Cour de justice de l’Union européenne, le 19 juillet 2012, n°C-336/11

Par un arrêt en date du 19 juillet 2012, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les critères de classement tarifaire pour des biens consommables destinés à une machine spécifique, dans le cadre de la nomenclature combinée.

En l’espèce, une société importait des tampons de polissage destinés à des machines servant au traitement de matériaux semi-conducteurs. L’administration des douanes a classé ces produits dans la position tarifaire correspondant à des ouvrages en matière plastique, soumise à un droit de douane. La société importatrice estimait pour sa part que ces tampons devaient être considérés comme des « parties et accessoires » des machines auxquelles ils étaient destinés, classement qui les exonérait de droits de douane. Saisie par l’administration douanière à la suite d’une demande de remboursement des droits versés, la commission de conciliation et d’expertise douanière avait émis un avis favorable à la thèse de la société. Le tribunal d’instance de Lyon, saisi par la société après le rejet de sa demande de remboursement par l’administration, a suivi cet avis et a jugé que les marchandises constituaient une partie des machines. L’administration des douanes a interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel de Lyon, qui a alors décidé d’interroger la Cour de justice à titre préjudiciel.

Les prétentions des parties mettaient en opposition deux logiques de classement douanier. L’administration des douanes soutenait que le classement devait se fonder sur les caractéristiques objectives et la matière constitutive du produit, à savoir des disques plats auto-adhésifs en matière plastique relevant de la position 3919. À l’inverse, les sociétés importatrices avançaient que la destination exclusive de ces tampons pour un type de machine spécifique justifiait leur classement en tant que « parties » ou « accessoires » de ladite machine, au titre de la position 8466, puis 8486.

La question soulevée était donc de savoir si des consommables, bien qu’exclusivement destinés à une machine spécifique et nécessaires à la réalisation de sa fonction, devaient être classés comme « parties » ou « accessoires » de cette machine au sens de la section XVI de la nomenclature combinée, ou s’ils devaient être classés selon leur matière constitutive en application du chapitre 39.

La Cour a jugé que de tels biens ne constituent ni des « parties » ni des « accessoires » et doivent être classés d’après leurs caractéristiques et propriétés objectives, en l’occurrence en tant qu’ouvrages en matière plastique. Cette décision clarifie la distinction entre les éléments constitutifs d’une machine et les biens consommables nécessaires à son utilisation (I), affirmant ainsi la prévalence des caractéristiques intrinsèques du produit dans la classification douanière (II).

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I. L’interprétation stricte des notions de « partie » et d’« accessoire »

La Cour de justice a procédé à une analyse rigoureuse des concepts de « partie » et d’« accessoire » pour exclure les tampons de polissage de ces qualifications. Elle a ainsi distingué le critère de l’indispensabilité fonctionnelle de celui de la simple nécessité pour l’accomplissement d’une tâche (A), tout en précisant que l’accessoire doit conférer une capacité supplémentaire à la machine (B).

A. Le rejet de la qualification de « partie » au profit du critère fonctionnel

Pour qu’un bien soit qualifié de « partie » d’une machine, la jurisprudence exige qu’il soit indispensable au fonctionnement de l’ensemble. La Cour rappelle ce principe en l’appliquant aux faits de l’espèce. Elle observe que si les tampons de polissage sont nécessaires pour que la machine remplisse l’office auquel elle est destinée, ils ne conditionnent pas son fonctionnement mécanique ou électrique. Le raisonnement de la Cour est explicite lorsqu’elle énonce qu’« il est cependant constant que le fonctionnement mécanique et électrique de cette machine ne dépend pas de la présence d’un tel tampon de polissage. Par conséquent, les tampons de polissage ne sont pas indispensables au fonctionnement des machines à polir de tels disques. »

Ce faisant, la Cour opère une distinction fondamentale entre ce qui est nécessaire au fonctionnement même de la machine et ce qui est nécessaire à l’exécution du travail pour lequel elle est conçue. Un moteur est une partie, car sans lui, la machine ne fonctionne pas. En revanche, le tampon, qui est un consommable, n’empêche pas la machine de tourner, même si son absence rend l’opération de polissage impossible. Le fait qu’un même appareil puisse recevoir différents types de tampons vient renforcer cette analyse, soulignant le caractère interchangeable et non structurel de ces éléments.

