Par un arrêt rendu en formation de première chambre, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur les modalités de financement des inspections et contrôles sanitaires des viandes fraîches au sein de l’Union. En l’espèce, une disposition législative adoptée par une entité fédérée d’un État membre permettait la perception de frais spécifiques pour couvrir les coûts des examens bactériologiques, en sus des redevances générales d’inspection. La Commission européenne, considérant cette pratique contraire à l’harmonisation des redevances prévue par le droit de l’Union, a engagé une procédure en manquement à l’encontre de l’État membre concerné. Après une phase précontentieuse infructueuse, au cours de laquelle l’État membre a maintenu la conformité de sa législation, la Commission a saisi la Cour de justice. Le litige portait essentiellement sur la question de savoir si la directive 85/73/CEE s’opposait à ce qu’un État membre perçoive des sommes distinctes pour couvrir des frais d’inspection spécifiques, ou si l’ensemble de ces coûts devait être intégré dans une redevance unique, qu’elle soit forfaitaire ou non. La Cour de justice a tranché en rejetant le recours de la Commission, estimant que la perception de redevances décomposées en plusieurs éléments n’est pas, en soi, incompatible avec le droit de l’Union, à condition que le montant total n’excède pas les coûts réels des inspections. La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation rigoureuse du droit applicable, distinguant la situation d’espèce de la jurisprudence antérieure (I), tout en réaffirmant les principes directeurs du contentieux en manquement (II).
I. La clarification du mode de calcul des redevances sanitaires
La Cour s’attache d’abord à définir le cadre juridique applicable au calcul des redevances sanitaires en écartant une application trop large de sa jurisprudence passée (A), pour ensuite consacrer la validité d’un système de perception fondé sur la couverture des coûts réellement supportés (B).
A. Le rejet d’une application extensive de la jurisprudence antérieure
La Commission fondait une part substantielle de son argumentation sur l’arrêt rendu dans l’affaire Stratmann et Fleischversorgung Neuss, en soutenant que celui-ci interdisait la perception de frais supplémentaires en sus de la redevance communautaire. La Cour opère cependant une distinction factuelle déterminante pour écarter cette analogie. Elle relève que dans l’affaire antérieure, les autorités nationales percevaient une redevance forfaitaire de base à laquelle s’ajoutaient des frais spécifiques, créant ainsi un cumul. Or, dans le cas présent, l’entité fédérée concernée « ne perçoit, au titre des redevances pour les inspections et contrôles des viandes fraîches, ni les montants forfaitaires prévus à l’annexe A, chapitre I, points 2 et 3, de la directive 85/73 ni les redevances visant à majorer les montants forfaitaires ».
Cette différence de régime de perception est jugée essentielle par la Cour. La législation nationale contestée ne superpose pas une taxe nationale à une redevance communautaire forfaitaire, mais établit un système de redevance unique, bien que composé de plusieurs éléments, visant à couvrir les frais effectifs. Par conséquent, la Cour conclut que « la solution retenue par la Cour dans son arrêt Stratmann et Fleischversorgung Neuss, précité, ne saurait être transposée par analogie à une situation telle que celle en cause en l’espèce ». Ce faisant, elle refuse d’étendre la portée d’une jurisprudence née dans un contexte de cumul de redevances à une situation où le mode de calcul est entièrement basé sur un principe différent.
B. La consécration d’une redevance fondée sur les coûts réels
Libérée de la contrainte du précédent invoqué, la Cour analyse ensuite la compatibilité du système de redevance litigieux avec le texte même de la directive 85/73. Elle rejette l’interprétation de la Commission selon laquelle toute redevance perçue en vertu de l’annexe A, chapitre I, point 4, sous b), de la directive devrait obligatoirement revêtir une forme forfaitaire. La Cour précise que la notion de forfait est étrangère à cette disposition, laquelle impose au contraire que la redevance couvre l’ensemble des frais encourus sans les excéder. Une redevance forfaitaire, par nature, « excède dans certains cas le coût réel des mesures qu’elle vise à financer et est inférieure à celui-ci dans d’autres cas », ce qui est incompatible avec l’exigence de couverture des coûts réels.
