La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 19 septembre 2018, un arrêt essentiel concernant l’interprétation de la directive 2000/78. Un salarié, employé comme gardien civil auprès de forces armées étrangères en Allemagne, fut licencié suite à la fermeture de son site. Atteint d’un handicap grave, il percevait une allocation complémentaire destinée à compenser sa perte de revenus et à faciliter sa réinsertion professionnelle. L’employeur cessa toutefois ce versement dès que l’intéressé remplit les conditions légales pour bénéficier d’une pension de retraite anticipée pour personnes handicapées. Par un jugement notifié le 11 février 2016, l’Arbeitsgericht de Münster rejeta la demande initiale du salarié, lequel saisit alors le Landesarbeitsgericht de Hamm. Cette juridiction décida de surseoir à statuer afin d’interroger la Cour sur la validité d’une telle pratique conventionnelle au regard du handicap. La question préjudicielle porte sur l’éventuelle discrimination résultant de la cessation automatique d’une prestation de soutien financier avant l’âge légal de la retraite. La Cour considère que cette règle conventionnelle instaure une différence de traitement indirecte dont la justification ne respecte pas les impératifs de proportionnalité. Ce raisonnement suppose d’abord de qualifier juridiquement l’allocation en cause avant d’analyser la pertinence des objectifs invoqués par les partenaires sociaux nationaux.
I. La qualification de l’allocation et le constat d’un désavantage indirect
A. L’inclusion de la prestation dans le champ de la rémunération
La Cour examine en premier lieu si l’allocation litigieuse relève du champ d’application de la directive garantissant l’égalité de traitement au travail. Selon l’article 157 du Traité, il faut entendre par « rémunération » le salaire de base et tous les avantages payés par l’employeur. Les juges précisent que cette notion doit être interprétée largement et inclut les prestations versées après la rupture effective de la relation contractuelle. L’allocation complémentaire est ici calculée sur la base du dernier traitement perçu par le salarié avant la suppression définitive de son poste. Elle constitue un avantage en espèces accordé en raison de l’emploi occupé, ce qui l’assimile juridiquement à une forme de rémunération différée. L’intégration de cette mesure dans le domaine salarial permet ainsi d’appliquer les principes protecteurs contre les discriminations prévus par le droit européen. Ce cadre juridique une fois posé, la Cour peut alors apprécier si les modalités de suppression de l’aide désavantagent spécifiquement les travailleurs invalides.
B. L’existence d’une différence de traitement fondée sur le handicap
Les dispositions conventionnelles prévoient la fin du versement dès l’ouverture du droit à une pension, sans exiger le bénéfice effectif de celle-ci. Si ce critère semble neutre, il entraîne une durée de jouissance réduite de l’allocation pour les personnes bénéficiant d’un régime de retraite anticipée. La Cour relève que les revenus cumulés d’un travailleur handicapé sont inférieurs à ceux perçus par un salarié valide placé dans une situation identique. Il en résulte un désavantage financier particulier qui caractérise une discrimination indirecte, selon les termes de l’article 2 de la directive précitée. Les deux catégories de travailleurs sont pourtant dans une situation comparable puisque leur licenciement intervient pour un motif économique commun et simultané. Cette différence de traitement doit donc être examinée à l’aune des justifications admises afin de vérifier si elle poursuit un but légitime nécessaire.
II. Le caractère disproportionné de la mesure au regard de l’objectif poursuivi
A. La légitimité reconnue des objectifs de politique sociale
La Cour reconnaît aux États membres et aux partenaires sociaux une large marge d’appréciation dans la définition de leur politique de l’emploi. L’octroi d’une compensation financière et l’aide à la réinsertion professionnelle constituent des objectifs de nature sociale considérés comme parfaitement légitimes par le juge. Le maintien d’une allocation peut également ne pas paraître indispensable lorsque le travailleur accède déjà à une protection économique par le biais d’une retraite. La fin du versement vise d’ailleurs à assurer une juste répartition de ressources financières limitées entre tous les agents victimes d’un licenciement collectif. Ces finalités justifient raisonnablement le principe d’une cessation de l’aide, mais les modalités concrètes de mise en œuvre doivent rester strictement proportionnées. L’équilibre recherché entre les intérêts respectifs des signataires de la convention collective ne doit toutefois pas occulter la vulnérabilité des bénéficiaires handicapés.
B. L’insuffisante prise en compte des besoins spécifiques liés au handicap
La Cour juge que la cessation automatique de l’allocation porte une atteinte excessive aux intérêts légitimes des travailleurs atteints d’une incapacité de travail. Le salarié handicapé ne dispose pas de la possibilité de continuer à travailler pour cumuler ses revenus jusqu’à l’obtention d’une retraite complète. De plus, « les personnes atteintes d’un handicap grave ont des besoins spécifiques liés tant à la protection que requiert leur état qu’à l’aggravation possible ». Ces besoins financiers incompressibles augmentent généralement avec l’âge et rendent la perte de l’allocation d’autant plus préjudiciable pour la subsistance du foyer. En ignorant ces réalités concrètes, les partenaires sociaux ont donc excédé ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de répartition budgétaire. La règle conventionnelle est ainsi déclarée contraire au droit de l’Union car elle compromet la protection effective des agents les plus fragiles.