Par un arrêt du 19 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne précise les modalités de détermination de la valeur en douane des marchandises importées. Une société allemande spécialisée dans le commerce du tabac avait conclu un contrat de distribution exclusive avec un exportateur étranger pour les marchés allemand et autrichien. En contrepartie de cette exclusivité territoriale sur le territoire autrichien, l’acheteur s’engageait à verser pendant quatre ans une compensation financière calculée sur son chiffre d’affaires. Lors des importations, la société déclarait le prix d’achat effectif sans inclure cette compensation, estimant qu’elle ne concernait pas directement la valeur des cigares. À la suite d’un contrôle, le bureau de douane principal de Singen a procédé au recouvrement a posteriori des droits en intégrant ces paiements à la base taxable. Saisi d’un recours le 6 décembre 2017, le tribunal des finances du Bade-Wurtemberg a décidé d’interroger la juridiction européenne sur la qualification juridique de ces versements. La question posée visait à savoir si un paiement pour un droit de distribution exclusive constitue une condition de la vente au sens du code des douanes. La Cour juge que ce versement doit être intégré à la valeur en douane dès lors que le vendeur exige ce paiement pour réaliser la transaction. L’analyse de cette solution impose d’étudier l’inclusion du droit d’exclusivité dans le prix de transaction avant d’apprécier la portée de cette approche économique.
I. L’assimilation du droit d’exclusivité au prix de transaction
A. L’éviction des redevances liées à la propriété intellectuelle
La juridiction souligne d’abord que les notions de redevances et de droits de licence concernent uniquement l’usage de droits de propriété intellectuelle bien définis. Ces catégories visent des paiements pour l’usage de brevets, de marques ou de procédés de fabrication intrinsèquement attachés aux marchandises lors de leur exportation. En l’espèce, les versements litigieux étaient effectués en contrepartie de l’octroi d’un droit de distribution exclusive et non pour l’usage d’une licence spécifique. La Cour relève qu’aucun élément ne suggère que ces paiements seraient dus en raison d’une concession portant sur des droits de propriété intellectuelle appartenant au vendeur. Puisque l’article 32 du code des douanes se limite à ces droits incorporels, il ne pouvait pas servir de fondement juridique à l’ajustement contesté. Cette distinction permet ainsi d’écarter une qualification erronée pour se concentrer sur la composition réelle du prix effectivement payé ou à payer par l’acheteur.
B. La caractérisation d’une condition de vente impérative
Le raisonnement se déplace alors vers l’article 29 du code des douanes, lequel définit la valeur transactionnelle comme le paiement total effectué pour les marchandises. Un paiement doit être inclus dans cette valeur dès lors qu’il constitue une « condition de la vente », notion que les juges interprètent de manière large. La Cour affirme qu’un versement constitue une telle condition lorsqu’il « revêt une importance telle pour le vendeur que, à défaut dudit paiement, ce dernier ne procéderait pas à la vente ». En l’occurrence, l’exportateur exigeait ce paiement supplémentaire pour consentir à la livraison des marchandises destinées à être distribuées exclusivement sur le territoire autrichien. Dès lors que le bénéficiaire du paiement est le vendeur lui-même, l’obligation contractuelle de verser la compensation devient indissociable de l’acte de vente initial. Cette qualification retenue, il importe désormais de mesurer les conséquences de cette solution sur la définition de la réalité économique des échanges.
II. Une approche finaliste garantissant la neutralité douanière
A. La primauté de la valeur économique réelle des biens
L’objectif du droit de l’Union est d’établir un système équitable et neutre, excluant l’utilisation de valeurs en douane arbitraires ou totalement fictives lors des contrôles. La valeur déclarée doit refléter la valeur économique réelle d’une marchandise en tenant compte de tous les éléments présentant un intérêt financier lors de l’importation. La Cour rappelle que la méthode de la valeur transactionnelle est supposée être la plus adaptée et doit donc être privilégiée par les administrations nationales. Intégrer le coût de l’exclusivité territoriale permet ainsi de saisir l’intégralité de la charge financière supportée par l’acheteur pour acquérir les produits dans ces conditions. Cette lecture extensive des composants du prix garantit que deux marchandises identiques soient taxées sur une base comparable, indépendamment des montages contractuels retenus. Le juge européen confirme ainsi sa volonté de privilégier la substance économique des accords sur leur seule qualification formelle ou comptable par les parties.
B. L’indifférence de la structure formelle des engagements contractuels
La juridiction précise que la circonstance que le paiement soit imposé dans un contrat-cadre global plutôt que dans chaque facture individuelle est dénuée de pertinence. Les conditions fixées dans cet accord général déterminent les modalités impératives auxquelles chaque vente individuelle doit être effectuée tout au long de la relation commerciale. De même, le fait que la compensation ne soit due que pendant une période limitée de quatre années ne modifie pas sa nature de condition de vente. Le litige portait précisément sur la détermination de la valeur des marchandises durant cette phase initiale où le vendeur exigeait contractuellement ce versement complémentaire. En validant l’intégration de ces sommes calculées sur le chiffre d’affaires, la Cour renforce la prévisibilité du droit douanier face aux stratégies d’optimisation fiscale. Cette décision assure une application uniforme du tarif douanier commun en empêchant la fragmentation artificielle du prix de vente entre plusieurs prestations de services connexes.