Cour de justice de l’Union européenne, le 2 avril 2020, n°C-20/19

Par un arrêt du 17 mars 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le champ d’application et les modalités d’exercice du droit de renonciation en matière de contrat d’assurance-vie. En l’espèce, une société de droit autrichien avait souscrit un tel contrat en 2005. Plus de douze ans après la conclusion, elle a déclaré y renoncer, au motif que l’information précontractuelle fournie par l’assureur était erronée. Cette information exigeait une forme écrite pour la renonciation, condition non requise par le droit national, ce qui aurait, selon le preneur, empêché le délai de renonciation de commencer à courir.

La compagnie d’assurance a rejeté cette déclaration tardive. Saisi du litige, le Handelsgericht Wien a, par une décision du 13 août 2018, débouté la société requérante. Les juges du premier degré ont estimé que le droit de renonciation illimité, découlant d’une information défaillante, relevait de la protection des consommateurs et ne pouvait donc bénéficier à un preneur professionnel. Sur appel de cette décision, l’Oberlandesgericht Wien a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si la directive 2002/83/CE s’opposait à une réglementation nationale prévoyant l’expiration du délai de renonciation, indépendamment de la communication d’une information exacte, lorsque le preneur d’assurance n’est pas un consommateur.

À cette question, la Cour répond que les dispositions pertinentes de la directive sont également applicables à un preneur n’ayant pas la qualité de consommateur. Elle juge qu’une information comportant une erreur sur les modalités d’exercice du droit de renonciation ne fait pas obstacle au cours du délai, pour autant que cette erreur ne prive pas le preneur de la possibilité effective d’exercer son droit. L’appréciation de cette condition est laissée au juge national. La solution retenue consacre ainsi un droit de renonciation d’application générale (I), dont l’exercice est toutefois soumis à une appréciation pragmatique de l’effectivité (II).

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I. L’affirmation d’un droit de renonciation indifférent à la qualité du preneur d’assurance

La Cour de justice étend le bénéfice du droit de renonciation à tous les preneurs d’assurance, en se fondant sur une interprétation extensive de la directive (A), rejetant ainsi une lecture qui assimilerait ce droit à une simple mesure de protection des consommateurs (B).

A. Une interprétation littérale et téléologique extensive du champ d’application de la directive

Pour établir que le droit de renonciation bénéficie à tout preneur, la Cour procède à une analyse classique des textes. Elle constate d’abord que « ni le libellé desdits articles 35 et 36 ni, par ailleurs, celui du considérant 45 de la directive 2002/83 […] n’opèrent de distinction parmi les preneurs d’assurance selon qu’ils sont ou non des consommateurs ». Cette approche littérale est ensuite renforcée par une analyse systémique du texte. La Cour relève que d’autres dispositions de la directive, notamment son article 1er, paragraphe 1, sous g), envisagent expressément l’hypothèse où le preneur est une personne morale.

Surtout, l’argument décisif est tiré de la faculté laissée aux États membres par l’article 35, paragraphe 2, de la directive. Cette disposition les autorise à ne pas octroyer le droit de renonciation « lorsque, en raison de la situation du preneur d’assurance ou des conditions dans lesquelles le contrat est conclu, le preneur n’a pas besoin de bénéficier de [ladite] protection spéciale ». La Cour en déduit logiquement que si une exception est prévue pour exclure certains preneurs, notamment professionnels, c’est bien que la règle générale est leur inclusion. L’objectif de la directive, qui est d’assurer « une protection adéquate des assurés et des bénéficiaires dans tous les États membres », vient conforter cette interprétation large, qui interdit de limiter la protection en fonction des caractéristiques personnelles des preneurs.

B. Le rejet d’une assimilation restrictive du preneur d’assurance au consommateur

La juridiction de renvoi et la compagnie d’assurance s’appuyaient sur la jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Endress* de 2013, pour soutenir une vision consumériste du droit de renonciation. Dans cette décision, la Cour avait en effet justifié l’existence d’un droit de renonciation perpétuel en l’absence d’information en se référant à la situation de faiblesse du preneur, analogue à celle d’un consommateur. La Cour, dans le présent arrêt, ne revient pas sur cette analogie mais en précise la portée.

