Cour de justice de l’Union européenne, le 19 novembre 2020, n°C-454/19

Par un arrêt rendu le 19 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne précise les limites imposées par le droit primaire aux législations pénales nationales. La juridiction était saisie d’une question préjudicielle portant sur la compatibilité d’une incrimination d’enlèvement international d’enfant avec la liberté de circulation des citoyens. Une ressortissante d’un État membre résidant dans un autre État membre s’est vu reprocher le non-retour de son enfant mineur après un déplacement vers son pays d’origine. Les autorités locales avaient confié le droit de déterminer la résidence du mineur à un curateur dans le cadre d’une mesure de protection. Le père de l’enfant a procédé au transfert du mineur vers le territoire d’origine avec l’accord de la mère mais sans informer les services sociaux. Poursuivie pénalement, la mère a contesté la législation nationale qui sanctionne plus lourdement les faits commis à l’étranger que ceux réalisés sur le territoire de l’État. L’Amtsgericht Heilbronn a donc sursis à statuer pour interroger les juges luxembourgeois sur la conformité de ce dispositif répressif au droit de l’Union européenne. La question posée visait à déterminer si le droit de circuler et séjourner librement s’oppose à une distinction de traitement entre les enlèvements nationaux et internationaux. La Cour répond par l’affirmative en soulignant que cette différence de traitement constitue une restriction disproportionnée à la liberté de mouvement garantie par les traités européens. L’examen de cette décision conduit à analyser l’existence d’une entrave à la libre circulation avant d’étudier le caractère injustifié de cette mesure de protection nationale.

**I. Une restriction caractérisée à la liberté de circulation des citoyens de l’Union**

**A. La caractérisation d’une différence de traitement liée au déplacement géographique**

La Cour rappelle qu’une législation nationale désavantageant les ressortissants ayant exercé leur liberté de circuler constitue une restriction aux libertés fondamentales garanties par le droit primaire. Le code pénal prévoit une peine pour quiconque ne remet pas un enfant à son curateur par la violence ou la ruse sur le territoire national. « L’article 235 du code pénal opère ainsi une distinction selon que l’enfant est retenu, par son parent, sur le territoire allemand ou qu’il est retenu en dehors de celui-ci ». Cette différence de régime repose exclusivement sur le franchissement d’une frontière étatique par le parent au cours de l’exercice de sa liberté de mouvement. Ce traitement différencié engendre des conséquences juridiques concrètes qui touchent plus particulièrement certaines catégories de citoyens européens installés sur le territoire d’un État membre hôte.

**B. L’incidence préjudiciable sur les ressortissants des autres États membres**

La mesure affecte principalement les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne possèdent pas la nationalité d’origine par leur situation familiale. Ces derniers sont « davantage que les ressortissants allemands, susceptibles de déplacer ou d’envoyer leur enfant vers un autre État membre et de l’y retenir ». L’incrimination spécifique de l’enlèvement international crée donc un risque pénal accru pour les personnes ayant fait usage de leur droit au séjour au sein de l’Union. L’existence d’une telle entrave nécessite alors d’examiner si des motifs d’intérêt général peuvent légitimer une atteinte aussi manifeste au principe de non-discrimination géographique des citoyens.

**II. L’exigence de proportionnalité au regard du principe de confiance mutuelle**

**A. L’insuffisance des motifs de protection de l’enfant pour justifier l’entrave**

La protection de l’enfance représente un intérêt légitime pouvant justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Les juges considèrent pourtant qu’une sanction automatique en cas de maintien de l’enfant à l’étranger « va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi ». La sévérité de la règle nationale ne tient pas compte des circonstances entourant le non-retour lorsque celui-ci s’effectue sans violence physique ou sans ruse caractérisée. L’analyse de la nécessité de la mesure impose de confronter la méfiance du législateur national aux mécanismes de coopération judiciaire établis entre les différents États membres.

**B. La primauté de la coopération judiciaire dans l’espace européen de justice**

L’argumentation nationale repose sur la présomption d’une difficulté excessive pour obtenir la reconnaissance des décisions judiciaires étrangères et le retour immédiat du mineur au domicile habituel. Une telle approche « reviendrait à assimiler les États membres à des États tiers et se heurterait aux règles et à l’esprit du règlement n o 2201/2003 ». Le principe de confiance mutuelle oblige chaque autorité nationale à considérer que les autres États respectent les droits fondamentaux et assurent une protection juridique efficace. La Cour conclut que l’article 21 TFUE s’oppose à une législation réprimant plus sévèrement un acte par la seule circonstance de sa localisation géographique extranationale.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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