Cour de justice de l’Union européenne, le 19 juillet 2017, n°C-143/16

Par un arrêt en date du 19 juillet 2017, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la compatibilité d’une législation nationale prévoyant un régime de contrat de travail spécifique pour les jeunes avec le principe de non-discrimination en raison de l’âge. En l’espèce, un salarié avait été engagé par une société sous contrat de travail intermittent avant d’atteindre l’âge de vingt-cinq ans. Conformément à la législation nationale applicable, la relation de travail a pris fin automatiquement le jour de son vingt-cinquième anniversaire, au motif que la condition d’âge requise pour ce type de contrat n’était plus remplie. Le salarié a contesté la rupture de son contrat, la jugeant discriminatoire. La juridiction de première instance, le Tribunale di Milano, a déclaré son recours irrecevable. Saisie en appel, la Corte d’appello di Milano a, par un arrêt du 3 juillet 2014, infirmé cette décision, constaté l’existence d’une relation de travail à durée indéterminée et ordonné la réintégration du salarié. La société a alors formé un pourvoi devant la Corte suprema di cassazione. Cette dernière a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agissait donc pour la Cour de justice de déterminer si le principe de non-discrimination en raison de l’âge, consacré par la directive 2000/78/CE, s’oppose à une réglementation nationale qui autorise la conclusion de contrats de travail intermittents avec des personnes de moins de vingt-cinq ans et qui entraîne la cessation automatique de ces contrats lorsque cet âge est atteint. La Cour de justice a répondu que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une telle disposition nationale, à la condition que celle-ci poursuive un objectif légitime de politique de l’emploi et que les moyens mis en œuvre pour l’atteindre soient appropriés et nécessaires.

La validation par la Cour d’une différence de traitement fondée sur l’âge s’appuie sur une analyse rigoureuse des objectifs de politique de l’emploi (I), tout en posant la question de la portée de cette flexibilité accordée au détriment de la stabilité de l’emploi du jeune travailleur (II).

I. La validation d’une différence de traitement au nom d’un objectif de politique de l’emploi

La Cour de justice reconnaît d’abord l’existence d’une discrimination directe fondée sur l’âge, mais la justifie en admettant la légitimité de l’objectif d’insertion professionnelle des jeunes (A) et en procédant à un contrôle de la proportionnalité des moyens employés par l’État membre (B).

A. La reconnaissance d’un objectif légitime d’insertion professionnelle des jeunes

La Cour constate sans équivoque que la législation italienne, en prévoyant un traitement différencié pour les travailleurs de moins de vingt-cinq ans, « instaure une différence de traitement fondée sur l’âge, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78 ». En effet, la cessation automatique du contrat à un âge déterminé place le salarié dans une situation moins favorable que celle d’autres travailleurs en raison de son âge. Cependant, une telle différence de traitement peut être justifiée au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la même directive, si elle est objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime.

À cet égard, la Cour se montre réceptive aux arguments du gouvernement italien, selon lesquels la mesure vise à « favoriser l’entrée des jeunes sur le marché du travail ». L’objectif est de rendre le marché du travail plus flexible pour inciter les employeurs à recruter des jeunes travailleurs qui, souvent, manquent d’expérience professionnelle. La Cour rappelle que la promotion de l’embauche, et plus spécifiquement l’insertion professionnelle des jeunes, constitue un objectif légitime de politique sociale et d’emploi reconnu par sa jurisprudence constante. Elle s’appuie sur l’article 6, paragraphe 1, second alinéa, sous a), de la directive, qui autorise explicitement la mise en place de « conditions spéciales d’accès à l’emploi […] pour les jeunes […] en vue de favoriser leur insertion professionnelle ». L’objectif poursuivi par la loi nationale est donc jugé conforme au cadre fixé par le droit de l’Union.

B. Le contrôle de proportionnalité des moyens mis en œuvre

Une fois la légitimité de l’objectif admise, la Cour devait encore vérifier si les moyens employés étaient appropriés et nécessaires pour l’atteindre. Sur le caractère approprié, la Cour estime qu’un contrat de travail moins rigide et moins coûteux peut effectivement encourager les entreprises à embaucher de jeunes travailleurs, contribuant ainsi à l’objectif d’insertion. Le lien entre la flexibilité offerte par le contrat intermittent et la stimulation de l’embauche des jeunes est jugé suffisamment pertinent.

