Cour de justice de l’Union européenne, le 19 juillet 2012, n°C-451/11

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 19 juillet 2012, une décision majeure relative à l’interprétation de l’accord d’association entre la Communauté et la Turquie. Le litige opposait une ressortissante d’un État tiers à une administration nationale au sujet d’un refus de délivrance d’un permis de séjour régulier. La requérante avait rejoint son époux, travailleur turc intégré au marché de l’emploi, et résidé avec lui pendant une durée supérieure à trois années. L’autorité compétente considérait que le bénéfice des dispositions sociales de l’association était exclusivement réservé aux membres de la famille possédant également la nationalité turque. Saisie par une juridiction de renvoi, la Cour devait déterminer si l’article 7 de la décision n° 1/80 impose une condition de nationalité aux ayants droit. Elle juge qu’un ressortissant d’un pays tiers peut invoquer ces dispositions dès lors qu’il remplit les conditions de résidence et de lien familial. L’analyse de cette solution implique d’étudier l’interprétation autonome de la qualité de bénéficiaire puis d’observer l’assimilation du régime au droit commun européen.

I. L’interprétation téléologique et autonome de la notion de membre de la famille

A. L’objectivation de la condition de nationalité des ayants droit

La Cour rappelle que l’article 7 de la décision n° 1/80 constitue une composante intégrante du droit de l’Union dont l’application doit demeurer uniforme. Elle constate expressément qu’« aucune condition relative à la nationalité des membres de la famille n’y figure » pour restreindre le bénéfice des droits sociaux prévus. Le texte ne contient aucune définition restrictive et ne renvoie pas davantage aux législations nationales des États membres pour préciser le contour des bénéficiaires. Cette absence de précision conduit les juges à privilégier une interprétation autonome qui détache la qualité de membre de la famille de l’allégeance nationale. La protection juridique s’attache donc à la réalité du lien matrimonial ou familial plutôt qu’au passeport détenu par la personne rejoignant le travailleur migrant.

B. La préservation de l’objectif d’intégration par le regroupement familial

L’acquisition progressive des droits au titre de la décision de l’association poursuit le but essentiel de favoriser l’intégration du travailleur dans l’État d’accueil. Le regroupement familial est perçu comme un « moyen indispensable pour permettre la vie en famille » et contribue directement à la cohésion sociale de la société. La Cour souligne que les avantages découlant de la vie commune sont « manifestement indépendants de la nationalité des membres de la famille » autorisés à séjourner. Limiter le bénéfice de ces dispositions aux seuls ressortissants turcs porterait une atteinte disproportionnée à l’objectif de stabilisation de la main-d’œuvre étrangère régulière. La reconnaissance d’un droit de séjour autonome pour le conjoint permet ainsi de consolider sa position juridique sans dépendre indéfiniment du statut du travailleur.

II. L’alignement du statut de l’association sur les principes de libre circulation

A. L’analogie constante avec le régime général des travailleurs migrants

Les dispositions sociales de l’association constituent une étape vers la réalisation de la libre circulation, s’inspirant directement des articles fondamentaux du traité sur l’Union. La juridiction précise qu’il convient de se référer à la portée reconnue au droit dérivé pour définir les droits accordés aux membres de la famille. Or, la réglementation européenne prévoit traditionnellement que les proches peuvent s’installer avec le travailleur migrant « quelle que fût leur nationalité » au sein de l’Union. Cette analogie structurelle justifie d’écarter toute discrimination fondée sur l’origine tierce du conjoint au sein du régime particulier instauré avec la République de Turquie. La cohérence du système juridique impose donc de traiter les situations comparables de manière identique pour assurer l’efficacité réelle des libertés de circulation garanties.

B. La conciliation nécessaire entre droits fondamentaux et prérogatives étatiques

L’interprétation extensive de la notion de membre de la famille ne prive pas pour autant les autorités nationales de leur légitime pouvoir de contrôle migratoire. Le bénéfice des droits reste subordonné à l’« autorisation de rejoindre le travailleur migrant » accordée selon les prescriptions de la réglementation de l’État membre concerné. Cette condition permet d’exclure les personnes résidant irrégulièrement tout en garantissant le respect de la vie privée et familiale protégée par la Charte fondamentale. L’arrêt confirme que le droit au regroupement dépend d’une décision initiale des autorités mais produit ensuite des effets juridiques contraignants pour l’administration publique. La solution assure ainsi un équilibre entre la maîtrise souveraine des flux migratoires et la sécurité juridique nécessaire aux familles de travailleurs légalement intégrés.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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