Cour de justice de l’Union européenne, le 19 septembre 2006, n°C-356/04

Par un arrêt du 19 septembre 2006, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de licéité de la publicité comparative portant sur le niveau général des prix de chaînes de grands magasins. En l’espèce, une société exploitant une chaîne de supermarchés avait engagé une action en cessation contre une entreprise concurrente. Cette dernière avait diffusé des messages publicitaires, notamment par courrier et sur des tickets de caisse, affirmant que ses prix étaient globalement inférieurs à ceux de ses concurrents, y compris les siens. Ces publicités se fondaient sur un indice de prix calculé à partir d’un échantillon de produits et mettaient en avant les économies substantielles qu’une famille pouvait réaliser en faisant ses achats dans ses magasins.

Saisi du litige, le rechtbank van koophandel te Brussel a sursis à statuer afin de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. La juridiction belge cherchait à savoir si la comparaison du niveau général des prix, fondée sur un échantillon de produits, était compatible avec la directive 84/450/CEE relative à la publicité trompeuse et comparative. Les questions portaient essentiellement sur la possibilité de comparer des assortiments de produits, sur le caractère objectif et vérifiable d’une telle comparaison et sur les conditions dans lesquelles elle pouvait être considérée comme trompeuse. Le débat opposait ainsi la thèse de l’annonceur, qui soutenait la pertinence d’une information synthétique pour le consommateur, à celle de son concurrent, qui dénonçait une pratique manquant de transparence et d’objectivité. La Cour devait donc déterminer dans quelle mesure une publicité comparative peut légalement s’abstraire d’une comparaison produit par produit au profit d’une vision d’ensemble des politiques tarifaires.

La Cour de justice a répondu qu’une telle publicité était en principe licite, à condition de respecter des exigences strictes de transparence pour ne pas induire le consommateur en erreur. Elle a ainsi admis la comparaison portant sur un niveau général de prix, considérant cette information utile pour le consommateur, tout en l’encadrant par l’obligation pour l’annonceur de garantir l’accès aux données ayant servi de base à la comparaison. La solution retenue consacre donc la validité d’une comparaison de prix collective (I), mais la soumet à des conditions rigoureuses visant à assurer la protection du consommateur (II).

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I. L’admission de la comparaison portant sur un niveau général des prix

La Cour de justice, dans une approche favorable à l’information du consommateur, reconnaît la licéité d’une publicité comparative portant sur des ensembles de produits. Elle admet ainsi que la comparaison puisse porter sur des assortiments de biens (A) et valide l’utilisation du niveau général des prix comme une caractéristique comparative pertinente (B).

A. La consécration de la comparaison d’assortiments de produits

La directive subordonne la licéité de la publicité comparative à la condition qu’elle porte sur des biens ou services « répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ». La Cour interprète cette disposition de manière large, estimant qu’elle n’exclut pas une comparaison collective. Elle juge qu’une telle approche peut se révéler particulièrement pertinente dans certains secteurs, notamment celui de la grande distribution. En effet, dans ce contexte, « une information comparative portant sur le niveau général des prix pratiqués par les chaînes de grands magasins […] est susceptible de s’avérer plus utile pour le consommateur qu’une information comparative limitée aux prix de tel ou tel produit particulier ». L’intérêt du consommateur, qui effectue habituellement des achats multiples, justifie donc que la comparaison puisse porter sur un panier de biens.

Cette admission n’est cependant pas inconditionnelle. La Cour précise que les assortiments comparés doivent être « constitués, de part et d’autre, de produits individuels qui, envisagés par paires, satisfont individuellement à l’exigence de comparabilité ». Autrement dit, la validité de la comparaison globale repose sur la condition que, pour chaque produit inclus dans l’échantillon de l’annonceur, il existe un produit interchangeable chez le concurrent. Cette exigence fondamentale garantit que la comparaison synthétique ne repose pas sur des rapprochements artificiels. La Cour valide ainsi la méthode tout en maintenant le principe d’interchangeabilité comme fondement de toute comparaison.

