La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision rendue sur renvoi préjudiciel d’une juridiction allemande, vient préciser les contours de l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge en matière de rémunération des fonctionnaires. En l’espèce, des fonctionnaires allemands, recrutés sous l’empire d’une ancienne législation, ont contesté leur rémunération, dont le montant initial était déterminé en fonction de leur âge au moment de leur titularisation. Cette législation a été remplacée par un nouveau système fondé sur l’expérience professionnelle, mais une loi transitoire a prévu le reclassement des fonctionnaires déjà en poste. Ce reclassement s’opérait en se fondant sur le montant de la dernière rémunération perçue sous l’ancien régime, perpétuant ainsi les écarts de traitement initialement fondés sur l’âge.
Saisis du litige, plusieurs agents publics ont formé un recours devant le tribunal administratif de Berlin, soutenant que l’ancien système de rémunération ainsi que les modalités de transition vers le nouveau régime constituaient une discrimination directe fondée sur l’âge, prohibée par la directive 2000/78/CE. Face à la difficulté d’interpréter le droit de l’Union et ses conséquences sur la législation nationale, la juridiction allemande a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice. La question de droit posée était double : d’une part, un système national de rémunération des fonctionnaires qui se fonde sur l’âge de recrutement constitue-t-il une discrimination interdite par le droit de l’Union ? D’autre part, une loi transitoire qui, pour des motifs de sécurité juridique et de contraintes administratives, maintient les effets de cette discrimination peut-elle être considérée comme justifiée ?
À cette double interrogation, la Cour apporte une réponse nuancée. Elle juge d’abord qu’un système de rémunération qui différencie les fonctionnaires sur la base de leur âge lors du recrutement instaure bien une discrimination directe interdite. Cependant, elle admet que la législation transitoire, bien que prolongeant les effets de cette discrimination, peut être justifiée au regard des objectifs poursuivis par l’État membre. La solution de la Cour conduit ainsi à examiner la condamnation de principe de la discrimination salariale fondée sur l’âge (I), avant d’analyser la justification accordée à la perpétuation de ses effets dans un cadre transitoire (II).
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I. La condamnation d’une discrimination salariale directe fondée sur l’âge
La Cour de justice confirme sans équivoque qu’un système de rémunération qui utilise l’âge comme critère de fixation du traitement initial des fonctionnaires constitue une discrimination directe (A), et que celle-ci ne saurait être justifiée par la volonté de récompenser l’expérience professionnelle de manière forfaitaire (B).
A. L’identification d’une différence de traitement directement fondée sur l’âge
La Cour constate que le mécanisme de l’ancienne loi allemande conduisait inévitablement à une différence de traitement. En effet, la rémunération de base était calculée à partir d’un « âge de référence » qui, malgré des ajustements, demeurait intrinsèquement lié à l’âge réel de l’agent au moment de son entrée en fonction. La Cour relève que « le traitement de base attribué à deux fonctionnaires recrutés le même jour dans le même grade, qui disposent d’une expérience professionnelle égale ou équivalente mais qui sont d’âges différents, sera différent en fonction de l’âge qui est le leur au moment de ce recrutement ».
Ce faisant, la Cour conclut à l’existence d’une situation où des agents placés dans une situation comparable sont traités différemment sur la seule base de leur âge. Une telle situation correspond précisément à la définition de la discrimination directe, telle qu’elle est énoncée à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78. Le raisonnement de la juridiction européenne est ici limpide : l’âge, en tant que critère de différenciation salariale, est en lui-même suspect et établit une discrimination directe, sans qu’il soit nécessaire de recourir à un critère intermédiaire ou à une analyse statistique complexe pour en démontrer l’existence.
