Cour de justice de l’Union européenne, le 19 septembre 2006, n°C-506/04

Par un arrêt du 19 septembre 2006, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en sa grande chambre, a précisé les contours de la liberté d’établissement des avocats au sein de l’Union. Un avocat ayant acquis sa qualification dans un État membre s’est vu refuser son inscription auprès de l’autorité compétente d’un autre État membre, au motif qu’il ne s’était pas soumis à un entretien préalable visant à vérifier sa connaissance des langues de cet État d’accueil. Saisie d’un recours contre cette décision de refus, la juridiction administrative nationale a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle exigence linguistique avec la directive 98/5/CE. La question se posait également de savoir si la procédure de recours prévue par le droit national, impliquant des organes composés majoritairement d’avocats de l’État d’accueil, constituait un recours juridictionnel effectif au sens du droit communautaire. La Cour a jugé que « l’inscription d’un avocat auprès de l’autorité compétente d’un État membre autre que celui où il a acquis sa qualification en vue d’y exercer sous son titre professionnel d’origine ne peut pas être subordonnée à un contrôle préalable de la maîtrise des langues de l’État membre d’accueil ». Elle a en outre considéré que la procédure de recours nationale, qui ne garantissait pas un examen par une instance impartiale et ne permettait qu’un contrôle en droit devant la juridiction suprême, était contraire aux exigences de la directive.

La décision commentée renforce de manière significative la liberté d’établissement des avocats, en prohibant les contrôles linguistiques préalables qui pourraient constituer des entraves déguisées (I). Parallèlement, elle réaffirme avec force le droit fondamental à un recours juridictionnel effectif, en définissant des critères stricts d’indépendance et d’impartialité pour les instances chargées de statuer sur les litiges relatifs à cette liberté (II).

I. La consolidation de la liberté d’établissement par la prohibition des contrôles linguistiques préalables

La Cour de justice opère une interprétation stricte de la directive 98/5/CE, considérant que les conditions d’inscription qu’elle énonce sont exhaustives, ce qui exclut toute exigence linguistique préalable (A). Elle estime que la protection des justiciables est suffisamment assurée par les mécanismes de contrôle et les obligations déontologiques prévus par le texte lui-même (B).

A. Le caractère exhaustif des conditions d’inscription prévues par la directive

La Cour énonce clairement que la directive a réalisé une harmonisation complète des conditions d’exercice du droit qu’elle instaure. Elle relève que « le législateur communautaire a procédé, à l’article 3 de cette directive, à une harmonisation complète des conditions préalables requises pour l’usage du droit conféré par celle-ci ». Cette interprétation conduit à considérer que la seule formalité exigible est la présentation d’une attestation d’inscription auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’origine. L’inscription dans l’État d’accueil devient ainsi un droit pour l’avocat qui remplit cette unique condition, transformant la procédure en un mécanisme quasi-déclaratif.

En écartant toute possibilité pour les États membres d’ajouter des conditions non prévues par le texte, comme un test linguistique, la Cour prévient le risque de voir réapparaître des barrières protectionnistes. Une telle position est conforme à l’objectif de la directive, qui est de faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat et de répondre aux besoins des usagers du droit dans un marché intérieur intégré. La solution retenue prive les ordres professionnels nationaux d’une prérogative qui pourrait être utilisée pour limiter l’accès à leur marché, en privilégiant une approche fondée sur la confiance mutuelle entre les systèmes juridiques des États membres.

B. La protection des justiciables assurée par des mécanismes alternatifs

Face à l’argument de la nécessaire protection du consommateur de droit, qui pourrait être mise à mal par des professionnels ne maîtrisant pas les langues locales, la Cour met en avant les garanties déjà intégrées à la directive. Elle rappelle que le texte organise un système cohérent qui assure un niveau de protection jugé acceptable à l’échelle de l’Union, sans recourir à un contrôle a priori. Ces garanties reposent principalement sur l’information du client et la responsabilité du professionnel.

La Cour souligne ainsi l’obligation pour l’avocat d’exercer sous son titre professionnel d’origine, ce qui permet au justiciable d’être informé que son conseil n’a pas obtenu sa qualification dans l’État d’accueil. De plus, pour les activités judiciaires, les États membres peuvent imposer à l’avocat européen d’agir de concert avec un avocat local. Surtout, la Cour insiste sur le respect des règles déontologiques de l’État d’accueil, rappelant qu’il existe « une obligation, sanctionnée disciplinairement, de ne pas traiter des affaires dont les professionnels en cause savent ou devraient savoir qu’elles échappent à leur compétence, par exemple par manque de connaissances linguistiques ». Ce faisant, le contrôle de la compétence linguistique est déplacé de l’entrée dans la profession vers l’exercice même de l’activité, reposant sur la conscience professionnelle de l’avocat et la surveillance de ses pairs.

II. L’exigence d’un recours juridictionnel effectif et impartial

Au-delà de la question de l’inscription, l’arrêt se distingue par sa contribution à la définition du droit à un recours juridictionnel effectif. La Cour censure la composition des organes de recours nationaux, les jugeant impropres à garantir l’impartialité requise (A), et juge insuffisant un pourvoi en cassation limité à l’examen des questions de droit (B).

A. La disqualification des organes de recours composés de pairs

La Cour examine la composition des instances de recours prévues par la législation nationale, le Conseil disciplinaire et administratif et sa formation d’appel. Elle constate que ces organes sont composés exclusivement ou majoritairement d’avocats exerçant sous le titre professionnel de l’État d’accueil, c’est-à-dire des concurrents directs du requérant. Une telle composition est jugée incompatible avec les exigences d’indépendance et d’impartialité inhérentes à la notion de juridiction en droit de l’Union.

L’arrêt rappelle que ces garanties « postulent l’existence de règles, notamment en ce qui concerne la composition de l’instance, […] qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent ». La simple présence majoritaire de professionnels partageant un intérêt commun contraire à celui du requérant suffit à créer un doute légitime sur l’impartialité de l’organe. Cette analyse consacre une conception objective de l’impartialité, qui s’attache à la structure de l’instance plutôt qu’au comportement de ses membres. La décision a une portée considérable, car elle remet en cause les systèmes d’autorégulation professionnelle où les instances disciplinaires ou administratives sont exclusivement composées de membres de la profession.

B. L’insuffisance d’un contrôle juridictionnel limité au droit

La Cour de justice précise ensuite la portée du contrôle qui doit être offert. Elle énonce qu’un recours qui ne permet, in fine, qu’un contrôle en droit devant la juridiction suprême ne satisfait pas aux exigences de l’article 9 de la directive. En l’espèce, le pourvoi en cassation ne permettait pas de réexaminer les faits de l’affaire, laissant les appréciations factuelles des instances ordinales sans véritable contrôle juridictionnel.

La Cour affirme que le recours juridictionnel au sens de la directive doit permettre à une juridiction de statuer « tant en fait qu’en droit ». Cette exigence de plénitude de juridiction est essentielle pour assurer une protection effective des droits conférés par le droit de l’Union. Un simple contrôle de légalité est jugé insuffisant lorsque les instances inférieures ne présentent pas elles-mêmes les garanties d’une juridiction. En conséquence, les États membres doivent soit s’assurer que les organes de recours de première instance ou d’appel sont de véritables juridictions impartiales, soit, à défaut, garantir qu’une juridiction de pleine juridiction puisse être saisie à un stade ultérieur de la procédure. Cette solution renforce considérablement les droits des justiciables européens en leur assurant un contrôle complet, par un juge indépendant, des décisions administratives affectant leurs libertés fondamentales.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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