Cour de justice de l’Union européenne, le 19 septembre 2013, n°C-435/11

Par un arrêt du 19 septembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à interpréter la directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales, en clarifiant l’articulation entre l’interdiction générale et les cas spécifiques de pratiques trompeuses. En l’espèce, une agence de voyages avait publié une brochure commerciale affirmant détenir l’exclusivité de la réservation pour certains établissements hôteliers à des dates précises. Cette affirmation reposait sur des contrats d’exclusivité valablement conclus avec lesdits établissements. Cependant, à l’insu de l’agence, ces hôteliers ont manqué à leurs obligations contractuelles en accordant également des droits de réservation à une agence concurrente pour les mêmes périodes. Au moment de la diffusion de sa brochure, l’information sur l’exclusivité était donc devenue matériellement inexacte.

Saisies d’une action par l’agence concurrente, les juridictions autrichiennes de première instance, puis d’appel, par une ordonnance du 13 janvier 2011, ont rejeté la demande visant à faire cesser cette pratique. Elles ont estimé que le professionnel avait respecté les exigences de la diligence professionnelle, car il avait pris toutes les précautions contractuelles pour s’assurer de l’exclusivité revendiquée et ne pouvait se voir reprocher la violation contractuelle commise par ses partenaires. Saisi à son tour, l’Oberster Gerichtshof a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si une pratique commerciale contenant une information fausse, et donc potentiellement trompeuse au sens de l’article 6 de la directive, devait également, pour être qualifiée de déloyale et interdite, être contraire aux exigences de la diligence professionnelle, condition posée par la clause générale de l’article 5, paragraphe 2, de cette même directive.

La Cour de justice répond à cette question en affirmant que lorsqu’une pratique commerciale remplit tous les critères d’une pratique trompeuse définis à l’article 6, paragraphe 1, il n’est pas nécessaire de vérifier en outre si elle est contraire à la diligence professionnelle. La Cour consacre ainsi l’autonomie de la qualification de pratique trompeuse (I), ce qui a pour effet de renforcer de manière significative le niveau de protection accordé au consommateur (II).

I. L’autonomie de la qualification de pratique commerciale trompeuse

La Cour de justice fonde sa solution sur une analyse de la structure de la directive qui met en lumière une application indépendante des dispositions relatives aux actions trompeuses (A), garantissant par là même l’efficacité des catégories spécifiques de pratiques déloyales (B).

A. Une application indépendante fondée sur l’économie de la directive

La Cour souligne que l’article 5, paragraphe 4, de la directive qualifie de déloyales les pratiques qui sont « trompeuses au sens des articles 6 et 7 ». Cette formulation indique que la qualification de pratique trompeuse dépend exclusivement de l’examen des critères énoncés à ces articles. Le fait que l’article 5, paragraphe 4, ne renvoie aucunement aux conditions générales de l’article 5, paragraphe 2, confirme cette lecture.

De plus, la Cour relève que l’interdiction générale est, selon le considérant 13 de la directive, « développée par les règles relatives aux deux types de pratiques commerciales de loin les plus nombreuses, à savoir les pratiques commerciales trompeuses et les pratiques commerciales agressives ». Il en découle une architecture normative claire : la clause générale de l’article 5, paragraphe 2, constitue le socle, tandis que les articles 6 à 9 en sont des applications spécifiques et détaillées. Ces dernières n’exigent pas une vérification cumulative des conditions générales pour s’appliquer. Une pratique est donc jugée à l’aune de la catégorie spécifique qui la concerne, sans qu’il soit nécessaire de se référer à la clause générale.

B. La préservation de l’effet utile des qualifications spécifiques

La Cour justifie son interprétation en invoquant la nécessité de préserver l’effet utile des articles 6 à 9 de la directive. En effet, si pour qualifier une pratique de trompeuse au sens de l’article 6, il fallait également prouver qu’elle est contraire à la diligence professionnelle, cette disposition perdrait une grande partie de sa spécificité. La Cour observe que si les conditions étaient identiques, « lesdits articles seraient dépourvus de toute portée pratique ».

Le raisonnement est donc pragmatique : les articles 6 et 7 définissent de manière autonome ce qu’est une pratique trompeuse, en se concentrant sur l’impact de l’information sur le consommateur. L’article 6, paragraphe 1, précise qu’une pratique est trompeuse si elle contient une information fausse ou qui induit en erreur le consommateur moyen et qu’elle « l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ». Ces éléments se suffisent à eux-mêmes. L’ajout d’une condition relative au comportement du professionnel, telle que la diligence, viderait de sa substance cette qualification spécifique voulue par le législateur de l’Union.

II. La portée de la solution : un renforcement de la protection du consommateur

La solution retenue par la Cour de justice a pour conséquence directe d’objectiver l’appréciation du caractère trompeur d’une pratique (A), ce qui concourt à l’objectif d’un niveau élevé et harmonisé de protection des consommateurs dans le marché intérieur (B).

A. L’objectivation de l’appréciation de la pratique trompeuse

En jugeant qu’il n’y a pas lieu de vérifier le respect de la diligence professionnelle lorsqu’une information est matériellement fausse, la Cour fait peser sur le professionnel une obligation de résultat quant à l’exactitude des informations qu’il communique. La bonne foi du professionnel, ou les précautions qu’il a pu prendre, deviennent indifférentes dès lors que les critères de l’article 6, paragraphe 1, sont réunis. La pratique est jugée non pas à l’aune des efforts du professionnel, mais au regard de son effet sur le consommateur.

Cette approche objective la notion de pratique trompeuse. Le seul constat d’une information fausse, susceptible d’altérer le comportement économique du consommateur moyen, suffit à la faire interdire. La Cour affirme que « dans le cas où une pratique commerciale satisfait à tous les critères énoncés à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive pour être qualifiée de pratique trompeuse à l’égard du consommateur, il n’y a pas lieu de vérifier si une telle pratique est également contraire aux exigences de la diligence professionnelle ». Le manquement contractuel d’un partenaire, cause de l’inexactitude de l’information, relève du risque commercial de l’entreprise et ne peut être opposé au consommateur.

B. La contribution à un niveau de protection élevé et harmonisé

Cette interprétation sert directement la finalité de la directive, qui est d’assurer un niveau commun élevé de protection des consommateurs. En écartant l’examen de la diligence professionnelle pour les pratiques trompeuses, la Cour facilite la mise en œuvre de l’interdiction et garantit une application uniforme dans tous les États membres. Le consommateur bénéficie ainsi du même niveau de protection face à une publicité contenant une information fausse, que le professionnel soit ou non en faute.

La décision clarifie ainsi la hiérarchie des normes au sein de la directive. Il existe trois niveaux de contrôle : une liste de pratiques réputées déloyales en toutes circonstances (annexe I) ; des catégories spécifiques de pratiques trompeuses et agressives (articles 6 à 9) dont les conditions d’application sont autonomes ; et enfin, une clause générale (article 5, paragraphe 2) destinée à couvrir les pratiques déloyales ne relevant pas des deux premières catégories. Cet arrêt consolide l’édifice et renforce la sécurité juridique tant pour les consommateurs que pour les professionnels.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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