Cour de justice de l’Union européenne, le 19 juin 2014, n°C-11/13

En l’espèce, la Cour de justice de l’Union européenne, dans une décision préjudicielle, a été amenée à préciser les conditions d’obtention d’un certificat complémentaire de protection pour les produits phytopharmaceutiques. Un litige est né du refus par l’office allemand des brevets et des marques d’accorder un tel certificat au titulaire d’un brevet protégeant un phytoprotecteur, substance destinée à réduire les effets toxiques d’un herbicide sur les cultures. Le titulaire du brevet a formé un recours devant le *Bundespatentgericht*, qui a saisi la Cour d’une question préjudicielle. Cette juridiction nationale s’interrogeait sur la qualification de phytoprotecteur au regard du droit de l’Union. En effet, le règlement n° 1610/96 subordonne la délivrance d’un certificat à la protection d’un « produit », défini comme une « substance active » ou une composition de substances actives. Or, la notion de substance active implique, selon le même règlement, une action exercée sur les organismes nuisibles ou sur les végétaux, ce que ne fait pas directement un phytoprotecteur dont le rôle est de préserver la plante cultivée de l’action de l’herbicide. La question posée à la Cour était donc de savoir si une substance agissant comme un phytoprotecteur pouvait être qualifiée de « substance active » au sens du règlement n° 1610/96 et ainsi ouvrir droit à la délivrance d’un certificat complémentaire de protection. La Cour de justice y répond par l’affirmative, à la condition que la substance exerce une action toxique, phytotoxique ou phytopharmaceutique propre, laissant à la juridiction nationale le soin de vérifier si tel est le cas en l’espèce. La Cour consacre ainsi une interprétation fonctionnelle de la notion de substance active (I), offrant une solution pragmatique conforme aux finalités du certificat complémentaire de protection (II).

I. La consécration d’une interprétation fonctionnelle de la notion de substance active

La Cour de justice précise le périmètre de la notion de « substance active » en se fondant sur un critère essentiel, celui de l’existence d’une action propre (A), tout en confiant au juge national le soin d’en vérifier l’application concrète (B).

A. L’action propre comme critère déterminant de la qualification

Pour déterminer si un phytoprotecteur peut être qualifié de substance active, la Cour analyse les définitions fournies par le règlement n° 1610/96. L’article 1er, point 3, de ce règlement définit les substances actives comme celles « exerçant une action générale ou spécifique […] sur les organismes nuisibles ou […] sur les végétaux, parties de végétaux ou produits végétaux ». La Cour en déduit que cette notion « se rapporte aux substances produisant une action toxique, phytotoxique ou phytopharmaceutique propre ». Elle établit ainsi un critère fonctionnel clair : seule une substance dotée d’un effet biologique propre peut prétendre à cette qualification.

Par cette approche, la Cour refuse de limiter la notion aux seules substances qui agissent directement contre un organisme nuisible. Elle précise d’ailleurs que le règlement « n’opérant aucune distinction selon le caractère direct ou indirect de cette action, il n’y a pas lieu de restreindre la notion de ‘substances actives’ à celles dont l’action peut être qualifiée de directe ». Cette interprétation large s’oppose néanmoins à ce qu’une substance totalement inerte, dépourvue de tout effet propre, puisse être qualifiée de substance active. La Cour opère ainsi une analogie avec sa jurisprudence en matière de médicaments, où elle a déjà jugé qu’un simple excipient, « dépourvu d’effets pharmaceutiques propres », ne constitue pas un principe actif. Le phytoprotecteur, pour être éligible, doit donc avoir une action intrinsèque, même si celle-ci ne consiste qu’à moduler les effets d’une autre substance.

B. Le renvoi au juge national pour l’appréciation factuelle de l’action

Après avoir posé le critère juridique de l’action propre, la Cour renvoie à la juridiction nationale la responsabilité de son application au cas d’espèce. Il incombe ainsi au *Bundespatentgericht* de « vérifier, à la lumière de tous les éléments factuels et scientifiques pertinents, si la substance en cause au principal peut, en raison de son action en tant que phytoprotecteur, être qualifiée de ‘substance active' ». Cette répartition des rôles est classique dans le cadre d’une procédure préjudicielle, où la Cour de justice dit le droit et le juge national l’applique aux faits du litige dont il est saisi.

