La Cour de justice de l’Union européenne, dans une décision rendue le 6 octobre 2025, a sanctionné un État membre pour sa législation relative à la taxe d’immatriculation des véhicules. En l’espèce, un régime fiscal national imposait aux sociétés de location ou de crédit-bail établies dans d’autres États membres de s’acquitter de l’intégralité d’une taxe d’immatriculation pour des véhicules importés temporairement sur son territoire, et ce, dès le début de leur utilisation. Le montant exigé était identique à celui applicable pour une immatriculation définitive, sans considération pour la durée limitée et prédéterminée du contrat de service. Après la fin de la période de location et la réexportation du véhicule, l’administration nationale procédait à un remboursement partiel de la taxe, mais déduisait une somme forfaitaire de 500 euros au titre de frais administratifs et ne versait aucun intérêt sur le montant remboursé. Saisie d’un recours en manquement, la Cour devait déterminer si une telle pratique était compatible avec la libre prestation de services. Plus précisément, le fait d’exiger le paiement anticipé et intégral d’une taxe d’immatriculation pour une utilisation temporaire d’un véhicule constitue-t-il une restriction disproportionnée à la libre prestation de services ? En outre, les modalités de remboursement de cette taxe, qui excluent le paiement d’intérêts et incluent la retenue de frais fixes, sont-elles conformes aux principes du droit de l’Union ? À ces questions, la Cour répond par l’affirmative en déclarant que, d’une part, « en imposant l’obligation de payer à l’avance l’intégralité de la taxe d’immatriculation », quelle que soit la durée d’utilisation, et d’autre part, « en s’abstenant de prévoir le paiement d’intérêts lors du remboursement » et « en retenant la somme de 500 euros à titre de frais administratifs », l’État membre concerné a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Cette décision conduit à examiner la non-conformité au droit de l’Union du système de taxation anticipée (I), avant d’analyser la censure des modalités de restitution de la taxe indûment perçue (II).
***
I. La non-conformité du système de taxation anticipée
La Cour de justice sanctionne la législation nationale en ce qu’elle impose une charge fiscale immédiate et complète (A), rappelant ainsi l’exigence fondamentale d’une imposition strictement proportionnée à la durée d’utilisation du bien dans le cadre d’une prestation de services (B).
A. La sanction d’une perception fiscale immédiate et intégrale
La Cour de justice constate que le mécanisme de taxation mis en place par l’État membre constitue une entrave à la libre prestation de services. En effet, l’obligation pour un prestataire établi dans un autre État membre de verser l’intégralité de la taxe d’immatriculation dès l’importation du véhicule, alors que celui-ci ne sera utilisé que de manière temporaire, crée une charge financière immédiate et significative. Cette exigence place les prestataires étrangers dans une situation moins favorable que les opérateurs nationaux, qui n’ont pas à supporter un tel décaissement pour une activité de courte durée. Le dispositif a pour effet de rendre plus onéreuse la fourniture de services de location ou de crédit-bail transfrontaliers, décourageant ainsi les opérateurs des autres États membres d’offrir leurs services sur le marché de l’État en question.
La Cour estime que le fait de devoir avancer la totalité d’une taxe conçue pour une immatriculation définitive, sans tenir compte de la durée limitée et contractuellement fixée de la location, est une mesure qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif fiscal poursuivi. La charge de trésorerie imposée aux entreprises étrangères est telle qu’elle constitue une barrière non tarifaire à l’entrée sur le marché, directement contraire à l’esprit et à la lettre de l’article 56 du TFUE. Cette entrave découle directement d’un manquement au principe de proportionnalité.
B. L’exigence d’une taxation proportionnée à la durée d’utilisation
En jugeant que l’Irlande a manqué à ses obligations « en imposant l’obligation de payer à l’avance l’intégralité de la taxe d’immatriculation », la Cour rappelle une jurisprudence constante selon laquelle une taxe sur les véhicules doit être strictement proportionnée à la durée de leur utilisation sur le territoire national. Un État membre est en droit de soumettre à une taxe les véhicules loués par l’un de ses résidents auprès d’une société établie dans un autre État membre. Cependant, le calcul de cette taxe doit refléter précisément la période durant laquelle le véhicule est utilisé sur son territoire. En l’espèce, le fait que « la durée temporaire du crédit-bail ou de la location a été déterminée précisément et est connue à l’avance » rendait d’autant plus injustifiable la perception de la totalité de la taxe.
