Cour de justice de l’Union européenne, le 19 mars 1996, n°C-25/94

Par un arrêt du 19 mars 1996, la Cour de justice des Communautés européennes a tranché un litige institutionnel portant sur la répartition des compétences externes entre la Communauté et ses États membres dans le cadre d’une organisation internationale.

Les faits à l’origine de cette affaire concernent l’adoption d’un accord international au sein de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, dont la Communauté économique européenne est membre aux côtés de ses États membres. Un désaccord est survenu entre les institutions communautaires quant à la détermination de la partie qui devait exercer le droit de vote pour adopter un accord visant à favoriser le respect des mesures internationales de conservation et de gestion des ressources halieutiques. La matière de cet accord relevait d’une compétence mixte, partagée entre la Communauté et les États membres.

La procédure a débuté lorsque l’institution requérante, estimant que l’objet principal de l’accord relevait de la compétence exclusive de la Communauté, a proposé que celle-ci exerce le droit de vote. Les États membres s’y sont opposés. Conformément à un arrangement interinstitutionnel préexistant, la question a été soumise au Comité des représentants permanents, qui a décidé d’attribuer le droit de vote aux États membres. Saisie par l’institution requérante, l’institution défenderesse a confirmé cette position par une décision du 22 novembre 1993. C’est contre cet acte que l’institution requérante a formé un recours en annulation, soutenant que la décision violait l’arrangement interinstitutionnel et la répartition des compétences. L’institution défenderesse a soulevé une exception d’irrecevabilité, arguant que son intervention n’était pas un acte attaquable au sens du traité et se bornait à confirmer une décision antérieure du Comité des représentants permanents.

La question de droit soumise à la Cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si une décision d’une institution communautaire attribuant un droit de vote dans une enceinte internationale, dans le cadre d’un arrangement de coordination interne, constitue un acte susceptible de recours en annulation. Ensuite, et sur le fond, il convenait de juger si l’attribution du droit de vote aux États membres pour l’adoption d’un accord dont la matière relevait pour l’essentiel de la compétence exclusive de la Communauté était conforme au droit communautaire.

La Cour de justice a répondu affirmativement à la première question et a annulé la décision contestée sur le fond. Elle a jugé le recours recevable en considérant que la décision produisait des effets de droit. Sur le fond, elle a constaté que l’objet essentiel de l’accord relevait bien de la compétence exclusive de la Communauté en matière de conservation des ressources de la mer, et qu’en attribuant le vote aux États membres, l’institution défenderesse avait violé l’arrangement interinstitutionnel qui la liait.

La solution retenue par la Cour de justice clarifie ainsi la nature des actes institutionnels susceptibles de contrôle juridictionnel (I), avant de sanctionner le non-respect des mécanismes de coopération loyale dans l’exercice des compétences externes (II).

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**I. La consécration du contrôle juridictionnel sur la coordination de l’action extérieure**

La Cour a d’abord dû écarter les arguments procéduraux de la partie défenderesse pour asseoir sa compétence. Elle a pour ce faire rappelé la hiérarchie des organes institutionnels (A) avant de qualifier la décision litigieuse d’acte produisant des effets de droit (B).

**A. Le rejet de l’autonomie décisionnelle du Comité des représentants permanents**

L’institution défenderesse soutenait que la véritable décision avait été prise par le Comité des représentants permanents, son propre vote n’étant qu’une simple confirmation non susceptible de recours. La Cour de justice rejette fermement cette analyse en s’appuyant sur la lettre des traités. Elle rappelle que le pouvoir de décision appartient à l’institution défenderesse elle-même, tandis que le comité en question n’est qu’un « organe auxiliaire du Conseil assurant, pour ce dernier, des tâches de préparation et d’exécution ».

En précisant que « la fonction d’exécution des mandats confiés par le Conseil n’habilite pas le Coreper à exercer le pouvoir décisionnel qui revient, d’après le traité, au Conseil », la Cour réaffirme une orthodoxie institutionnelle. Le Comité des représentants permanents, bien que central dans le processus législatif, ne dispose pas de compétences propres qui lui permettraient d’adopter des actes définitifs engageant la Communauté. Par conséquent, la décision du 22 novembre 1993 ne pouvait être une simple confirmation, mais constituait bien la première et seule décision formelle sur le sujet, imputable à l’institution qui en est l’auteur. Cette clarification empêche les institutions de se dérober au contrôle juridictionnel en invoquant le rôle de leurs organes préparatoires.