Elle explique que la comparaison se fondait sur « l’existence d’éléments communs à leur situation contractuelle », tels que la complexité des produits d’assurance et l’importance des engagements financiers. Or, la Cour affirme qu’il « ne saurait être considéré que ces éléments ne puissent exister au regard de preneurs d’assurance n’ayant pas la qualité de consommateurs ». En d’autres termes, la vulnérabilité qui justifie la protection n’est pas liée au statut juridique de la personne, mais à la nature même du contrat d’assurance. Un professionnel, même averti dans son domaine d’activité, n’est pas nécessairement un expert en produits financiers complexes. La Cour dissocie ainsi la protection offerte par la directive de la notion stricte de consommateur, pour l’attacher à une situation de faiblesse contractuelle objectivement appréciée.

L’extension du droit de renonciation étant ainsi établie, il restait à définir les conséquences d’une information erronée sur les modalités de son exercice.

II. L’appréciation pragmatique des conséquences d’une information erronée sur le droit de renonciation

La Cour adopte une solution nuancée en posant une condition d’effectivité substantielle du droit de renonciation (A), dont le contrôle est confié au juge national dans le cadre d’une évaluation *in concreto* (B).

A. La consécration d’une condition d’effectivité substantielle du droit de renonciation

La question centrale était de savoir si une information imparfaite, en l’occurrence l’exigence d’une forme écrite non requise par la loi, suffisait à paralyser le point de départ du délai de renonciation. La Cour répond par la négative en reprenant la solution dégagée dans son arrêt *Rust-Hackner* de 2019. Le délai de renonciation commence bien à courir, même avec une information erronée, « pour autant qu’une telle indication ne prive pas les preneurs d’assurance de la possibilité d’exercer leur droit de renonciation en substance dans les mêmes conditions que celles qui auraient prévalu si l’information avait été exacte ».

Ce faisant, la Cour substitue une logique de l’effectivité substantielle à une logique de la conformité formelle. L’erreur dans l’information n’est sanctionnée que si elle constitue un réel obstacle à l’exercice du droit. Une simple inexactitude qui ne complique pas matériellement la démarche du preneur est jugée insuffisante pour justifier une prorogation, voire une absence de prescription du droit de renonciation. L’ajout d’une condition de forme, comme l’exigence d’un écrit, peut même dans certains cas être considérée comme une mesure de prudence qui ne lèse pas le preneur. Cette approche pragmatique vise à trouver un équilibre entre la protection du preneur et la sécurité juridique nécessaire aux relations contractuelles.

B. Le renvoi au juge national pour une évaluation *in concreto* de l’impact de l’erreur

La mise en œuvre de ce critère de l’effectivité substantielle relève nécessairement d’une analyse factuelle. La Cour charge donc la juridiction de renvoi de procéder à « une évaluation globale tenant compte notamment du contexte législatif national et des faits au principal ». Cette appréciation *in concreto* doit permettre de déterminer si l’erreur a, dans les circonstances de l’espèce, réellement empêché ou rendu plus difficile l’exercice du droit de renonciation.

C’est à ce stade de l’analyse que la qualité du preneur d’assurance retrouve toute son importance. La Cour précise en effet que cette évaluation globale doit inclure « l’éventuelle qualité de consommateur du preneur ». Si cette qualité est indifférente pour déterminer l’existence du droit, elle devient un élément essentiel pour apprécier l’impact d’une information erronée. On peut légitimement attendre d’un preneur professionnel une plus grande diligence et une meilleure capacité à surmonter des obstacles formels mineurs. A l’inverse, une information identique pourrait être jugée comme privant un consommateur de son droit effectif. Le juge national dispose ainsi d’une grille d’analyse flexible lui permettant de moduler sa décision en fonction du degré de vulnérabilité présumé du contractant.

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Hassan KOHEN
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