Cour de justice de l’Union européenne, le 19 septembre 2013, n°C-5/12

Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 19 septembre 2013 est venu préciser les conditions d’octroi du congé de maternité et la possibilité pour le père d’en bénéficier. En l’espèce, un travailleur salarié s’était vu refuser le bénéfice d’une partie du congé de maternité au motif que la mère de son enfant, exerçant une profession indépendante, n’était pas affiliée à un régime public de sécurité sociale. Le droit national subordonnait en effet le transfert de ce droit au père à la condition que la mère soit elle-même une travailleuse salariée détentrice d’un droit originaire. Saisie d’une demande de décision préjudicielle par une juridiction espagnole, la Cour devait déterminer si une telle législation était compatible avec le droit de l’Union, notamment au regard du principe d’égalité de traitement. La juridiction nationale s’interrogeait en particulier sur la différence de traitement qui en résultait non seulement entre pères et mères, mais également entre pères biologiques et pères adoptifs, ces derniers bénéficiant d’un droit autonome en cas d’adoption. À cette question, la Cour répond que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une mesure nationale qui conçoit le droit du père au congé de maternité comme un droit dérivé de celui de la mère. Elle justifie sa position en rappelant que ce congé vise avant tout la protection de la condition biologique et de la relation de la mère avec son enfant. Elle se déclare en outre incompétente pour se prononcer sur la différence de traitement entre les pères selon le mode de filiation. Ainsi, la solution retenue par la Cour consacre une interprétation stricte de la finalité du congé de maternité (I), tout en posant des limites claires au champ d’application du principe d’égalité en la matière (II).

***

I. La consécration d’une conception protectrice du congé de maternité

La Cour de justice fonde son raisonnement sur la nature spécifique du congé de maternité, le distinguant nettement d’autres formes de congés familiaux. Elle en fait un droit principalement attaché à la mère en raison de sa finalité protectrice (A), ce qui justifie que le droit du père ne puisse être qu’un droit dérivé et conditionnel (B).

A. L’assimilation du congé post-natal à un droit maternel

La Cour analyse la législation nationale au regard de la directive 92/85/CEE, relative à la protection des travailleuses enceintes. Elle rappelle que le congé de maternité vise à assurer « la protection de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse ainsi qu’à la suite de celle-ci et, d’autre part, la protection des rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période postérieure à la grossesse et à l’accouchement ». Cette double finalité justifie que le droit au congé soit prioritairement réservé à la mère. Même si la législation nationale prévoit une durée de congé supérieure au minimum de quatorze semaines fixé par la directive, l’intégralité de ce congé conserve cette nature de protection maternelle. La Cour écarte ainsi l’idée que la portion du congé excédant la période de repos obligatoire de la mère pourrait être requalifiée en congé parental, lequel obéirait à une logique de partage plus égalitaire entre les parents. Ce faisant, elle confirme que le congé de maternité, dans son intégralité, est conçu comme un instrument de protection de la santé et de la sécurité de la mère.

B. L’exclusion du père en l’absence de droit originaire de la mère

Découlant logiquement de cette qualification, la Cour valide le caractère dérivé du droit du père. Puisque le congé est un droit accordé à la mère, celle-ci ne peut en transférer le bénéfice que si elle en est elle-même titulaire. La Cour constate qu’en l’espèce, la mère, en sa qualité de travailleuse indépendante non affiliée au régime public, « ne dispose d’aucun droit à un tel congé qu’elle pourrait céder au père de cet enfant ». La situation du père travailleur salarié se trouve donc privée de son unique fondement juridique. La différence de traitement qui en résulte est justifiée, selon la Cour, par l’article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207/CEE, qui autorise les dispositions visant à la protection de la femme en ce qui concerne la grossesse et la maternité. Le refus opposé au père n’est donc pas une discrimination arbitraire, mais la conséquence directe et cohérente d’un système où le droit du père est conditionné par l’existence préalable d’un droit dans le chef de la mère.

II. Le refus d’une analyse unifiée des droits liés à la parentalité

Au-delà de la stricte question du congé de maternité, l’affaire soulevait une interrogation plus large sur l’harmonisation des différents droits liés à la parentalité. La Cour y répond par la négative, en maintenant une distinction nette entre le congé de maternité et le congé parental (A), et en se déclarant incompétente pour juger de la discrimination entre pères biologique et adoptif (B).

A. Le rejet de la qualification de congé parental

La juridiction de renvoi suggérait d’analyser la partie non obligatoire du congé de maternité comme un congé parental au sens de la directive 96/34/CE. Une telle qualification aurait ouvert la voie à un droit individuel pour le père, indépendant de la situation de la mère. La Cour écarte cependant cette approche, relevant que la disposition nationale litigieuse « ne concerne pas le congé parental au sens de cette directive ». Elle souligne que la demande de décision préjudicielle ne contient pas les éléments nécessaires pour examiner la réglementation nationale relative au congé parental. Cette position, bien que procédurale en apparence, a une portée de fond significative. Elle confirme que les États membres conservent la liberté de maintenir des régimes de congés distincts, avec des finalités et des conditions d’accès différentes. En refusant de fusionner les notions, la Cour préserve la spécificité du congé de maternité et évite d’étendre par voie jurisprudentielle le champ d’application du congé parental à des situations non prévues par les textes nationaux.

B. L’incompétence de la Cour à statuer sur la discrimination entre pères biologique et adoptif

La troisième question posée par la juridiction nationale mettait en lumière une apparente contradiction du droit espagnol, qui accordait un droit originaire au père adoptif mais seulement un droit dérivé au père biologique. La Cour choisit de ne pas répondre sur le fond, se déclarant incompétente. Elle motive sa décision en affirmant que « la réglementation applicable au litige au principal concerne une situation qui ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union ». En effet, à la date des faits, aucune disposition du droit de l’Union n’imposait une égalité de traitement entre le père biologique et le père adoptif en matière de congé de maternité. Le principe général d’égalité de traitement ne peut être invoqué que dans des situations régies par le droit de l’Union. Ce faisant, la Cour rappelle que sa compétence est une compétence d’attribution et qu’il n’appartient pas à elle, mais au législateur, de décider d’harmoniser ou non les droits liés aux différents modes de filiation.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture