Par un arrêt en manquement, la Cour de justice des Communautés européennes a constaté qu’un État membre n’avait pas respecté ses obligations découlant du droit communautaire en matière de taxe sur la valeur ajoutée. L’affaire trouve son origine dans l’application de la huitième directive 79/1072/CEE du 6 décembre 1979, qui prévoit les modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l’intérieur du pays. Cette directive impose notamment que les remboursements soient effectués dans un délai de six mois à compter de la demande. Or, il a été constaté que le Grand-Duché de Luxembourg procédait de manière systématique à ces remboursements avec des retards significatifs. Face à cette situation, la Commission européenne a engagé une procédure en manquement, conformément à l’article 226 du traité instituant la Communauté européenne. Après avoir adressé un avis motivé à l’État membre lui enjoignant de se conformer à ses obligations, et en l’absence de régularisation dans le délai imparti, la Commission a saisi la Cour de justice. La question juridique posée à la Cour était de savoir si des difficultés d’ordre administratif interne pouvaient justifier le non-respect par un État membre d’un délai précis et inconditionnel fixé par une directive. La Cour a répondu par la négative, en jugeant que le manquement était constitué par la simple inobservation du délai, indépendamment de ses causes. Elle a ainsi réaffirmé des principes fondamentaux relatifs aux obligations des États membres.
L’analyse de cette décision révèle d’une part la caractérisation rigoureuse du manquement à une obligation communautaire (I), et d’autre part, elle confirme la portée des principes structurants de l’ordre juridique de l’Union (II).
I. La caractérisation du manquement à une obligation de résultat
La Cour de justice établit le manquement de l’État membre en se fondant sur une appréciation objective du non-respect de la directive (A), tout en écartant fermement les justifications tirées de l’organisation interne de l’État (B).
A. La constatation objective de la violation d’un délai impératif
La huitième directive, en son article 7, paragraphe 4, impose une obligation claire, précise et inconditionnelle. Les États membres doivent procéder au remboursement de la TVA dans un délai de six mois. Il s’agit d’une obligation de résultat, dont la seule mesure est l’atteinte de l’objectif fixé dans le délai prescrit. La Cour n’a donc pas à rechercher les causes ou les intentions derrière le retard ; la simple constatation matérielle que le délai n’a pas été respecté suffit à caractériser l’infraction. Cette approche objective garantit l’efficacité et l’application uniforme du droit communautaire. Comme le rappelle la jurisprudence constante, l’exécution des directives doit être « entière et précise ». Toute défaillance, même partielle, dans la mise en œuvre des obligations qui en découlent constitue un manquement. En l’espèce, les retards répétés dans le traitement des dossiers de remboursement ont suffi à démontrer que le Grand-Duché de Luxembourg n’assurait pas l’effet utile de la disposition en cause.
B. L’inefficacité des justifications fondées sur des difficultés internes
Pour sa défense, l’État membre invoquait implicitement des difficultés administratives pour expliquer les retards accumulés. Cependant, la Cour de justice, fidèle à une jurisprudence établie de longue date, rejette catégoriquement ce type d’argument. Un État membre ne peut se prévaloir de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit communautaire. Admettre une telle justification reviendrait à subordonner l’application du droit de l’Union aux particularités de chaque administration nationale, ce qui porterait une atteinte fatale aux principes de primauté et d’uniformité. Le motif de l’arrêt est sans équivoque sur ce point en visant l’« inadmissibilité » de la « justification tirée de l’ordre interne ». Par cette position, la Cour rappelle que les États membres ont la responsabilité d’organiser leurs services administratifs de manière à garantir le respect de leurs engagements européens, quelles que soient les contraintes logistiques ou budgétaires qu’ils rencontrent.
II. La réaffirmation de principes fondamentaux de l’ordre juridique de l’Union
Au-delà de la question spécifique de la TVA, la décision est l’occasion pour la Cour de rappeler la force contraignante du droit dérivé (A) ainsi que les règles procédurales strictes qui encadrent le contentieux en manquement (B).
A. La force obligatoire des directives et le devoir de coopération loyale
Cette affaire illustre parfaitement la portée de l’article 249, alinéa 3, du traité CE (devenu article 288 TFUE), qui dispose que la directive « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ». En fixant un délai de six mois, la directive a défini un élément essentiel du résultat à atteindre. En ne respectant pas ce délai, le Grand-Duché de Luxembourg a non seulement violé la directive elle-même, mais a également manqué à son obligation de coopération loyale, inscrite à l’article 10 du traité CE (devenu article 4, paragraphe 3, TUE). Ce principe impose aux États membres de prendre toutes les mesures, générales ou particulières, propres à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou des actes des institutions. Assurer le remboursement rapide de la TVA aux entreprises étrangères est une condition du bon fonctionnement du marché intérieur, et le respect des délais est une garantie de sécurité juridique pour les opérateurs économiques.
B. Le cadre temporel de l’examen du manquement
La Cour précise également un point de procédure essentiel en rappelant que le bien-fondé d’un recours en manquement s’apprécie au regard de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé. Toute mesure de régularisation prise postérieurement à cette date est sans pertinence pour la constatation de l’infraction par la Cour, même si elle peut être prise en compte dans d’autres contextes. Ce principe confère toute son importance à la phase précontentieuse de la procédure en manquement. L’avis motivé n’est pas une simple formalité ; il constitue la dernière occasion pour l’État de se conformer volontairement à ses obligations et d’éviter une condamnation. En figeant l’analyse à cette date, la Cour garantit l’effet utile de cette étape et incite les États à agir sans attendre d’être attraits devant le juge de l’Union, renforçant ainsi l’efficacité globale du mécanisme de contrôle du respect du droit de l’Union.