Par un arrêt dont les motifs sont ici rapportés, la Cour de justice de l’Union européenne précise les contours du droit à un recours effectif en matière de protection internationale, tel que garanti par la directive 2013/32/UE et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En l’espèce, une juridiction nationale était saisie d’un recours contre le rejet d’une demande d’asile par une autorité administrative. Cette juridiction s’interrogeait sur la compatibilité avec le droit de l’Union de sa propre législation procédurale, laquelle limitait son pouvoir à la seule annulation des décisions administratives, à l’exclusion de toute réformation, et lui imposait de surcroît des délais de jugement très stricts. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le principe d’effectivité du recours juridictionnel s’opposait, d’une part, à ce qu’un juge national soit privé du pouvoir de substituer sa propre décision à celle de l’administration et, d’autre part, à ce qu’il soit contraint de statuer dans un délai qui pourrait nuire à un examen complet du dossier. En réponse, la Cour de justice a jugé que de telles limitations procédurales nationales sont admissibles, mais seulement à la condition qu’elles ne vident pas de sa substance le droit à un recours effectif, obligeant le juge national à les écarter dans le cas contraire. La Cour consacre ainsi une autonomie procédurale des États membres encadrée par le principe d’effectivité (I), tout en armant le juge national de prérogatives garantes de la primauté du droit de l’Union (II).
I. L’autonomie procédurale des États membres encadrée par le principe d’effectivité
La Cour reconnaît la marge de manœuvre des États dans l’organisation de leurs systèmes juridictionnels, que ce soit quant à l’étendue des pouvoirs du juge (A) ou quant aux délais de procédure (B), mais assortit cette reconnaissance de strictes conditions liées à l’efficacité du recours.
A. La reconnaissance conditionnelle du pouvoir exclusif d’annulation
La Cour admet qu’un système national puisse ne pas conférer au juge le pouvoir de réformer une décision administrative. Elle estime en effet que l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32 « ne s’oppose pas à une réglementation nationale conférant seulement aux juridictions le pouvoir d’annuler les décisions des autorités compétentes en matière de protection internationale, à l’exclusion de celui de les réformer ». Cette solution respecte l’autonomie procédurale des États membres, qui restent libres de définir l’office du juge administratif, pourvu que le contrôle exercé soit réel.
Toutefois, cette faculté n’est pas absolue et trouve sa limite dans l’exigence d’un recours effectif. Ainsi, l’arrêt précise qu’« en cas de renvoi du dossier à l’autorité administrative compétente, il convient qu’une nouvelle décision soit adoptée dans un bref délai et soit conforme à l’appréciation contenue dans le jugement d’annulation ». La Cour s’assure par là que l’annulation judiciaire ne reste pas lettre morte et qu’elle produise des effets concrets et rapides pour le demandeur, transformant ce qui pourrait être un simple pouvoir de cassation en une véritable injonction indirecte faite à l’administration.
B. L’admission sous réserve de délais de jugement restreints
Dans le même esprit, la Cour de justice valide le principe de délais de jugement contraints. Un État membre peut légitimement souhaiter accélérer le traitement des contentieux de l’asile, et la Cour juge que la directive « ne s’oppose pas à une réglementation nationale impartissant au juge saisi d’un recours contre une décision de rejet d’une demande de protection internationale un délai de 60 jours pour statuer ». Ce faisant, elle reconnaît l’objectif de bonne administration de la justice et de célérité des procédures.
Cependant, comme pour le pouvoir d’annulation, cette validation est conditionnée. Le délai imposé ne doit pas faire obstacle à la qualité de l’examen juridictionnel. La Cour exige que le juge, malgré la contrainte temporelle, « soit en mesure d’assurer dans un tel délai l’effectivité des règles de fond et des garanties procédurales reconnues au demandeur par le droit de l’Union ». Le critère n’est donc pas le délai en lui-même, mais sa compatibilité pratique avec la réalisation d’un examen « complet et ex nunc » du dossier, incluant tous les éléments de fait et de droit pertinents.
Toutefois, la Cour ne se limite pas à poser ces conditions ; elle tire les conséquences de leur violation en conférant au juge national des pouvoirs dérogatoires au droit interne.
II. Les prérogatives du juge national, garant de la primauté du droit de l’Union
Lorsque les règles procédurales nationales font échec au droit à un recours effectif, la Cour enjoint au juge national de les neutraliser. Elle lui impose alors de réformer lui-même la décision administrative en cas de résistance de l’administration (A) et de s’affranchir des délais irréalisables (B).
A. L’obligation de réformation en cas de résistance administrative
La portée de l’arrêt se révèle particulièrement dans l’hypothèse où l’autorité administrative, après une première annulation, refuse de se conformer à l’appréciation du juge. Face à une telle situation, qui priverait le jugement de tout effet utile, la Cour fournit une solution radicale. Elle énonce que si une autorité administrative « adopte par la suite une décision en sens contraire » sans nouveaux éléments, la juridiction saisie « doit […] réformer cette décision non conforme à son jugement précédent et substituer à celle-ci sa propre décision […], en laissant au besoin inappliquée la réglementation nationale qui lui interdirait de procéder en ce sens ».
Cette consécration d’un pouvoir de réformation subsidiaire et obligatoire constitue une avancée majeure pour les droits du demandeur d’asile. Elle transforme le juge national en garant ultime de l’effectivité de sa propre décision et, par extension, de la primauté du droit de l’Union. Le juge n’est plus seulement celui qui contrôle, mais celui qui, en dernière analyse, se substitue à une administration défaillante pour assurer l’application correcte des directives européennes.
B. Le devoir de neutraliser un délai de jugement irréalisable
Le même raisonnement est appliqué à la question des délais de procédure. Si le juge constate que le délai qui lui est imparti, tel que celui de 60 jours, est matériellement insuffisant pour mener à bien son office, il ne doit pas se contenter de réaliser un examen partiel ou superficiel. La Cour lui enjoint de prendre ses responsabilités en écartant la norme nationale qui fait obstacle à l’exercice plein et entier de sa fonction juridictionnelle.
En des termes très clairs, l’arrêt dispose que dans un tel cas, « ledit juge est tenu de laisser inappliquée la réglementation nationale fixant le délai de jugement et, passé ce délai, de rendre son jugement aussi promptement que possible ». La Cour rappelle ainsi que les exigences de célérité, bien que légitimes, ne sauraient prévaloir sur la garantie fondamentale d’un procès équitable et d’un examen approfondi de la demande de protection. Le juge national se voit donc conférer le pouvoir et le devoir de faire prévaloir la substance du droit sur une règle de forme, assurant la pleine portée de l’article 47 de la Charte.