La solution juste et conforme au droit de l’Union aurait consisté à mettre en place un système de taxation calculé *prorata temporis*. Une telle méthode permet de garantir la neutralité fiscale du marché et d’assurer que la charge imposée au prestataire de services est directement corrélée à l’utilisation effective du bien sur le territoire. En rejetant un système de paiement intégral suivi d’un remboursement partiel, la Cour souligne que même un remboursement ultérieur ne suffit pas à compenser l’inconvénient financier initial et l’effet dissuasif qui en résulte. L’entrave est constituée par l’obligation de paiement initial elle-même, indépendamment des mécanismes de correction postérieurs.
Au-delà de la question de la perception de la taxe, la Cour étend son contrôle aux modalités de sa restitution, affirmant que celles-ci doivent également respecter les exigences du droit de l’Union.
II. La censure des modalités de restitution de la taxe
La Cour de justice ne se limite pas à condamner le principe de la perception intégrale de la taxe ; elle sanctionne également les conditions de son remboursement. Elle invalide ainsi le refus de verser des intérêts sur les sommes remboursées (A) et la pratique consistant à appliquer une retenue pour frais administratifs jugée excessive (B).
A. La condamnation de l’absence de versement d’intérêts
La Cour juge que l’État membre a manqué à ses obligations « en s’abstenant de prévoir le paiement d’intérêts lors du remboursement de la taxe d’immatriculation des véhicules ». Cette position s’inscrit dans une logique de réparation intégrale du préjudice subi par l’opérateur économique. Lorsqu’un État membre perçoit une taxe en violation du droit de l’Union, il doit non seulement la restituer, mais aussi compenser la perte financière subie par le contribuable du fait de l’indisponibilité des sommes indûment versées. Le versement d’intérêts moratoires a pour objet de neutraliser les conséquences économiques de la perception illégale de la taxe.
En l’absence de versement d’intérêts, le remboursement ne serait que partiel, laissant à la charge du prestataire le coût de l’immobilisation de sa trésorerie. L’État, quant à lui, bénéficierait d’un enrichissement sans cause en ayant disposé de liquidités sans contrepartie financière. La Cour réaffirme ici le principe d’effectivité du droit de l’Union : les modalités de restitution des taxes contraires au droit de l’Union ne doivent pas rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique européen. L’absence d’intérêts constitue un tel obstacle. L’effectivité du remboursement est également compromise par la retenue de frais jugés excessifs.
B. La censure de la retenue de frais administratifs fixes
La Cour de justice condamne également l’État membre pour le fait qu’il retenait « la somme de 500 euros à titre de frais administratifs sur le montant de la taxe d’immatriculation à rembourser ». Si les États membres peuvent légitimement imputer des frais pour la gestion de dossiers administratifs, ces frais doivent rester raisonnables et proportionnés au service rendu. En l’espèce, une retenue forfaitaire de 500 euros apparaît comme une sanction déguisée plutôt qu’une juste compensation pour un coût de traitement. Un tel montant peut être dissuasif, en particulier pour les contrats de location de très courte durée où le montant de la taxe remboursable pourrait être faible.
En fixant un montant aussi élevé, l’État membre compromet l’effet utile du remboursement et maintient une barrière financière pénalisant les prestataires étrangers. La Cour suggère implicitement que les frais administratifs, s’ils sont justifiés, devraient être calculés sur une base qui reflète le coût réel de l’opération administrative, et non de manière forfaitaire et punitive. Cette censure renforce la protection des opérateurs économiques contre des pratiques nationales qui, sous couvert de gestion administrative, visent en réalité à neutraliser les droits qu’ils tirent des traités européens. La décision rappelle que chaque aspect de la procédure fiscale, y compris sa phase de restitution, est soumis à l’exigence de proportionnalité.