Par un arrêt, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur le pourvoi formé par une association contre une ordonnance du Tribunal de première instance. Cette ordonnance avait déclaré manifestement irrecevable le recours en annulation de l’association, dirigé contre une décision de la Commission européenne portant conclusion d’un contrat de subvention. Les faits à l’origine du litige concernent la conclusion de ce contrat entre la Commission et une nouvelle entité, créée par un ancien collaborateur de l’association requérante. L’association soutenait que cette nouvelle entité avait usurpé son nom et son identité pour obtenir le financement, et que la décision de la Commission lui causait ainsi un préjudice direct.
La procédure a débuté lorsque l’association a saisi le Tribunal de première instance d’une demande d’annulation de la décision de la Commission. La Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, arguant que l’association n’avait pas d’intérêt à agir. Le Tribunal, par une ordonnance motivée, a suivi cette argumentation et rejeté le recours comme manifestement irrecevable. Le Tribunal a estimé que le contrat n’avait été conclu qu’avec la nouvelle entité et ne créait ni droits ni obligations pour l’association requérante. L’association a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, invoquant notamment une application erronée des règles de procédure par le Tribunal, une violation des conditions de recevabilité du recours en annulation, et une atteinte à son droit à un recours effectif. La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si une personne morale, tierce à un contrat conclu par une institution de l’Union, dispose d’un intérêt à agir pour demander l’annulation de la décision de contracter, au motif que son cocontractant aurait usurpé son identité.
La Cour de justice a rejeté le pourvoi, confirmant l’ordonnance du Tribunal. Elle a jugé que la décision litigieuse ne produisait pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de l’association requérante en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. La Cour a précisé que le litige relatif à l’usurpation d’identité relevait de la compétence des juridictions nationales, devant lesquelles l’association avait d’ailleurs déjà engagé une action.
L’analyse de la Cour repose sur une application stricte des conditions de recevabilité du recours en annulation (I), ce qui conduit à une réaffirmation de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et les juridictions nationales (II).
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I. La confirmation rigoureuse des conditions de recevabilité du recours en annulation
La Cour de justice valide l’approche restrictive du Tribunal, tant sur le plan de l’intérêt à agir (A) que sur celui des règles procédurales applicables (B).
A. Le rejet d’une conception extensive de l’intérêt à agir
L’association requérante soutenait que son recours était recevable car la décision de la Commission, bien que ne la désignant pas formellement, portait atteinte à son droit d’utiliser son nom et son logo. Elle se considérait donc individuellement concernée, à l’instar de la situation reconnue dans la jurisprudence `Codorniu/Conseil`. Toutefois, la Cour écarte cette argumentation en se concentrant sur les effets juridiques directs de l’acte attaqué. Elle confirme l’analyse du Tribunal selon laquelle la décision de la Commission de conclure le contrat n’affectait pas en elle-même la situation juridique de l’appelante.
La Cour souligne que l’acte litigieux « ne lui imposait aucune obligation et ne lui conférait aucun droit ». Ce faisant, elle refuse de prendre en considération les circonstances factuelles entourant la conclusion du contrat, notamment l’allégation d’usurpation d’identité. Pour la Cour, le préjudice allégué ne découle pas de l’acte de la Commission, mais du comportement potentiellement déloyal d’un tiers. Cette distinction est fondamentale : l’intérêt à agir dans le cadre d’un recours en annulation doit être apprécié au regard des seuls effets de l’acte de l’Union contesté, et non des litiges de droit privé qui peuvent lui être connexes.
B. L’application stricte des règles de procédure du Tribunal
L’appelante critiquait également l’utilisation par le Tribunal de l’article 111 de son règlement de procédure, qui permet de rejeter un recours par ordonnance motivée sans poursuivre la procédure, le qualifiant de manifestement irrecevable. Elle estimait que cette voie ne pouvait être empruntée après l’adoption de mesures d’organisation de la procédure et privait ses droits d’être entendue. La Cour rejette fermement ce moyen, en précisant que le recours à des mesures d’organisation de la procédure n’empêche nullement l’adoption ultérieure d’une ordonnance d’irrecevabilité manifeste.
