Cour de justice de l’Union européenne, le 19 juin 2014, n°C-507/12

La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 19 juin 2014, se prononce sur l’interprétation de la notion de travailleur. Le litige oppose une ressortissante d’un État membre à l’administration d’accueil au sujet du refus d’octroi d’un complément de revenu durant sa maternité. La requérante a exercé plusieurs activités salariées sur le territoire national avant de cesser son travail en raison des contraintes physiques de sa grossesse. Elle sollicite alors une prestation sociale dont le bénéfice est réservé aux titulaires d’un droit de séjour au sens du droit de l’Union. L’administration rejette sa demande en considérant que l’intéressée ne dispose plus de la qualité de travailleur salarié au titre de la directive.

Le recours formé contre cette décision de rejet est accueilli par le First-tier Tribunal par une décision du 4 septembre 2008. Cette solution est toutefois infirmée par l’Upper Tribunal le 7 mai 2010 avant que la juridiction supérieure ne confirme cette seconde position. La Supreme Court of the United Kingdom, saisie du litige, décide de surseoir à statuer par une ordonnance du 31 octobre 2012. La question préjudicielle tend à savoir si une femme cessant temporairement de travailler pour cause de maternité conserve son statut de travailleuse salariée. La Cour de justice répond positivement en affirmant qu’une telle personne garde sa qualité pourvu qu’elle reprenne un emploi dans une période raisonnable.

**I. La reconnaissance du statut de travailleur au-delà des limites de la directive 2004/38**

**A. Le caractère non exhaustif des situations énumérées par le droit dérivé**

L’article 7 paragraphe 3 de la directive 2004/38 énumère les cas permettant de conserver la qualité de travailleur après la fin d’un contrat. La Cour de justice constate que cette disposition législative ne mentionne pas expressément la situation spécifique des femmes durant les derniers stades de grossesse. L’administration compétente soutenait que cette liste présentait un caractère exhaustif excluant toute extension de la protection aux situations non prévues par le texte. Les juges rejettent cette interprétation restrictive en affirmant que « la codification voulue par ladite directive […] ne saurait, en soi, limiter la portée de la notion de travailleur ». Le statut de citoyen migrant ne dépend donc pas uniquement des conditions strictes fixées par les textes de droit dérivé de l’Union.

**B. La prévalence de l’effet utile de la libre circulation des travailleurs**

La notion de travailleur définit le champ d’application d’une liberté fondamentale et doit faire l’objet d’une interprétation nécessairement extensive selon la jurisprudence. La Cour rappelle que le droit de séjourner librement constitue un pilier du marché intérieur dont l’exercice ne doit pas être indûment entravé ou découragé. Une citoyenne « serait dissuadée d’exercer son droit de libre circulation » si elle risquait de perdre son statut social en raison d’une grossesse temporairement incapacitante. Le maintien de cette qualification juridique garantit la pleine efficacité des dispositions du traité relatives à la mobilité des travailleurs au sein de l’espace européen. Cette approche finaliste permet d’assurer une protection continue aux travailleuses migrantes malgré l’interruption physique de leur prestation de travail habituelle.

**II. La préservation des droits sociaux conditionnée par la réintégration du marché de l’emploi**

**A. L’impossibilité d’assimiler l’état de grossesse à une incapacité de travail pour maladie**

Le droit dérivé autorise le maintien du statut en cas d’incapacité de travail temporaire résultant d’une maladie ou d’un accident dûment constaté. La juridiction européenne souligne toutefois que « la grossesse doit être nettement distinguée de la maladie » car elle ne constitue pas un état pathologique. Les contraintes physiques liées à l’accouchement ne permettent donc pas d’invoquer directement les dispositions protectrices relatives à l’incapacité de travail pour raison médicale. L’impossibilité de fonder le droit sur l’article 7 paragraphe 3 de la directive n’entraîne pas pour autant la perte du bénéfice des droits sociaux. La protection de la maternité constitue un principe autonome qui justifie une dérogation aux règles ordinaires de cessation de la relation de travail salarié.

**B. L’exigence d’une reprise d’activité dans une période de temps raisonnable**

La qualité de travailleur ne se maintient que si l’intéressée manifeste l’intention de réintégrer le marché de l’emploi après la naissance de son enfant. La décision précise que cette protection s’applique « pourvu qu’elle reprenne son travail ou trouve un autre emploi dans une période de temps raisonnable ». Le juge national doit apprécier ce caractère raisonnable en tenant compte des circonstances de l’espèce et des législations nationales sur le congé maternité. Cette condition évite que le statut de travailleur ne soit détourné pour obtenir un droit au séjour permanent sans réelle volonté d’activité économique. La solution équilibre ainsi la protection nécessaire des femmes enceintes avec les exigences de participation effective à la vie active de l’État d’accueil.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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