Cour de justice de l’Union européenne, le 19 juillet 2012, n°C-160/11

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 19 juillet 2012, une décision fondamentale relative au régime de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux véhicules d’occasion. Une société exerçant une activité de vente d’automobiles acquiert des véhicules auprès d’opérateurs ayant bénéficié d’une déduction partielle de la taxe lors de leur achat initial. Lors de la revente, l’assujetti-revendeur souhaite appliquer le régime particulier de la marge bénéficiaire prévu par la directive 2006/112 pour éviter une double imposition. L’administration fiscale refuse cette modalité en soutenant que les conditions d’exonération prévues par la législation nationale ne permettent pas l’accès à ce mécanisme dérogatoire.

Saisi d’un recours par la société, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Warszawie annule, le 10 novembre 2009, l’interprétation administrative en autorisant une application partielle du régime de la marge. Le Naczelny Sąd Administracyjny, saisi en cassation, décide de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur la compatibilité de cette solution avec le droit de l’Union. La question préjudicielle vise à déterminer si un assujetti-revendeur peut appliquer le régime de la marge pour des biens acquis auprès d’un assujetti n’ayant bénéficié que d’une déduction partielle. La Cour répond que ce régime est inapplicable dès lors que le fournisseur initial n’a pas été totalement privé de son droit à déduction. L’étude de cette solution suppose d’examiner d’abord la lecture littérale des critères d’admission au régime avant d’apprécier la hiérarchie des principes fiscaux ainsi établie.

I. L’interprétation rigoureuse des conditions d’application du régime de la marge

Le régime de la marge constitue une dérogation majeure au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dont l’accès est strictement encadré par le législateur européen.

A. Le caractère exceptionnel et exhaustif du mécanisme dérogatoire

La Cour rappelle que le régime de la marge bénéficiaire réalisé par l’assujetti-revendeur constitue un « régime particulier de TVA, dérogatoire au régime général de la directive 2006/112 ». Cette nature spécifique interdit toute extension du champ d’application par les États membres ou par les juridictions nationales au-delà des cas limitativement prévus. Les juges soulignent que l’article 314 de la directive « doit faire l’objet d’une interprétation stricte » et que les hypothèses visées « procèdent d’une énumération exhaustive ». Toute situation non expressément listée par le texte doit donc être soumise au régime de droit commun de la taxe sur la valeur ajoutée.

B. L’exigence d’une exclusion totale du droit à déduction chez le cédant

L’admission au régime de la marge suppose que le bien ait été livré par une personne n’ayant pu déduire aucune fraction de la taxe acquittée. La Cour précise que les cas d’application « ont en commun que la personne qui a livré le bien concerné à l’assujetti-revendeur n’a aucunement pu déduire la taxe ». Or, une limitation nationale du droit à déduction à hauteur de soixante pour cent n’équivaut pas à une exclusion totale au sens du droit communautaire. La juridiction affirme qu’une telle mesure constitue une simple « limitation du montant de la taxe déductible » et non une éviction complète de la possibilité de déduire. L’assujetti-revendeur ne peut donc prétendre à un régime conçu exclusivement pour corriger les effets d’une taxe résiduelle totalement incorporée dans le prix.

II. La primauté de la généralité de l’imposition sur le principe de neutralité fiscale

La décision consacre la prévalence des règles textuelles et du principe de généralité de l’impôt sur les revendications fondées sur l’équité ou la neutralité économique.

A. L’impuissance de la neutralité face à une double imposition partielle

La société requérante invoquait le risque d’une double imposition partielle pour justifier l’application du régime de la marge à la fraction de taxe non déduite. La Cour rejette cet argument en considérant que cette situation « est sans incidence sur la détermination des conditions d’application du régime d’imposition de la marge bénéficiaire ». Elle ajoute que l’élimination d’une telle double imposition « ne saurait en revanche s’opérer au prix d’une interprétation de la directive 2006/112 inconciliable avec les propres termes de celle-ci ». Le respect de la lettre de la directive prime ainsi sur la volonté de garantir une neutralité fiscale parfaite entre les différents opérateurs économiques.

B. La préservation de la proportionnalité de la taxe au prix de vente final

L’application du régime de la marge dans cette espèce aurait conduit à une rupture d’égalité en faveur de l’assujetti-revendeur par rapport aux autres reventes. La Cour estime qu’autoriser ce régime alors qu’une partie importante de la taxe a déjà été déduite « heurterait le principe de généralité de l’imposition à la TVA ». Les juges européens veillent à ce que la taxe reste proportionnelle au prix des biens, conformément aux exigences fondamentales du système commun de taxe. Une solution contraire permettrait à l’assujetti de bénéficier d’un avantage fiscal indu en cumulant une déduction partielle initiale et une base d’imposition réduite à la revente.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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