De plus, la Cour relève que le droit de l’appelante à être entendue a été respecté, puisqu’elle a eu l’opportunité de présenter ses observations sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission. Cette position réaffirme la marge de manœuvre du Tribunal dans la gestion de la procédure et son souci d’économie procédurale. Le caractère « manifeste » de l’irrecevabilité n’est pas écarté par le simple fait que des mémoires aient été échangés ou que le Tribunal ait demandé des éclaircissements, dès lors que l’absence d’intérêt à agir ressort clairement des pièces du dossier.
Cette application rigoureuse des règles de recevabilité conduit à une délimitation claire des compétences, renvoyant le requérant vers les juridictions nationales pour la protection de ses droits subjectifs.
II. La répartition des compétences juridictionnelles au cœur de la solution
La décision de la Cour illustre parfaitement le principe de subsidiarité dans le système des voies de recours, en affirmant la compétence des juridictions nationales pour les litiges de droit privé (A) et en considérant que cette voie constitue une garantie de protection juridictionnelle effective (B).
A. L’affirmation de la compétence des juridictions nationales pour les litiges de droit privé
Au cœur du raisonnement de la Cour se trouve une distinction nette entre le contrôle de la légalité des actes de l’Union et la résolution des litiges entre personnes privées. La Cour entérine la position du Tribunal qui avait jugé que si l’appelante « se considérait lésé par le prétendu comportement déloyal » de son ancien collaborateur, il lui appartenait de « faire valoir ses droits devant les juridictions nationales compétentes ». Le recours en annulation devant les juridictions de l’Union n’est pas la voie appropriée pour trancher des questions de contrefaçon, d’usurpation de nom commercial ou de concurrence déloyale.
Cette solution respecte la répartition des compétences entre l’ordre juridique de l’Union et ceux des États membres. Le juge de l’Union est le gardien de la légalité des actes de l’Union, tandis que le juge national est le juge de droit commun, y compris pour les litiges de droit privé qui peuvent survenir en marge d’une action administrative de l’Union. En l’espèce, la Cour confirme que le préjudice économique et moral subi par l’appelante trouve sa source non dans l’acte de la Commission, mais dans les agissements d’un tiers, qui doivent être sanctionnés, le cas échéant, par le juge national compétent en matière de propriété intellectuelle et de responsabilité civile.
B. La primauté du recours national comme garantie d’une protection juridictionnelle effective
À titre subsidiaire, l’appelante invoquait une violation de son droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux. Elle estimait que le rejet de son recours devant le juge de l’Union la laissait sans protection adéquate. La Cour écarte cet argument en constatant que l’appelante disposait d’une voie de droit effective au niveau national. Le fait que l’association ait elle-même engagé une procédure pour contrefaçon devant le tribunal de grande instance de Paris en est la preuve tangible.
La Cour confirme ainsi sa jurisprudence constante, notamment issue de l’arrêt `Unión de Pequeños Agricultores/Conseil`, selon laquelle le système des voies de recours de l’Union, combiné à celui des États membres, est conçu pour assurer une protection juridictionnelle complète. L’exigence d’un recours effectif n’implique pas que toute personne doit pouvoir accéder directement au juge de l’Union pour contester n’importe quel acte. Dès lors qu’une voie de droit devant les juridictions nationales permet de protéger les droits que le justiciable tire de l’ordre juridique de l’Union, ou de sanctionner les atteintes à ses droits subjectifs, le droit à une protection juridictionnelle effective est considéré comme respecté. En l’espèce, le recours national offrait une réparation appropriée au préjudice d’usurpation allégué, rendant l’action devant le juge de l’Union non seulement irrecevable, mais aussi non nécessaire à la garantie des droits de l’appelante.