Concernant la nécessité de la mesure, la Cour exerce un contrôle plus délicat. Elle prend en considération le contexte économique difficile et le fait que ces formes de travail flexibles sont présentées comme un moyen de lutter contre le chômage des jeunes et le travail illégal. L’argument selon lequel la terminaison automatique du contrat permet à « le plus grand nombre possible de jeunes » de bénéficier de cette première expérience professionnelle est déterminant. La Cour estime que si ces contrats devenaient stables, l’effet de « tremplin » recherché serait limité à un plus petit nombre de bénéficiaires. La mesure est également considérée comme proportionnée car elle est assortie de garanties, notamment l’égalité de traitement en matière de rémunération et de conditions de travail pour les périodes travaillées. En définitive, en accordant aux États membres une « large marge d’appréciation » en matière de politique sociale, la Cour conclut que le législateur national a pu raisonnablement considérer la mesure comme nécessaire.

II. La portée d’une flexibilité encadrée au détriment de la stabilité de l’emploi

La solution retenue par la Cour de justice invite à une réflexion sur l’équilibre délicat entre la flexibilité du marché du travail et la sécurité de l’emploi (A). Elle inscrit par ailleurs cette décision dans une logique plus large de justification des discriminations positives en droit social européen (B).

A. L’appréciation de la balance entre flexibilité du marché et sécurité du travailleur

L’arrêt met en lumière la tension inhérente entre un objectif collectif de politique de l’emploi et le droit individuel à la non-discrimination et à la stabilité de l’emploi. En validant un dispositif qui programme la fin d’une relation de travail à une date anniversaire, la Cour accepte une forme de précarité institutionnalisée pour une catégorie de travailleurs. Le contrat intermittent est conçu comme un « tremplin », mais il ne garantit nullement une transition vers un emploi stable ; au contraire, il l’interrompt de manière certaine. On peut s’interroger sur la valeur d’une mesure qui offre une première expérience professionnelle si celle-ci se solde par un licenciement automatique sans tenir compte des compétences acquises ou de la performance du salarié.

La critique pourrait porter sur le caractère véritablement « nécessaire » de la cessation automatique. D’autres mécanismes moins attentatoires à la sécurité de l’emploi auraient pu être envisagés, comme des aides à l’embauche dégressives ou des contrats à durée déterminée dont le renouvellement serait conditionné. La décision de la Cour semble privilégier une vision macroéconomique de l’emploi, où la fluidité du marché et l’accès du plus grand nombre priment sur la consolidation des parcours professionnels individuels. La protection offerte au jeune travailleur est donc relative : il bénéficie d’une porte d’entrée sur le marché du travail, mais celle-ci se referme mécaniquement, le renvoyant à une situation d’incertitude.

B. L’inscription de la solution dans une logique de justification des discriminations positives

Au-delà du cas d’espèce, la portée de cet arrêt réside dans la confirmation qu’une différence de traitement fondée sur l’âge peut être justifiée lorsqu’elle s’apparente à une mesure de discrimination positive. La Cour légitime une politique qui cible une catégorie de la population jugée vulnérable sur le marché du travail — les jeunes — pour lui offrir des conditions d’accès spécifiques. Cette approche pragmatique reconnaît que l’égalité de traitement formelle peut parfois être un obstacle à l’égalité des chances réelle.

Cette décision fournit ainsi aux États membres des orientations précieuses pour la conception de leurs politiques de l’emploi. Elle confirme qu’ils disposent d’une marge de manœuvre significative pour déroger au principe de non-discrimination afin de poursuivre des objectifs sociaux légitimes, à condition de le faire de manière proportionnée. Toutefois, l’arrêt souligne implicitement les limites d’un tel raisonnement : la justification repose fortement sur le contexte économique et sur le caractère temporaire et introductif de l’expérience professionnelle. La solution ne saurait donc être étendue à des situations où la différence de traitement affecterait des travailleurs plus âgés ou viserait des objectifs autres que l’insertion sur le marché du travail. En définitive, cet arrêt illustre la manière dont la Cour de justice arbitre entre la rigueur d’un principe fondamental et les impératifs des politiques nationales de l’emploi.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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