Cour de justice de l’Union européenne, le 19 mars 2020, n°C-45/19

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 19 mars 2020 offre une clarification essentielle sur le régime transitoire instauré par le règlement (CE) n° 1370/2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs. Saisie d’une question préjudicielle par une juridiction espagnole, la Cour était amenée à se prononcer sur l’interprétation de la durée maximale des contrats de service public attribués sans mise en concurrence avant le 26 juillet 2000. En l’espèce, un contrat pour l’exploitation de lignes de transport urbain avait été conclu en 1987 entre une municipalité et une entreprise de transport, avec une échéance fixée au 31 décembre 2024. L’autorité municipale a ultérieurement notifié à l’opérateur que, conformément au droit de l’Union, le contrat devait prendre fin au terme d’une période de trente ans calculée à partir de sa date d’attribution initiale, soit en 2017. L’entreprise de transport a contesté cette interprétation, soutenant que le décompte de cette durée maximale devait débuter à la date d’entrée en vigueur du règlement. Le litige porté devant le juge national a conduit ce dernier à interroger la Cour sur le point de départ de la durée maximale de trente ans applicable à ces contrats spécifiques. La question posée était donc de savoir si cette période court à compter de l’attribution du contrat, de l’entrée en vigueur du règlement, ou d’une autre date. La Cour de justice a jugé que « la durée maximale de 30 ans prévue à cette disposition […] commence à courir à la date d’entrée en vigueur dudit règlement ». Cette solution, qui détermine le sort de nombreux contrats de longue durée en Europe, s’explique par une volonté de préserver un équilibre entre la sécurité juridique et l’objectif de libéralisation du marché.

Il convient ainsi d’analyser la méthode d’interprétation retenue par la Cour, qui l’a conduite à définir un point de départ autonome pour le régime transitoire (I), avant d’apprécier la portée de cette décision qui concilie la stabilité des relations contractuelles avec l’ouverture programmée à la concurrence (II).

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I. La clarification du point de départ du régime transitoire

Pour déterminer le point de départ de la période maximale de trente ans, la Cour a procédé par élimination, écartant d’abord une interprétation littérale qui se serait révélée contraire aux objectifs du texte (A), pour finalement consacrer une solution garantissant l’effet utile du régime transitoire (B).

A. Le rejet d’un calcul fondé sur la date d’attribution du contrat

L’article 8, paragraphe 3, du règlement dispose que les contrats attribués sans mise en concurrence avant le 26 juillet 2000 « peuvent se poursuivre jusqu’à leur expiration, mais pas au-delà de trente ans ». Une lecture littérale de cette disposition, défendue par la municipalité dans le litige au principal, suggérait que la durée intrinsèque du contrat ne pouvait excéder trente ans. La Cour a toutefois écarté cette approche en soulignant les conséquences problématiques qu’elle engendrerait.

En effet, retenir la date d’attribution du contrat comme point de départ aurait pu mener à une application rétroactive du règlement. Comme le souligne la Cour, une telle interprétation aboutirait « à ce que, par son entrée en vigueur, ce règlement mette fin rétroactivement, à une date antérieure à cette entrée en vigueur, à des contrats de service public légalement conclus ». Cette issue se heurterait frontalement au principe de sécurité juridique, qui protège les situations juridiques valablement constituées sous l’empire d’un droit antérieur. De plus, pour les contrats encore en cours, cette solution aurait pour effet de réduire considérablement, voire de supprimer, la période de transition voulue par le législateur, privant ainsi les autorités compétentes et les opérateurs du temps nécessaire pour s’adapter aux nouvelles règles d’ouverture à la concurrence.

B. La consécration d’un point de départ unique et autonome

Après avoir écarté la date d’attribution du contrat, la Cour s’est attachée à définir un point de départ qui soit à la fois uniforme et conforme aux objectifs du règlement. La solution retenue est celle de la date d’entrée en vigueur du règlement n° 1370/2007, soit le 3 décembre 2009. Ce choix pragmatique permet de préserver « l’effet utile de la période transitoire spécifique prévue à l’article 8, paragraphe 3 ».

En fixant un point de départ unique pour tous les contrats concernés, la Cour garantit une application homogène du droit de l’Union sur tout le territoire. Cette date unique a le mérite de « fixer un terme ultime identique à tous les contrats encore en cours », ce qui a pour effet de placer « sur un pied d’égalité les autorités compétentes et les opérateurs économiques concernés ». Ainsi, quelle que soit leur date de conclusion, tous les contrats de ce type se voient accorder une même période transitoire maximale de trente ans à compter du 3 décembre 2009, leur échéance finale étant fixée au plus tard au 3 décembre 2039. Cette interprétation téléologique assure une transition ordonnée vers le nouveau cadre juridique sans déstabiliser brutalement les situations existantes.

II. La conciliation entre sécurité juridique et ouverture à la concurrence

Au-delà de sa technicité, la décision de la Cour révèle une recherche d’équilibre entre deux impératifs fondamentaux du droit de l’Union. Elle assure la préservation de la stabilité des situations contractuelles établies (A) tout en affirmant un horizon temporel clair pour la libéralisation du secteur (B).

A. La préservation de la stabilité des situations contractuelles établies

En refusant de faire courir la durée maximale de trente ans à compter de la date d’attribution, la Cour protège les attentes légitimes des opérateurs économiques qui ont conclu des contrats de longue durée bien avant l’adoption du règlement. Le considérant 31 du texte souligne d’ailleurs la nécessité de prévoir des régimes transitoires pour que les acteurs puissent « s’adapter aux dispositions du présent règlement ». Une résiliation abrupte ou rétroactive de ces contrats aurait entraîné des « conséquences juridiques ou économiques excessives », allant à l’encontre de l’esprit du texte.

La solution retenue offre ainsi une sécurité juridique appréciable aux cocontractants des administrations publiques. Elle leur garantit que les investissements réalisés et les modèles économiques construits sur la base de contrats valablement conclus ne seront pas anéantis par une application trop rigide des nouvelles règles. Cette approche pragmatique reconnaît la réalité économique du secteur des transports publics, où les investissements en matériel et en personnel nécessitent une visibilité à long terme. La décision de la Cour agit donc comme un rempart contre une insécurité juridique qui aurait pu naître d’une interprétation purement littérale.

B. L’affirmation d’un horizon temporel défini pour la libéralisation

Si la Cour protège la stabilité contractuelle, elle ne sacrifie pas pour autant l’objectif principal du règlement, qui est d’introduire progressivement une concurrence régulée dans le marché des services de transport public. La décision ne pérennise pas les situations monopolistiques anciennes, mais leur fixe un terme certain et inéluctable. En fixant l’échéance maximale au 3 décembre 2039, elle met fin à l’incertitude et impose à toutes les autorités compétentes de préparer l’application des règles de mise en concurrence prévues à l’article 5 du règlement.

La portée de cet arrêt est donc de confirmer que le régime transitoire n’est qu’une exception temporaire. Il envoie un signal clair aux acteurs du marché : les contrats historiques attribués sans procédure concurrentielle sont voués à disparaître pour laisser place à un marché ouvert et transparent. La Cour arbitre ainsi de manière équilibrée entre le respect du passé et la construction de l’avenir du marché intérieur des transports. La transition sera longue, mais son terme est désormais connu et s’imposera uniformément à tous.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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