B. Le rejet de la justification tirée de l’expérience professionnelle présumée
Face à cette discrimination avérée, le gouvernement allemand avançait un objectif de justification : valoriser de manière forfaitaire l’expérience professionnelle acquise par les agents avant leur recrutement. La Cour reconnaît que « l’objectif visant à récompenser l’expérience acquise par un travailleur, laquelle met celui-ci en mesure de mieux s’acquitter de ses prestations, constitue, en règle générale, un but légitime de politique salariale ». Toutefois, pour qu’une mesure dérogatoire soit acceptable au regard de l’article 6 de la directive, ses moyens doivent être appropriés et nécessaires.
Or, la Cour estime que le critère de l’âge n’est pas un outil adéquat pour mesurer l’expérience. En se fondant exclusivement sur l’âge au moment du recrutement, le système allemand ne prenait pas en compte l’expérience professionnelle réellement acquise, mais se contentait de la présumer. Un tel mécanisme va donc, selon la Cour, « au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime invoqué ». En d’autres termes, si l’ancienneté dans un poste peut être un critère pertinent pour récompenser l’expérience, l’âge biologique lors de l’embauche ne l’est pas. Cette position réaffirme une jurisprudence constante qui impose un lien tangible et pertinent entre le critère de différenciation utilisé et l’objectif légitime poursuivi.
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II. L’admission de la perpétuation justifiée de la discrimination
Si la Cour condamne fermement le système initial, elle adopte une approche plus pragmatique s’agissant de la loi de transition, en admettant que la pérennisation temporaire de la discrimination peut être justifiée par un objectif de protection des droits acquis (A) et par les contraintes matérielles d’une réforme d’envergure (B).
A. La protection des droits acquis comme objectif légitime
La loi transitoire allemande avait pour but de reclasser les fonctionnaires en poste en se basant sur leur rémunération antérieure, ce qui avait pour effet de maintenir les inégalités créées par l’ancien système. La Cour reconnaît que ce mécanisme « a perpétué une situation discriminatoire ». Néanmoins, elle examine si cette perpétuation peut être justifiée au regard de l’article 6 de la directive. Le gouvernement allemand invoquait la nécessité de protéger les droits acquis et les attentes légitimes des fonctionnaires quant à l’évolution de leur carrière.
La Cour accueille favorablement cet argument, rappelant que « la protection des droits acquis par une catégorie de personnes constitue une raison impérieuse d’intérêt général ». Elle constate que l’application immédiate du nouveau système aurait entraîné une perte de salaire pour de nombreux agents, et que la transition en douceur était une condition essentielle à l’acceptation de la réforme par les partenaires sociaux. Le maintien temporaire de la situation antérieure, bien qu’imparfait, apparaît donc comme une mesure appropriée pour atteindre un objectif légitime de stabilité et de paix sociale dans la fonction publique.
B. La prise en compte des contraintes administratives excessives
Au-delà de la protection des droits, la Cour se montre sensible aux arguments d’ordre pratique soulevés par l’État membre. La juridiction de renvoi avait envisagé une solution alternative : recalculer individuellement la situation de chaque fonctionnaire en fonction de son expérience réelle. Cependant, le gouvernement allemand a souligné la lourdeur administrative d’une telle opération, qui aurait concerné plus de 65 000 agents et nécessité la reconstitution de parcours professionnels parfois anciens et complexes.
La Cour, tout en rappelant que des difficultés administratives ou financières ne sauraient en principe justifier une violation du droit de l’Union, module cette position en l’espèce. Elle considère qu’« il ne saurait être requis de procéder à un examen individuel de chaque cas particulier afin de déterminer a posteriori et individuellement les périodes d’expérience antérieures, dans la mesure où la gestion du régime concerné doit rester viable d’un point de vue technique et économique ». Face à la complexité excessive et au risque d’erreurs d’un recalcul généralisé, le législateur national n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation en optant pour une solution forfaitaire. Cette approche pragmatique montre que la Cour est prête à tempérer l’application stricte du principe de non-discrimination lorsque sa mise en œuvre se heurte à des obstacles matériels quasi insurmontables dans le cadre d’une réforme systémique.