S’appuyant sur son arrêt antérieur dans l’affaire Feyrer, la Cour rappelle que la directive fait référence à une « redevance totale perçue », ce qui suggère qu’elle peut résulter de l’addition de plusieurs composantes. Ainsi, « la circonstance que la redevance en cause dans la présente espèce soit composée de différents éléments de coûts n’est donc pas, par elle-même, de nature à rendre cette redevance incompatible avec l’annexe A, chapitre I, point 4, sous b), de la directive 85/73 ». L’essentiel est que le montant global ne dépasse pas les coûts réels, condition qui n’était pas contestée en l’espèce. La Cour valide ainsi une approche pragmatique qui autorise les États membres à détailler les coûts composant la redevance sanitaire, pourvu que le principe de couverture des frais réels soit respecté.
Cette validation d’une approche fondée sur le coût réel des prestations permet à la Cour d’examiner la conformité du dispositif aux finalités plus larges du droit de l’Union.
II. La portée de la solution au regard des objectifs du droit de l’Union
L’arrêt ne se limite pas à une analyse technique des textes mais replace la solution dans le contexte des objectifs poursuivis par le législateur de l’Union (A), tout en saisissant l’occasion pour rappeler fermement les règles qui gouvernent la procédure en manquement (B).
A. La conciliation entre harmonisation et flexibilité financière des États membres
La Commission soutenait que permettre des redevances à la carte, même si elles correspondent aux coûts réels, créerait des distorsions de concurrence, allant à l’encontre de l’un des objectifs de la directive. La Cour réfute cette vision en clarifiant la nature de l’harmonisation recherchée. Elle juge que la lutte contre les distorsions de concurrence « est menée non pas par l’introduction d’une redevance d’un montant uniforme pour toute la Communauté européenne, mais par l’adoption de règles harmonisées en matière de financement des inspections et des contrôles sanitaires ». L’harmonisation porte sur les types de contrôles et les catégories de coûts éligibles, non sur le montant final de la redevance qui peut légitimement varier selon les structures de coûts propres à chaque État membre.
De plus, la Cour prend le contre-pied de l’argument de la Commission relatif au manque de transparence. Elle estime qu’une redevance détaillée, qui « fait apparaître de manière claire et détaillée la nature des divers éléments dont elle est constituée », est en réalité plus transparente. Elle permet à l’opérateur économique de comprendre ce qu’il paie et d’optimiser ses propres coûts, favorisant ainsi une saine gestion économique. La solution adoptée concilie donc l’objectif d’harmonisation des conditions de concurrence avec la nécessité pour les États membres de disposer d’une flexibilité pour financer leurs services d’inspection de manière transparente et économiquement juste.
B. Le rappel strict des exigences de la procédure précontentieuse
Par un second grief, la Commission tentait d’invoquer la violation du règlement n° 882/2004, entré en vigueur postérieurement à l’émission de son avis motivé. La Cour déclare ce grief irrecevable en se fondant sur une jurisprudence constante et protectrice des droits de la défense. Elle rappelle que l’objet du litige est délimité par la procédure précontentieuse. La Commission ne peut pas, au stade de la requête, étendre le manquement à des dispositions qui n’étaient pas en vigueur, et donc non mentionnées, au moment de l’avis motivé, à moins que les nouvelles obligations ne soient que le maintien de celles préexistantes.
En l’espèce, la Cour constate que le règlement n° 882/2004 introduit la possibilité de fixer des redevances à des taux forfaitaires, ce qui constitue une différence fondamentale par rapport à la directive 85/73 qui, selon l’interprétation retenue, imposait une correspondance avec les coûts réels. Par conséquent, « la Commission a étendu l’objet du litige tel qu’il ressort de l’avis motivé à une obligation résultant du règlement n° 882/2004 qui ne trouve pas son équivalence dans la directive 85/73 ». Ce faisant, la Cour administre une leçon de procédure, réaffirmant que la phase précontentieuse n’est pas une simple formalité mais une garantie essentielle qui ne saurait être contournée. Le manquement doit être apprécié au regard du droit en vigueur à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, et non au gré des évolutions législatives postérieures.