Cour de justice de l’Union européenne, le 19 janvier 2023, n°C-292/21

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 12 janvier 2023, se prononce sur l’interprétation de la directive relative aux services. La question posée concerne la compatibilité d’une réglementation nationale imposant le recours à une concession de service public pour la formation des conducteurs.

L’administration d’un État membre publie un appel d’offres pour l’organisation de cours de sensibilisation et de rééducation routière sur l’ensemble du territoire national. Ce marché prévoit une division territoriale en cinq lots géographiques, accordant à chaque adjudicataire l’exclusivité de la prestation dans sa zone respective.

Une association conteste la légalité de cet appel d’offres devant le tribunal administratif central, lequel rejette toutefois le recours par une décision du 23 janvier 2015. La chambre du contentieux administratif de la Cour centrale annule ensuite cette décision et la procédure de passation par un jugement du 28 novembre 2018.

La juridiction de renvoi, saisie en cassation, décide d’interroger les juges européens sur la validité de ce régime d’attribution exclusive au regard du droit européen. Le problème de droit réside dans la conformité de l’imposition d’une concession de service public avec les principes de la liberté d’établissement des prestataires.

Les juges précisent que le droit de l’Union s’oppose à une telle réglementation lorsqu’elle excède manifestement les nécessités de l’objectif de sécurité routière invoqué. La solution repose sur une analyse rigoureuse du champ d’application de la directive et du respect du principe de proportionnalité par les autorités étatiques. Cette qualification préalable de l’activité conditionne l’examen de la validité des restrictions imposées par la législation nationale au regard du principe de proportionnalité.

I. L’application du droit de l’Union aux prestations de formation routière

A. L’inclusion des cours de rééducation dans le champ de la directive « services »

Le juge européen définit d’abord la nature juridique de l’activité pour déterminer si elle relève des dispositions générales sur la libre prestation de services. L’activité de formation est qualifiée de « service » car elle constitue une activité économique non salariée exercée normalement contre une rémunération versée par les bénéficiaires.

La décision écarte l’exception relative aux transports en soulignant que « l’objet principal des cours […] est de former le bénéficiaire à une conduite prudente ». Le service est lié à la personne du conducteur et non au fonctionnement technique du véhicule, ce qui justifie l’application pleine du régime juridique commun. Une fois le régime général identifié, il convient de vérifier si des règles spéciales propres aux concessions ne viennent pas évincer la directive services.

B. L’éviction de la réglementation sectorielle relative aux contrats de concession

L’analyse se poursuit par l’examen de l’applicabilité de la directive sur les concessions, laquelle pourrait primer sur la directive générale relative aux services. Les juges relèvent que les dispositions spécifiques ne s’appliquent pas si le contrat a été conclu avant l’expiration du délai légal de transposition nationale.

La valeur estimée du marché semble également inférieure aux seuils financiers requis, rendant ainsi la réglementation sectorielle inapplicable aux faits de l’espèce présente. Cette exclusion permet de soumettre le litige aux critères d’évaluation des exigences non discriminatoires prévus par le chapitre relatif à la liberté d’établissement. La soumission du litige au droit commun des services permet d’apprécier la légitimité des obstacles dressés contre la liberté d’établissement des opérateurs.

II. Le contrôle de la proportionnalité des limites à la liberté d’établissement

A. La validation de l’objectif de sécurité routière comme motif impérieux d’intérêt général

Le dispositif national instauré crée une limite quantitative et territoriale puisque « un seul concessionnaire est autorisé à fournir des cours » dans chaque zone. De telles restrictions à la liberté d’établissement doivent impérativement être justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général pour être considérées comme valides.

La sécurité publique et l’amélioration de la sécurité routière sont reconnues comme des objectifs légitimes permettant de restreindre l’accès à une activité de service. La mesure est jugée apte à garantir la couverture intégrale du territoire, assurant ainsi l’accès des citoyens aux centres de formation dans les régions isolées. Si la poursuite d’un objectif de sécurité routière justifie le principe d’une régulation, les modalités concrètes de mise en œuvre doivent rester strictement nécessaires.

B. La censure du caractère excessif de la gestion par concession exclusive

Le respect de la condition de nécessité implique que la mesure restrictive ne dépasse pas ce qui est indispensable pour atteindre le but d’intérêt général. Les juges soulignent qu’il existerait des mesures moins contraignantes, comme un simple régime d’autorisation administrative, pour assurer la prestation de ces cours spécialisés.

L’attribution d’une exclusivité géographique est censurée car « cette réglementation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt général » de sécurité. L’arrêt invite ainsi les autorités nationales à privilégier des mécanismes préservant davantage la concurrence entre les prestataires de services sur le marché intérieur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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