La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 3 octobre 2019, précise l’articulation entre la surveillance administrative et la responsabilité civile bancaire. Le litige concernait initialement l’inexécution d’un ordre de transfert de fonds en dollars américains vers un compte ouvert auprès d’un établissement financier étranger.
L’utilisateur de services de paiement reprochait à son prestataire de ne pas avoir restitué les sommes bloquées suite à un moratoire imposé à l’établissement destinataire. Par une décision du 17 octobre 2013, l’autorité de régulation nationale a sanctionné le prestataire après avoir constaté une violation des obligations de paiement.
Le prestataire a contesté cette sanction devant la Cour administrative régionale de Lettonie, laquelle a rejeté son recours par un arrêt rendu le 5 août 2015. Cette juridiction a souligné que l’établissement n’avait pas suffisamment approvisionné son compte auprès de son correspondant pour permettre l’exécution rapide de l’ordre.
Saisie d’un pourvoi en cassation, la Cour suprême de Lettonie a interrogé le juge européen sur la validité d’une extension du contrôle administratif aux devises tierces. Elle souhaitait également connaître l’influence d’une sentence arbitrale, rendue le 4 février 2014, sur les pouvoirs de sanction de l’autorité de régulation.
La solution retenue distingue les pouvoirs de surveillance applicables aux devises tierces de la résolution des différends privés portant sur l’exécution contractuelle des ordres de paiement.
I. L’encadrement administratif étendu aux opérations de paiement en devises tierces
A. La faculté d’extension du champ d’application matériel par le législateur national
La Cour de justice admet que les dispositions nationales de transposition puissent régir des opérations de paiement effectuées dans la devise d’un État tiers à l’Union. Elle constate que l’Union n’a pas exercé sa compétence législative pour harmoniser intégralement ce secteur spécifique au moyen de la directive de 2007.
En conséquence, « il est loisible aux États membres de rendre applicables à cette dernière catégorie de services de paiement » les règles relatives à la transparence. Le droit de l’Union ne s’oppose donc pas à ce qu’une autorité nationale examine des réclamations portant sur des transactions libellées en dollars américains.
Cette interprétation renforce la protection des utilisateurs en permettant aux régulateurs nationaux de sanctionner des manquements sur des marchés financiers mondialisés. Elle respecte néanmoins la souveraineté des États dans les domaines de compétence partagée où aucune harmonisation européenne exhaustive n’a encore été formellement adoptée.
Cette extension matérielle du contrôle administratif s’accompagne toutefois d’une délimitation stricte des entités soumises aux procédures de surveillance spécifiques prévues par la directive européenne.
B. La délimitation organique du contrôle prudentiel spécifique aux établissements de paiement
Le juge européen apporte une précision essentielle sur la portée des articles relatifs à la surveillance et aux sanctions des établissements de paiement. Il souligne que ces dispositions s’appliquent exclusivement aux entités répondant à la définition stricte de ces établissements, à l’exclusion des établissements de crédit.
Les établissements de crédit demeurent en effet soumis aux exigences prudentielles sectorielles qui leur sont propres en raison de la nature spécifique de leurs activités. « Les établissements de crédit […] doivent rester soumis aux exigences prudentielles fixées au titre de la directive 2006/48 », contrairement aux prestataires de services spécialisés.
La cohérence du système européen de surveillance bancaire impose ainsi de respecter les régimes juridiques distincts applicables selon le statut de l’intermédiaire financier concerné. La délimitation des compétences organiques conduit alors à s’interroger sur la nature même de l’intervention des autorités de régulation dans les rapports contractuels.
II. L’autonomie fonctionnelle du contrôle administratif face aux contentieux civils
A. La séparation impérative entre les missions de surveillance et le règlement des litiges
La décision rappelle que les procédures de réclamation administrative et les recours extrajudiciaires poursuivent des objectifs juridiques différents qui ne sauraient être confondus. L’autorité de régulation assure le respect de l’ordre public économique tandis que le médiateur ou l’arbitre tranche des contestations portant sur des intérêts privés.
L’autorité compétente n’est pas habilitée « à régler les litiges entre prestataires et utilisateurs de services de paiement » nés d’une mauvaise exécution d’une opération. Sa mission consiste uniquement à vérifier le bien-fondé d’une plainte pour sanctionner d’éventuelles infractions administratives aux dispositions légales régissant les services financiers.
Même si un État choisit de concentrer ces compétences au sein d’une seule autorité, celle-ci doit les exercer de manière parfaitement autonome. Cette séparation garantit ainsi que la protection administrative de l’intérêt collectif ne se substitue pas indûment aux mécanismes contractuels de responsabilité devant les tribunaux.
L’autonomie des procédures administratives vis-à-vis des litiges civils soulève alors la question de l’autorité accordée aux sentences arbitrales dans le cadre du contrôle prudentiel.
B. L’influence encadrée de la chose jugée arbitrale sur l’exercice du pouvoir de sanction
La Cour de justice consacre le principe de l’autonomie procédurale des États membres concernant la valeur probante des sentences arbitrales devant les régulateurs. Le législateur national peut autoriser l’autorité de contrôle à prendre en compte le contenu d’une décision arbitrale rendue entre un utilisateur et son prestataire.
Cette faculté reste toutefois subordonnée à la condition que la force probatoire reconnue à la sentence « ne soit pas susceptible de porter préjudice à l’objet » des procédures. L’autorité de contrôle doit conserver son entière autonomie pour apprécier la gravité des manquements administratifs indépendamment de l’issue d’un procès civil.
La solution équilibre le respect des décisions juridictionnelles privées avec la nécessité de maintenir une surveillance administrative efficace et indépendante des accords contractuels. Elle permet ainsi d’assurer l’effet utile du droit de l’Union tout en respectant les modalités procédurales propres à chaque système juridique national.