La Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision fondamentale concernant l’aménagement du temps de travail des employés de maison au sein de l’espace communautaire. Un litige est né à la suite du licenciement d’une employée de maison ayant exercé ses fonctions du 15 septembre 2020 au 17 février 2021. La travailleuse réclamait le paiement d’heures supplémentaires qu’elle prétendait avoir effectuées au-delà de la durée légale prévue par son contrat de travail initial. Le Juzgado de lo Social n o 2 de Bilbao, par un jugement du 11 janvier 2023, a rejeté cette demande d’indemnisation faute de preuves suffisantes. Cette juridiction a considéré que les heures de travail accomplies n’étaient pas établies en raison d’une dispense légale d’enregistrement pesant alors sur les employeurs. Le Tribunal Superior de Justicia del País Vasco, saisi de l’appel, a décidé d’interroger la juridiction européenne sur la validité d’une telle exception réglementaire. La question posée tend à savoir si le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale exonérant les employeurs domestiques de l’obligation de mesurer le temps. La Cour affirme que les dispositions européennes « s’opposent à une réglementation nationale » privant les employés de maison d’une détermination objective et fiable de leur activité.
I. L’affirmation de l’effectivité du droit au repos pour les travailleurs domestiques
A. La réaffirmation d’une protection fondamentale par l’enregistrement du temps de travail
Le droit de chaque travailleur à une limitation de la durée maximale du travail constitue une règle du droit social de l’Union revêtant une importance particulière. Cette protection est expressément consacrée par la Charte des droits fondamentaux pour garantir la sécurité et la santé de l’ensemble des salariés au sein des États. L’interprétation des prescriptions minimales ne saurait être restrictive au détriment des droits que le travailleur tire directement de la directive européenne relative au temps de travail. Les États membres doivent ainsi prendre les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie effectivement des périodes de repos journalier et hebdomadaire prévues par les textes. L’effet utile de ces droits fondamentaux dépend étroitement de la mise en place d’un système permettant de mesurer précisément la durée réelle de l’activité exercée.
B. L’exclusion des dérogations nationales vidant de substance les prescriptions européennes
Les autorités nationales disposent d’une marge d’appréciation pour définir les modalités concrètes de mise en œuvre d’un système de mesure du temps de travail quotidien effectué. Cette marge d’appréciation doit toutefois s’exercer dans le respect de l’objectif essentiel de garantir une protection efficace des conditions de vie et de santé des travailleurs. Une réglementation nationale ne peut légitimement vider de leur substance les droits consacrés sans compromettre l’équilibre nécessaire entre les impératifs économiques et la protection sociale. La juridiction précise que les particularités d’un secteur ne justifient pas une exonération totale supprimant toute possibilité de contrôle du temps de travail effectif des salariés. L’enregistrement quotidien du temps de travail demeure l’instrument indispensable pour vérifier le respect des plafonds hebdomadaires imposés par les traités ainsi que par les directives.
II. La lutte contre les entraves structurelles à la preuve et à l’égalité
A. La neutralisation de la situation de faiblesse du travailleur face à la preuve
Le travailleur est juridiquement considéré comme la « partie faible dans la relation de travail » liant les différents intervenants au contrat d’emploi de nature domestique. Il est impératif d’empêcher que l’employeur ne dispose de la faculté de lui imposer une restriction injustifiée de ses droits par une certaine opacité organisationnelle. Un salarié peut être légitimement dissuadé de revendiquer ses droits par crainte de mesures de rétorsion affectant directement la pérennité de sa relation professionnelle future. En l’absence d’un système de mesure objectif, il apparaît « excessivement difficile, sinon impossible en pratique » pour les travailleurs de prouver la réalité des heures effectuées. La Cour souligne qu’aucun autre moyen de preuve ne peut suppléer l’absence d’un enregistrement établissant de manière fiable le nombre d’heures de travail quotidien réalisé.
B. Les perspectives d’une égalité de traitement face au risque de discrimination indirecte
Une disposition apparemment neutre peut désavantager particulièrement les personnes d’un sexe par rapport à l’autre en raison de la réalité démographique d’un secteur professionnel donné. Les statistiques révèlent que le groupe des employés de maison est fortement féminisé, ce qui place la mesure d’exonération litigieuse sous le prisme de l’égalité de traitement. Une discrimination indirecte fondée sur le sexe est établie lorsqu’une pratique affecte négativement une proportion significativement plus importante de femmes dans une activité économique spécifique. Toute différence de traitement doit alors être justifiée par un objectif légitime de politique sociale et mise en œuvre de manière parfaitement cohérente et systématique. La juridiction nationale doit vérifier si l’exonération des employeurs domestiques répond à des facteurs objectifs totalement étrangers à toute forme de discrimination sexuelle directe ou indirecte.