Cour de justice de l’Union européenne, le 19 septembre 2013, n°C-492/12

Par une décision rendue dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. En l’espèce, un État membre avait institué un cycle de formation spécialisée accessible aux titulaires d’un diplôme de médecin ou de praticien de l’art dentaire. La conformité de cette nouvelle formation avec le droit de l’Union a été contestée devant une juridiction nationale, au motif que sa dénomination ne figurait pas dans les listes de l’annexe V de la directive et qu’elle créait une voie d’exercice potentiellement irrégulière. Saisie de la question, la juridiction nationale a sursis à statuer afin d’interroger la Cour sur la compatibilité d’une telle initiative avec les objectifs d’harmonisation du droit européen. Il s’agissait donc de déterminer si un État membre conserve la liberté de créer des formations spécialisées non prévues par la directive et, dans l’affirmative, sous quelles conditions. À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative, tout en posant des limites strictes. Elle juge que la directive ne s’oppose pas à la création d’une telle formation, mais qu’il appartient à la juridiction nationale de s’assurer que cette dernière ne permet pas de contourner les exigences relatives à l’obtention des titres de formation de base de médecin et de praticien de l’art dentaire.

La solution retenue consacre ainsi une souplesse contrôlée laissée aux États membres pour adapter leurs offres de formation (I), tout en réaffirmant fermement la primauté des exigences harmonisées pour l’accès aux professions réglementées (II).

I. La consécration d’une souplesse d’organisation pour les formations spécialisées

La Cour de justice de l’Union européenne reconnaît aux États membres une marge d’appréciation significative dans la structuration de leur système de formation professionnelle. Cette latitude se manifeste tant dans la création de spécialités non répertoriées (A) que dans la définition d’un public mixte pour y accéder (B).

A. La liberté de création de titres de spécialité non énumérés

L’apport principal de la décision réside dans l’affirmation claire que la directive 2005/36/CE « ne s’oppose pas à la création, par un État membre, d’un cycle de formation spécialisée […] dont la dénomination ne correspond pas à celles énumérées, en ce qui concerne cet État membre, à l’annexe V de cette directive ». La Cour interprète ainsi la liste des qualifications reconnues non comme un catalogue exhaustif et figé, mais comme un socle minimal destiné à garantir la reconnaissance mutuelle automatique. En conséquence, les États conservent leur compétence pour développer de nouvelles filières répondant à l’évolution des savoirs et des pratiques médicales et dentaires. Cette approche pragmatique évite de pétrifier le système de formation européen et de freiner l’innovation. Elle permet l’émergence de spécialités transversales ou de niche qui n’avaient pas été envisagées lors de l’adoption de la directive. L’autonomie des États membres n’est donc pas abolie par l’harmonisation, mais simplement encadrée dans l’intérêt de la libre circulation des professionnels.

B. L’admission d’une audience hybride à la formation spécialisée

La Cour étend cette logique de flexibilité en validant la possibilité pour une même formation spécialisée d’être « ouverte tant aux personnes ayant accompli seulement une formation médicale de base qu’à celles qui ont accompli et validé uniquement les études dans le cadre de la formation de base de praticien de l’art dentaire ». Cette solution reconnaît l’existence de champs de compétences partagés entre différentes professions de santé. En autorisant la constitution de promotions mixtes, la Cour facilite le développement de disciplines carrefours, comme la chirurgie maxillo-faciale ou la stomatologie, qui se situent à l’intersection de la médecine et de l’art dentaire. De plus, elle confirme que « les matières relevant du domaine médical fassent partie d’une formation spécialisée dans le domaine de l’art dentaire ». Cette clarification lève toute ambiguïté sur la légitimité de programmes interdisciplinaires, favorisant ainsi une approche plus intégrée et complète du soin, au bénéfice final du patient.

Cette liberté octroyée aux systèmes nationaux d’enseignement n’est cependant pas sans limites. La Cour prend soin de l’assortir de garanties rigoureuses visant à préserver l’intégrité des professions réglementées.

II. Le maintien des garanties d’accès aux professions de base

Si les États membres peuvent innover en matière de spécialisation, ils ne sauraient le faire au détriment de la sécurité juridique et de la protection de la santé publique. La Cour érige ainsi des garde-fous stricts, en interdisant tout contournement des exigences de formation initiale (A) et en veillant à la distinction fonctionnelle des périmètres d’exercice (B).

A. L’interdiction du contournement des exigences de formation de base

La principale condition posée par la Cour vise à empêcher que la nouvelle spécialité ne devienne une voie d’accès détournée à l’une des professions de base. Il incombe en effet à la juridiction nationale de vérifier si la formation « ne conduit pas à la délivrance d’un titre de médecin avec formation de base ou à celle d’un titre de praticien de l’art dentaire avec formation de base ». En d’autres termes, le diplôme de spécialiste ne peut se substituer au diplôme fondamental de médecin ou de dentiste si le cursus suivi ne respecte pas l’intégralité des exigences minimales définies aux articles 24 et 34 de la directive. La Cour réaffirme ainsi le caractère impératif des standards de formation harmonisés au niveau européen. Ces derniers constituent le fondement de la confiance mutuelle entre États membres et garantissent un niveau de compétence élevé et homogène pour l’ensemble des praticiens circulant au sein de l’Union. Toute initiative nationale qui affaiblirait ce socle serait contraire à l’esprit et à la lettre de la directive.

B. La sanctuarisation du périmètre d’exercice des professions de base

En complément, la Cour précise la portée fonctionnelle du titre de spécialiste nouvellement créé. Elle souligne que la juridiction de renvoi doit contrôler si ce titre « n’habilite pas à exercer la profession de base de médecin ou de praticien de l’art dentaire par les personnes ne portant pas le titre, respectivement, de médecin avec formation de base ou de praticien de l’art dentaire avec formation de base ». La solution est dénuée d’ambiguïté : le spécialiste ne peut exercer que dans le champ de sa spécialité. Un praticien de l’art dentaire, même titulaire d’un diplôme de spécialité à composante médicale, ne devient pas pour autant médecin et ne peut accomplir des actes relevant de la médecine générale. Inversement, un médecin ayant suivi cette même spécialité ne peut se prévaloir de ce titre pour réaliser des actes spécifiquement réservés aux praticiens de l’art dentaire. Cette étanchéité des compétences garantit la clarté pour les patients et les autorités de contrôle, tout en préservant l’architecture des professions de santé réglementées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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