La Cour guide cependant la juridiction de renvoi en soulignant la finalité du phytoprotecteur, qui est d’annihiler ou de réduire les effets phytotoxiques d’un produit sur certaines plantes. Une telle action, qui modifie la sélectivité et l’efficacité d’un herbicide, pourrait être interprétée comme une action phytopharmaceutique propre. De plus, la Cour relève que la procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM) du produit contenant le phytoprotecteur a effectivement « réduit la durée effective de protection du brevet ». Cette considération factuelle, bien que relevant de l’appréciation du juge national, est un indice important, car elle rattache directement le phytoprotecteur à la finalité compensatoire du certificat complémentaire de protection.

II. Une solution pragmatique en accord avec les finalités du certificat complémentaire de protection

En adoptant une définition souple de la substance active, la Cour aligne le régime des produits phytopharmaceutiques sur celui d’autres produits réglementés (A) et réaffirme l’objectif fondamental du certificat, qui est de compenser l’érosion de la durée de protection du brevet (B).

A. La clarification du statut des substances à effet non direct

La solution retenue par la Cour a le mérite de clarifier le traitement juridique des substances dont l’action n’est pas directement dirigée contre la cible finale du produit. En refusant de considérer un phytoprotecteur comme un simple coformulant ou un excipient inerte, la Cour reconnaît sa contribution essentielle à l’efficacité et à la sécurité du produit phytopharmaceutique final. Cette position est cohérente avec sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Söll* relatif aux produits biocides, où elle avait admis qu’un produit pouvait être qualifié de biocide même si son action sur les organismes cibles n’était qu’indirecte.

Inversement, la Cour maintient une distinction claire avec les substances véritablement passives, comme l’a jugé l’arrêt *Massachusetts Institute of Technology* pour les médicaments. Un phytoprotecteur n’est pas un simple véhicule ; il interagit avec les processus biologiques de la plante pour la protéger. En exigeant une « action propre », la Cour établit un équilibre : elle étend le bénéfice du certificat aux innovations portant sur des composants essentiels qui ne sont pas l’agent herbicide principal, sans pour autant ouvrir la porte à la protection de n’importe quel ingrédient de la formulation. L’évolution de la réglementation, notamment le règlement n° 1107/2009 qui distingue les phytoprotecteurs des substances actives, n’a pas conduit la Cour à une interprétation restrictive du règlement antérieur, démontrant une approche autonome et téléologique.

B. La portée de la décision pour la protection des innovations phytopharmaceutiques

Au-delà de la qualification juridique, la décision de la Cour repose sur la finalité même du certificat complémentaire de protection. Comme elle le rappelle, ce mécanisme vise à « compenser, au moins partiellement, le retard pris dans l’exploitation commerciale de son invention en raison du laps de temps qui s’est écoulé entre la date du dépôt de la demande de brevet et celle de l’obtention de la première AMM ». Or, la mise au point d’un phytoprotecteur et son intégration dans un produit final sont soumises aux mêmes contraintes réglementaires longues et coûteuses que celles d’une substance herbicide classique.

La juridiction de renvoi avait elle-même constaté que l’isoxadifène avait été examiné dans le cadre d’une procédure d’AMM provisoire et que la durée de cette procédure avait réduit la durée de protection du brevet. Ignorer cette réalité économique et réglementaire aurait créé une faille dans le système de protection, décourageant l’innovation dans le domaine des phytoprotecteurs, qui sont pourtant essentiels pour améliorer la sélectivité et la durabilité de l’agriculture. En permettant potentiellement à un brevet sur un phytoprotecteur de bénéficier d’un certificat, la Cour assure que l’incitation à la recherche et au développement est maintenue pour l’ensemble des technologies contribuant à l’efficacité et à la sécurité des produits phytopharmaceutiques. La solution garantit ainsi que la protection offerte par le droit de l’Union est en adéquation avec les réalités de l’innovation dans ce secteur.

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Hassan KOHEN
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