La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 19 juin 2014, se prononce sur l’articulation entre la fiscalité directe et les libertés fondamentales. Elle traite spécifiquement de l’obligation de retenue à la source pesant sur les entreprises utilisatrices de main-d’œuvre détachée par des agences de travail intérimaire étrangères. Deux sociétés établies dans un État membre ont eu recours aux services d’une agence ayant son siège dans un autre État membre mais disposant d’une succursale locale. L’administration fiscale a exigé de ces entreprises utilisatrices le versement d’acomptes sur l’impôt dû par les travailleurs dont elles percevaient la main-d’œuvre. Ces décisions ont fait l’objet de recours devant le Krajský soud v Ostravě le 16 janvier 2013 et le Nejvyšší správní soud le 17 janvier 2013. Les juridictions nationales s’interrogent sur le caractère discriminatoire de cette obligation administrative ne pesant que sur les clients d’agences de travail intérimaire non résidentes.
Le problème juridique porte sur la compatibilité de l’article 56 du traité avec une règle nationale imposant une charge fiscale au seul bénéficiaire d’un service transfrontalier. La Cour juge que « l’article 56 TFUE s’oppose à une réglementation » obligeant les sociétés à retenir l’impôt uniquement pour des prestations fournies par des agences établies ailleurs. Cette solution conduit à examiner d’abord la caractérisation d’une entrave avant d’en apprécier les justifications rejetées par le juge européen pour protéger le marché intérieur.
I. L’identification d’une restriction à la libre prestation des services
A. L’existence d’une différence de traitement préjudiciable au destinataire
L’arrêt souligne qu’une réglementation imposant au destinataire des services de retenir l’impôt des travailleurs détachés constitue une entrave au sens des traités européens. Cette obligation « implique une charge administrative supplémentaire qui n’est pas exigée pour les destinataires des mêmes services fournis par un prestataire résident ». Le bénéficiaire du service doit calculer et reverser des fonds normalement gérés par l’employeur direct dans un contexte purement interne. Une telle contrainte matérielle rend les prestations transfrontalières moins attractives pour les entreprises souhaitant faire appel à la main-d’œuvre européenne. La Cour rappelle que l’article 56 du traité protège aussi bien le prestataire de services que son destinataire contre les mesures nationales dissuasives.
B. L’incidence sur le choix des opérateurs économiques transfrontaliers
La différence de traitement identifiée repose exclusivement sur le lieu d’établissement de l’agence de travail intérimaire dont sont issus les salariés détachés. Les sociétés utilisatrices se trouvent pourtant dans une situation comparable, qu’elles fassent appel à un opérateur national ou à une entité économique étrangère. En imposant des obligations spécifiques aux seuls clients d’agences non résidentes, l’État membre crée une distorsion injustifiée de la concurrence sur son territoire. Cette mesure nuit directement à la fluidité du marché intérieur en pénalisant les choix économiques orientés vers des partenaires situés dans d’autres États. L’analyse se déplace alors vers la recherche d’une éventuelle raison impérieuse d’intérêt général capable de justifier le maintien d’un tel dispositif.
II. L’absence de justification par les impératifs de l’efficacité fiscale
A. L’insuffisance des motifs liés au recouvrement de l’impôt
Les autorités nationales justifient souvent la retenue à la source par la nécessité de garantir l’efficacité du recouvrement fiscal sur les revenus de source étrangère. La Cour admet que cet objectif constitue un motif légitime mais elle refuse son application automatique quand le prestataire dispose d’une présence stable. Dans les cas d’espèce, l’agence étrangère opérait par une succursale inscrite au registre du commerce du pays d’accueil de la main-d’œuvre. La « succursale assure une présence physique du prestataire de services sur le territoire » et peut valablement assurer les démarches administratives requises. L’imposition de la charge au destinataire excède alors ce qui est strictement nécessaire pour assurer le paiement effectif de l’impôt dû.
B. La protection contre la fraude face aux réalités matérielles du prestataire
Le raisonnement du juge européen s’étend à l’examen de la prévention de la fraude fiscale pour rejeter toute mesure de portée générale. Une « présomption générale d’évasion ou de fraude fiscale fondée sur la circonstance qu’un prestataire de services est établi dans un autre État membre » est jugée illégale. L’administration ne saurait invoquer l’inefficacité des mécanismes de coopération européenne pour imposer des contraintes excessives aux acteurs privés de bonne foi. L’existence d’une succursale locale permet d’écarter le risque de fuite fiscale sans perturber le fonctionnement normal des prestations de services transfrontalières. Cette décision renforce la protection des entreprises contre les formalismes nationaux entravant indûment la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union.