B. La reconnaissance du niveau général des prix comme critère de comparaison

Au-delà de l’objet de la comparaison, la Cour se prononce sur la nature de la caractéristique comparée. Elle considère que le « niveau général des prix » constitue une caractéristique pouvant être comparée objectivement, au sens de l’article 3 bis, paragraphe 1, sous c), de la directive. La Cour refuse d’imposer à l’annonceur une « énumération expresse et exhaustive dans le message publicitaire » de tous les produits et prix comparés. Une telle exigence, compte tenu du volume de données, rendrait en pratique impossible ce type de publicité comparative.

Le caractère objectif de la comparaison n’est donc pas lié à son exhaustivité au sein du message publicitaire lui-même. Il découle du fait que le niveau général des prix est le résultat d’un calcul fondé sur des données factuelles, à savoir les prix individuels des produits. La Cour précise que le prix d’un bien est une caractéristique vérifiable par nature. Par extension, un indicateur agrégé comme le niveau général des prix ou le montant des économies réalisables l’est également, « dès l’instant où il a été tenu compte des prix des produits comparables spécifiques composant l’assortiment ». En validant ce critère de comparaison, la Cour fait preuve de pragmatisme et adapte les exigences de la directive aux pratiques commerciales de la grande distribution.

II. L’encadrement de la comparaison collective par l’exigence de transparence

Si la Cour admet le principe d’une comparaison de prix collective, elle l’assortit de garanties strictes visant à assurer une information loyale du consommateur. Ces garanties se manifestent à travers une obligation d’accès aux données de la comparaison pour en assurer la vérifiabilité (A) et par la sanction du caractère trompeur de la publicité en cas d’information insuffisante (B).

A. L’exigence de vérifiabilité assurée par l’accessibilité de l’information

La directive impose que la comparaison porte sur des caractéristiques « vérifiables ». La Cour apporte une précision essentielle sur la portée de cette exigence lorsque les données ne figurent pas dans la publicité. Elle juge que la condition de vérifiabilité est remplie si l’annonceur fournit au consommateur les moyens de contrôler l’exactitude des informations avancées. Ainsi, lorsque les éléments de comparaison ne sont pas détaillés, la publicité n’est licite que si l’annonceur « indique, notamment à l’attention des destinataires de ce message, où et comment ceux-ci peuvent prendre aisément connaissance de ces éléments aux fins d’en vérifier […] l’exactitude ».

Cette obligation de renvoi vers une source d’information externe, tel qu’un site internet ou un document consultable en magasin, constitue le cœur de la protection du consommateur. Elle permet de concilier la nécessité d’un message publicitaire synthétique avec le droit du consommateur à une information complète. La vérification n’a pas à être réalisable par le consommateur lui-même dans tous les cas ; il doit pouvoir, si nécessaire, faire appel à un tiers compétent. La Cour instaure donc une obligation de transparence active à la charge de l’annonceur, qui est le corollaire indispensable à la liberté qui lui est accordée dans la présentation de sa comparaison.

B. La sanction du caractère trompeur en cas d’information lacunaire

La Cour fournit à la juridiction nationale les critères pour apprécier le caractère potentiellement trompeur d’une telle publicité, au sens de l’article 3 bis, paragraphe 1, sous a), de la directive. Une publicité comparative vantant un niveau de prix général plus bas peut être jugée trompeuse si elle omet des informations essentielles. Tel est le cas, selon la Cour, lorsque le message publicitaire « ne fait pas apparaître que la comparaison n’a porté que sur un tel échantillon et non sur l’ensemble des produits de l’annonceur ». Le consommateur moyen pourrait en effet être amené à croire, à tort, que l’annonceur est systématiquement moins cher sur l’intégralité de son offre.

De même, le caractère trompeur peut résulter de l’impossibilité d’identifier les éléments de la comparaison ou de l’absence de renvoi à une source d’information permettant cette identification. Enfin, la Cour souligne qu’une référence collective à une « fourchette d’économies » sans individualiser le niveau de prix de chaque concurrent peut également induire en erreur le consommateur sur le gain réel par rapport à un concurrent spécifique. Il appartient in fine au juge national d’apprécier, au regard de l’ensemble des éléments, si la publicité est susceptible d’altérer le comportement économique du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif.

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