B. L’exclusion de la qualification d’« accessoire » en l’absence de fonction additionnelle

Après avoir écarté la qualification de « partie », la Cour examine si les tampons pourraient être considérés comme des « accessoires ». La notion d’accessoire implique qu’un élément permette d’adapter un appareil à un travail particulier, lui confère des possibilités supplémentaires ou assure un service spécifique en lien avec sa fonction principale. L’analyse de la Cour est, sur ce point également, sans équivoque.

Elle constate que les tampons de polissage ne dotent pas la machine de capacités nouvelles. Au contraire, ils sont l’outil même par lequel la machine exerce sa fonction unique et principale. La Cour le formule ainsi : « ces tampons ne permettent pas d’adapter lesdites machines à un travail particulier, pas plus qu’ils ne leur confèrent des possibilités supplémentaires ou qu’ils ne les mettent en mesure d’assurer un service particulier en corrélation avec leur fonction principale. » Un accessoire étend le champ des possibles d’une machine, tandis que le tampon de polissage ne fait que permettre l’exécution de sa fonction préexistante. Cette interprétation ferme la porte à un classement qui serait fondé sur la seule destination du produit, même si celle-ci est exclusive.

En écartant la qualification de partie ou d’accessoire, la Cour réaffirme un principe fondamental du droit douanier. Elle privilégie une approche objective qui garantit la sécurité juridique et l’uniformité du classement au sein de l’Union.

II. La primauté du critère objectif de classement sur la destination du produit

La solution retenue par la Cour de justice consacre la prépondérance des caractéristiques objectives d’une marchandise sur sa finalité économique. Cette décision s’inscrit dans une logique matérialiste du classement douanier qui vise à assurer la prévisibilité du système (A) et sa portée s’étend à de nombreux consommables industriels dont le statut tarifaire se trouve ainsi clarifié (B).

A. La confirmation d’une approche matérialiste du classement douanier

La Cour rappelle une règle constante de sa jurisprudence selon laquelle « le critère décisif pour la classification tarifaire des marchandises doit être recherché, d’une manière générale, dans leurs caractéristiques et propriétés objectives, telles que définies par le libellé de la position de la [nomenclature combinée] et des notes de section ou de chapitre ». En appliquant ce principe, elle juge que les tampons de polissage, étant des formes plates auto-adhésives en matière plastique, doivent être classés en fonction de cette nature matérielle. La note 2 du chapitre 39, qui exclut les articles de la section XVI, ne trouve à s’appliquer que si les biens peuvent être positivement qualifiés de « parties » ou d’« accessoires », ce qui a été écarté.

La valeur de cette solution réside dans sa cohérence et sa rigueur. Elle évite que le classement tarifaire dépende de la destination d’un produit, une donnée qui peut être variable et difficile à contrôler pour les autorités douanières. En se fondant sur des critères physiques et chimiques vérifiables, la Cour garantit une application uniforme du tarif douanier commun. Le fait que les tampons soient exclusivement conçus pour un type de machine ne suffit pas à créer un lien fonctionnel au sens de la nomenclature. Cette approche préserve l’intégrité de la structure de la nomenclature, où les chapitres basés sur la matière constitutive forment le socle du système.

B. La portée de la solution pour les consommables industriels

Au-delà du cas d’espèce, la portée de cet arrêt est considérable pour l’ensemble des consommables industriels. De nombreux secteurs utilisent des produits qui, comme les tampons de polissage, sont spécifiquement conçus pour une machine, s’usent lors du processus de production et doivent être remplacés régulièrement. On peut penser aux filtres, aux lames, aux meules ou à d’autres outils qui ne sont pas des parties mécaniques de la machine mais des agents de son action.

La décision de la Cour établit une ligne directrice claire : de tels articles, lorsqu’ils ne sont pas indispensables au fonctionnement mécanique ou électrique de la machine et ne lui ajoutent pas de fonction nouvelle, doivent être classés selon leur matière. Cette solution a des conséquences économiques importantes, car les droits de douane applicables aux matières premières ou aux produits semi-finis sont souvent différents de ceux applicables aux parties et accessoires de machines. Elle contraint les opérateurs économiques à une analyse plus fine de la nature de leurs produits, indépendamment de leur usage final. L’arrêt solidifie ainsi la prééminence d’une lecture littérale et objective de la nomenclature combinée, au détriment d’une approche finaliste qui pourrait introduire une part d’incertitude dans le droit douanier.

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Hassan KOHEN
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