La Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a rendu le 19 juillet 2012 une décision relative à la compétence judiciaire. Le litige concernait un chauffeur employé par l’ambassade d’un État tiers située sur le territoire d’un État membre. Ce salarié assurait diverses missions de transport pour les services diplomatiques avant d’être licencié pour des raisons contestées. Il a saisi les juridictions du travail de l’État de sa résidence pour contester cette rupture et solliciter des indemnités de préavis. L’État employeur a opposé son immunité de juridiction ainsi qu’une clause contractuelle attribuant compétence exclusive aux tribunaux de sa propre capitale.
Le Tribunal du travail de Berlin a rejeté la demande le 2 juillet 2008 en invoquant l’immunité de juridiction souveraine. Par la suite, le Tribunal supérieur du travail de Berlin-Brandebourg a partiellement infirmé cette position par un arrêt rendu le 14 janvier 2009. La Cour fédérale du travail a cassé cette décision le 1er juillet 2010 pour obtenir des précisions sur la nature des tâches. Le problème de droit porte sur la qualification d’une ambassade comme établissement stable et sur la validité des clauses attributives de juridiction. Enfin, la Cour juge qu’une mission diplomatique constitue un établissement si le travailleur n’exerce pas de fonctions relevant de la puissance publique. Elle précise que les conventions dérogatoires de compétence ne peuvent restreindre les options protectrices offertes au salarié par le droit européen.
I. La qualification de l’ambassade comme établissement au sens du règlement
A. L’autonomie de la notion d’établissement
La Cour retient une interprétation autonome des notions de succursale, d’agence ou de tout autre établissement figurant dans le texte européen. Elle définit l’établissement comme « un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur, comme le prolongement d’une maison mère ». Cette entité doit disposer d’une direction propre et de moyens matériels suffisants pour négocier de manière autonome avec des tiers. Une mission diplomatique peut être assimilée à un tel centre lorsqu’elle agit dans le cadre de la gestion privée de son personnel. L’activité de recrutement et de gestion des agents contractuels constitue un lien suffisant avec le fonctionnement de ce siège secondaire. Cette approche permet de soumettre les États tiers aux règles de compétence communes dès lors qu’ils agissent comme de simples employeurs.
B. L’articulation entre le droit de l’Union et l’immunité de juridiction
L’application du règlement suppose que l’État ne puisse se prévaloir de son immunité de juridiction pour paralyser l’action judiciaire du travailleur. La Cour rappelle que ce principe international n’a pas une valeur absolue et se limite aux actes accomplis dans l’exercice de la souveraineté. Elle distingue les actes accomplis « iure imperii » des actes relevant de la simple gestion privée qualifiés de « iure gestionis ». En conséquence, le juge national doit vérifier si les fonctions exactes exercées par le salarié participent effectivement à l’exercice de la puissance publique. Si le chauffeur n’exécute que des tâches auxiliaires, l’immunité s’efface devant le besoin de protection judiciaire de la partie la plus faible. Cette solution garantit l’efficacité du droit au juge tout en respectant les principes fondamentaux du droit international public coutumier.
II. Le régime restrictif des clauses attributives de juridiction
A. La primauté de la protection de la partie faible
Le règlement européen organise une protection spécifique du travailleur en limitant la liberté contractuelle dans le choix du tribunal compétent. L’objectif consiste à permettre au salarié de saisir la juridiction la plus proche de ses intérêts ou du lieu d’exécution habituel. La Cour souligne que cette protection serait illusoire si l’employeur pouvait imposer un for lointain par une simple clause prédéfinie. En effet, l’article 21 du texte n’autorise les conventions dérogatoires que si elles sont postérieures au litige ou favorables au seul travailleur. La volonté des parties ne saurait faire échec aux règles de compétence impératives destinées à compenser l’asymétrie de pouvoir contractuel. Cette interprétation stricte assure que le salarié conserve toujours la faculté d’agir devant les tribunaux désignés par la norme européenne.
B. L’interdiction d’exclure les fors européens par contrat
Une clause conclue avant le différend ne peut légalement supprimer les options de saisine prévues en faveur de l’employé par la législation. La Cour précise qu’une telle convention peut seulement « offrir la possibilité au travailleur de saisir » des juridictions supplémentaires. Elle ne doit en aucun cas interdire l’accès aux tribunaux de l’État membre où le travail est habituellement accompli. La clause désignant les tribunaux d’un État tiers comme exclusivement compétents est donc inopérante si elle évince les règles protectrices. Le droit de l’Union s’oppose ainsi à ce que le salarié soit privé de son juge naturel par un mécanisme de renvoi systématique. Cette décision confirme que l’autonomie de la volonté est subordonnée au maintien des garanties juridictionnelles offertes au sein de l’espace judiciaire européen.