Par un arrêt rendu le 19 juin 2025, la Cour de justice de l’Union européenne précise l’articulation entre coopération pénale et droits fondamentaux. Un ressortissant possédant deux nationalités, dont celle d’un État membre, fait l’objet d’une condamnation criminelle par les autorités d’un État tiers. L’intéressé subit une première interpellation en Belgique puis une seconde en France pour l’exécution de sa peine privative de liberté. La cour d’appel de Bruxelles refuse la remise en invoquant un risque réel de traitements inhumains ou dégradants dans le pays requérant.
La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier s’interroge sur l’autorité de cette décision de refus prise par une juridiction étrangère. Le litige porte sur l’obligation pour un État de reconnaître la décision de son partenaire au nom des principes de confiance mutuelle. La Cour décide qu’aucune obligation de reconnaissance automatique n’impose de suivre le premier refus opposé à l’État tiers par une juridiction nationale. Elle souligne que l’autorité requise doit prendre sérieusement en considération les motifs de la décision antérieure pour fonder son propre examen.
I. L’exclusion d’une reconnaissance mutuelle automatique des refus d’extradition
A. L’absence de fondement textuel dans le droit de l’Union
La Cour rappelle que « les règles en matière d’extradition ressortissent à la compétence des États membres » en l’absence d’accord spécifique avec l’État tiers. Les articles 67 et 82 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne fixent des objectifs généraux pour l’espace de liberté et de justice. Ces dispositions ne créent pas une obligation de reconnaître les jugements pénaux rendus par les autres juridictions nationales de l’Union. Le législateur européen doit adopter des mesures précises pour assurer la reconnaissance de toutes les formes de décisions judiciaires entre les États membres.
Aucun instrument de droit dérivé ne prévoit la reconnaissance mutuelle des décisions portant sur les demandes d’extradition émanant d’un pays tiers. La souveraineté des États membres dans l’exercice de leur compétence pénale demeure la règle de principe face aux sollicitations des puissances étrangères. Cette autonomie procédurale permet d’adapter la réponse judiciaire aux spécificités de chaque demande de remise internationale. L’absence de texte exprès interdit d’imposer une extension automatique des effets d’un refus d’extradition au-delà des frontières de l’État l’ayant prononcé.
B. La préservation de la marge d’appréciation de l’État requis
L’absence d’un mécanisme de reconnaissance automatique permet à chaque autorité judiciaire de mener sa propre analyse des conditions légales de la remise. La Cour affirme que « le principe de reconnaissance mutuelle ne s’applique pas aux décisions de refus des demandes d’extradition adoptées par les États membres ». Cette solution évite qu’une décision nationale de refus ne lie les autres partenaires européens sans base textuelle claire et partagée. Chaque État conserve la responsabilité de vérifier si l’extradition d’un citoyen européen respecte les exigences de non-discrimination et de circulation.
L’inégalité de traitement résultant de la protection des seuls nationaux contre l’extradition constitue une restriction à la liberté de mouvement garantie aux citoyens. Cette autonomie décisionnelle des États membres est strictement encadrée par l’obligation de respecter les droits fondamentaux dont la Cour assure la protection. L’État requis doit évaluer les risques encourus par la personne réclamée indépendamment de la décision prise précédemment par une juridiction d’un autre État. Cette analyse autonome garantit le respect des engagements internationaux tout en préservant l’intégrité de l’ordre juridique de l’Union.
II. L’obligation de prendre en compte les motifs de la décision antérieure
A. La confiance mutuelle comme moteur d’un examen coordonné
Le principe de confiance mutuelle impose à chaque État de présumer que ses partenaires respectent les droits fondamentaux garantis par l’Union européenne. L’autorité compétente doit pourtant « tenir dûment compte des motifs qui sous-tendent cette décision de refus » lorsqu’elle examine une nouvelle demande d’extradition. La décision prise par une première juridiction européenne constitue un élément objectif et fiable que le juge du second État ne peut ignorer. Cette exigence renforce la cohérence globale de l’espace judiciaire européen en évitant des analyses totalement divergentes sur une situation factuelle identique.
La coopération loyale implique une circulation fluide de l’information entre les magistrats pour garantir une protection efficace des droits de la personne. Les motifs de refus fondés sur les risques de déni de justice bénéficient d’une résonance particulière dans l’ensemble des États membres de l’Union. Le juge saisi en second lieu doit intégrer les conclusions de son homologue pour affiner son propre jugement sur la dangerosité de la remise. Cette prise en compte des travaux judiciaires antérieurs assure une meilleure sécurité juridique pour le citoyen circulant sur le territoire européen.
B. La protection renforcée de l’intégrité de la personne réclamée
Le juge national doit s’assurer que l’extradition ne soumettra pas le citoyen à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. L’article 19 de la Charte des droits fondamentaux interdit toute remise vers un pays où un risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique existe. L’autorité judiciaire fonde son appréciation sur des « éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés » concernant la situation judiciaire du pays demandeur. Les rapports internationaux et les décisions des autres États membres servent de socle indispensable pour évaluer la réalité des menaces pesant sur l’individu.
L’obligation de vigilance s’applique avec la même intensité que la personne possède ou non la nationalité de l’État tiers dont émane la demande. La Cour confirme que la protection des droits fondamentaux prévaut sur les engagements internationaux de livraison lorsque les garanties d’un procès équitable disparaissent. Cette jurisprudence consacre la primauté des valeurs de l’Union sur les mécanismes classiques de l’entraide pénale internationale avec les puissances tierces. L’examen du risque individuel demeure la pierre angulaire de la procédure d’extradition dans un espace de justice respectueux de la dignité humaine.