Cour de justice de l’Union européenne, le 19 juillet 2017, n°C-422/16

Par un arrêt du 14 juin 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions d’utilisation des dénominations « lait » et « produits laitiers » dans le cadre de la commercialisation de denrées alimentaires. En l’espèce, une société spécialisée dans la production et la distribution d’aliments végétariens et végétaliens commercialisait des produits purement végétaux sous des appellations telles que « beurre de tofu » ou encore « fromage végétal ». Une association de lutte contre la concurrence déloyale, considérant cette pratique contraire à la réglementation européenne, a intenté une action en cessation devant une juridiction allemande. Cette dernière, le Landgericht Trier, a alors saisi la Cour de justice à titre préjudiciel afin de savoir si le règlement (UE) n° 1308/2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles, s’opposait à l’utilisation de dénominations réservées aux produits laitiers pour des produits d’origine purement végétale, y compris lorsque des mentions descriptives précisant leur origine sont ajoutées. La Cour de justice de l’Union européenne répond par l’affirmative, jugeant que les dénominations protégées telles que « lait », « beurre » ou « fromage » sont exclusivement réservées aux produits d’origine animale et que l’ajout de termes descriptifs ne peut déroger à cette règle, sauf exception limitativement énumérée par la réglementation.

La solution de la Cour se fonde sur une interprétation particulièrement stricte des textes protégeant les dénominations laitières (I), ce qui la conduit à valider sans réserve le cadre réglementaire établi par le législateur de l’Union et ses finalités (II).

I. La consécration d’une protection stricte des dénominations laitières

La Cour opère une lecture littérale des dispositions du règlement (I.A), laquelle rend inopérante l’adjonction de tout terme complémentaire visant à préciser la nature végétale d’un produit (I.B).

A. Une interprétation textuelle des dénominations protégées

La Cour de justice ancre son raisonnement dans la définition même que le règlement donne du lait. Elle rappelle que, selon l’annexe VII, partie III, point 1, du règlement, la dénomination « lait » est « réservée exclusivement au produit de la sécrétion mammaire normale, obtenu par une ou plusieurs traites, sans aucune addition ni soustraction ». Une telle définition, par sa nature même, exclut tout produit qui ne serait pas d’origine animale. Le juge européen en déduit logiquement qu’un produit purement végétal ne saurait légalement porter la dénomination de « lait ».

Cette analyse s’étend aux produits dérivés. La Cour précise en effet que les « produits laitiers », au sens de la réglementation, sont « les produits dérivés exclusivement du lait ». Par conséquent, des dénominations comme « crème », « fromage » ou « yoghourt » sont réservées à des produits contenant des constituants du lait. La Cour souligne qu’un produit purement végétal « ne contient, par définition, aucun constituant du lait », ce qui le prive de la possibilité d’utiliser légalement ces appellations. L’approche se veut ainsi formaliste, s’attachant exclusivement à la composition intrinsèque du produit, conformément à la lettre du règlement.

B. Le rejet des mentions descriptives comme facteur d’exonération

Face à l’argument selon lequel l’ajout de termes clarifiant l’origine végétale, comme « de tofu » ou « de soja », préviendrait tout risque de confusion, la Cour oppose une fin de non-recevoir. Elle juge que de telles mentions ne peuvent régulariser l’usage d’une dénomination protégée pour un produit non conforme. Le règlement prévoit certes que la dénomination « lait » peut être utilisée « conjointement avec un ou plusieurs termes pour désigner le type, la classe qualitative, l’origine et/ou l’utilisation envisagée du lait », mais cette faculté est conditionnée au fait que les modifications décrites se limitent à l’addition ou à la soustraction de constituants naturels du lait.

L’utilisation de dénominations réservées pour des produits végétaux n’entre manifestement pas dans ce cadre. La Cour conclut donc que l’ajout de mentions explicatives est « sans influence sur une telle interdiction ». Cette position confirme une jurisprudence antérieure où elle avait déjà jugé qu’un produit ne pouvait être désigné par une dénomination laitière si un constituant du lait avait été remplacé, même partiellement. La protection accordée par le règlement est donc absolue et ne saurait être contournée par des artifices sémantiques, l’interdiction portant sur la dénomination elle-même et non sur la présentation globale du produit.

II. La validation des objectifs de l’organisation commune des marchés

La Cour justifie cette interprétation stricte en la rattachant aux objectifs poursuivis par le législateur de l’Union (II.A) et écarte par là même toute remise en cause de la proportionnalité ou de la cohérence du dispositif (II.B).

A. La primauté de la protection des consommateurs et de la loyauté de la concurrence

La Cour rappelle que les normes de commercialisation visent à « améliorer les conditions économiques de production et de commercialisation ainsi que la qualité des produits » et à protéger les consommateurs. Selon elle, réserver les dénominations laitières aux seuls produits qui en respectent la définition contribue directement à ces objectifs. Cela garantit aux consommateurs que les produits ainsi désignés répondent à des standards de composition et de qualité uniformes, liés à la nature du lait animal.

Permettre l’usage de ces dénominations pour des substituts végétaux, même avec des précisions, créerait un « risque de confusion » et nuirait à l’objectif de protection des consommateurs. De plus, une telle pratique fausserait les conditions de concurrence au détriment des producteurs de lait et de produits laitiers. En préservant l’exclusivité de ces appellations, la réglementation assure une concurrence non faussée entre des produits qui, par leur nature, ne sont pas identiques. La Cour estime donc que l’interdiction est un outil adéquat et pertinent pour atteindre les buts fixés par la politique agricole commune.

B. Le caractère exhaustif des exceptions réglementaires

La société défenderesse soutenait qu’une exception prévue par le règlement pour les « produits dont la nature exacte est connue en raison de l’usage traditionnel » devait s’appliquer. La Cour écarte cet argument en soulignant que cette dérogation fait l’objet d’une liste exhaustive établie par la décision 2010/791/UE. Or, ni les produits à base de soja ni ceux à base de tofu ne figurent sur cette liste. L’exception ne peut donc être invoquée, son champ d’application étant strictement délimité par les États membres et la Commission.

Enfin, la Cour rejette les arguments fondés sur une violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement. Elle juge la mesure proportionnée, car l’ajout de mentions descriptives ne suffit pas à « empêcher avec certitude tout risque de confusion ». Concernant l’égalité de traitement, le fait que les producteurs de substituts de viande ne subissent pas les mêmes restrictions est jugé inopérant. La Cour rappelle en effet que les différents secteurs de l’organisation commune des marchés agricoles présentent des spécificités propres et que des produits dissemblables peuvent être soumis à des règles différentes sans qu’il y ait pour autant discrimination.

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Hassan KOHEN
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