’interaction entre les revenus de participations et les autres éléments de la base imposable doit donc demeurer conforme aux prescriptions de l’article 4. Une réglementation nationale ne saurait ainsi compromettre l’effet utile d’une norme européenne sous couvert d’organisation technique des modalités de calcul de l’impôt.

**II. L’invalidation de la hiérarchie nationale des déductions fiscales**

**A. La sanction de l’éviction d’un avantage fiscal concurrent**

L’ordre d’imputation contesté oblige la société à épuiser ses bénéfices par la déduction des dividendes avant d’utiliser celle afférente au capital à risque. Ce mécanisme engendre l’expiration définitive du droit au report de certains avantages fiscaux lorsque les bénéfices annuels s’avèrent insuffisants pour absorber toutes les déductions. La Cour relève que la perception des dividendes devient alors préjudiciable puisque la société perd un bénéfice dont elle aurait disposé sans cette distribution étrangère. La décision précise que cette configuration « peut avoir pour effet que la perception des dividendes est susceptible d’entraîner, pour la société mère, la perte d’un avantage fiscal ». Cette perte constitue une charge financière supplémentaire augmentant indirectement le taux effectif d’imposition supporté par l’entreprise concernée lors des exercices suivants. L’absence de neutralité fiscale est ainsi caractérisée par la comparaison entre la situation de la société bénéficiaire et celle d’une entité n’ayant perçu aucun dividende.

**B. Une portée jurisprudentielle protectrice pour les sociétés mères**

Cet arrêt renforce la protection des sociétés mères en condamnant les dispositions nationales qui vident de sa substance l’exonération prévue par le droit communautaire. Les juges imposent désormais aux administrations fiscales de veiller à ce que l’imputation prioritaire des revenus taxés ne neutralise pas d’autres avantages. La solution retenue confirme que le régime d’exonération choisi par un État membre ne doit induire aucune conséquence négative sur la situation comptable globale. Cette jurisprudence oblige potentiellement le législateur à réviser l’ordre des déductions pour garantir que la « perception de tels dividendes n’est pas fiscalement neutre ». La Cour privilégie ainsi une approche économique globale de l’imposition pour censurer des techniques de calcul apparemment neutres mais concrètement discriminatoires. La primauté des objectifs de la directive garantit la libre circulation des capitaux et l’optimisation des structures sociétaires au sein de l’espace européen intégré.

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Hassan KOHEN
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