**B. La qualification de l’attribution du droit de vote en acte avec effets de droit**

L’autre argument d’irrecevabilité tenait au caractère prétendument procédural de la décision, qui n’aurait affecté ni les droits de l’institution requérante, ni la répartition des compétences. La Cour écarte également cette vision en se fondant sur sa jurisprudence constante selon laquelle le recours en annulation est ouvert « à l’égard de toutes dispositions prises par les institutions, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit ».

La Cour identifie méticuleusement trois séries d’effets juridiques. D’une part, la décision a affecté les droits de la Communauté en sa qualité de membre de l’organisation internationale, en la privant de son droit de participer à l’adoption de l’accord. D’autre part, elle a eu des conséquences sur le plan des relations interinstitutionnelles en limitant le rôle de l’institution requérante dans les débats finaux. Enfin, et surtout, la décision a créé « l’apparence, vis-à-vis des États tiers et de l’OAA, que, pour l’essentiel, l’objet de l’accord ne relevait pas de la compétence exclusive de la Communauté ». Cet effet externe est crucial, car l’exercice du droit de vote conditionne la perception de la compétence pour exécuter l’accord et en conclure d’autres. L’acte attaqué n’était donc ni protocolaire ni purement interne, mais produisait des conséquences juridiques tangibles.

Une fois la recevabilité du recours admise, la Cour a pu examiner le fond du litige, qui portait sur la violation des règles de coopération dans le cadre des compétences mixtes.

**II. La sanction de la violation du devoir de coopération dans l’exercice des compétences mixtes**

Sur le fond, l’arrêt s’articule autour de la détermination de la compétence prépondérante (A), ce qui justifie l’application de l’arrangement interinstitutionnel dont la force obligatoire est réaffirmée (B).

**A. La prééminence de la compétence communautaire en raison de l’objet de l’accord**

Le litige ne portait pas sur l’existence d’une compétence mixte, mais sur la question de savoir si l’accord relevait « pour l’essentiel » de la compétence exclusive de la Communauté, critère prévu par l’arrangement interinstitutionnel pour déterminer qui, de la Communauté ou des États membres, devait voter. La Cour procède à une analyse de l’objet de l’accord tel qu’il se présentait au moment de la décision attaquée.

Elle constate que le projet final « avait pour objet essentiel le respect par les navires de pêche en haute mer des mesures internationales de conservation et de gestion ». Les dispositions initiales relatives à l’attribution du pavillon, qui justifiaient une compétence étatique plus marquée, avaient été retirées. La Cour rappelle à cet égard que la Communauté dispose d’une compétence exclusive, tant sur le plan interne qu’externe, pour la conservation des ressources biologiques de la mer. Les autres dispositions de l’accord, telles que celles relatives aux sanctions ou à l’aide aux pays en développement, sont jugées accessoires et ne pas occuper « une place de premier plan dans le projet d’accord ». Cette méthode du « centre de gravité » permet à la Cour de trancher le conflit en faveur de la compétence communautaire, l’essentiel de la matière relevant de son champ d’action exclusif.

**B. La force contraignante de l’arrangement interinstitutionnel**

Ayant établi que l’accord relevait pour l’essentiel de la compétence exclusive de la Communauté, la Cour examine les conséquences de cette qualification au regard de l’arrangement conclu en 1991 entre les deux institutions. Cet arrangement constituait une mise en œuvre concrète de l’obligation de coopération loyale, principe fondamental qui impose une unité de représentation internationale de la Communauté.

La Cour relève qu’il « ressort par ailleurs des termes de l’arrangement que les deux institutions ont entendu se lier l’une vis-à-vis de l’autre ». En qualifiant ainsi l’arrangement d’acte juridiquement contraignant entre ses signataires, la Cour lui confère une portée qui dépasse celle d’une simple déclaration d’intention politique. Dès lors, l’institution défenderesse ne pouvait s’écarter des règles qu’elle avait elle-même acceptées. En concluant que le projet d’accord ne relevait pas pour l’essentiel de la compétence exclusive communautaire et en attribuant le vote aux États membres, elle a violé une disposition qu’elle « était tenu de respecter ». L’annulation de la décision s’imposait donc comme la sanction logique de ce manquement. Cet arrêt illustre la manière dont le droit communautaire encadre les relations entre les institutions, y compris par le biais d’instruments de droit souple, pour garantir la cohérence de l’action extérieure de l’Union.

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Hassan KOHEN
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