Par un arrêt du 2 avril 2020, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la qualification juridique de la location de véhicules équipés de postes de radio au regard du droit d’auteur. Cette décision apporte un éclaircissement essentiel sur la notion de « communication au public », dont la définition détermine le champ d’application du droit exclusif des auteurs et des droits à rémunération des artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes.
Des organismes de gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins ont engagé des poursuites en Suède contre des sociétés de location de véhicules automobiles. Ces dernières proposaient à la location des véhicules équipés de postes de radio standards, permettant la réception de services de radiodiffusion. Les organismes de gestion collective soutenaient que cette mise à disposition constituait une communication au public d’œuvres protégées, nécessitant une autorisation des titulaires de droits et le versement d’une rémunération. Les procédures nationales ont abouti à des décisions contradictoires, l’une des cours d’appel suédoises considérant qu’il y avait bien communication au public, tandis qu’une autre a jugé le contraire. Saisie des deux pourvois, la Cour suprême de Suède a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation des dispositions pertinentes du droit de l’Union.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer si la fourniture, dans le cadre d’un service de location, de véhicules automobiles équipés de récepteurs de radiodiffusion constitue un acte de « communication au public » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE et de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115/CE. Il s’agissait de savoir si le loueur de véhicules, par ce seul acte de mise à disposition, devenait un utilisateur procédant à une exploitation soumise au droit d’auteur.
À cette interrogation, la Cour de justice a répondu par la négative. Elle a jugé que la location de véhicules automobiles équipés de postes de radio ne constitue pas une communication au public. La solution se fonde sur une analyse des critères constitutifs de cette notion, notamment l’exigence d’un acte d’intervention délibéré de la part de l’utilisateur. Cette décision, fondée sur une interprétation restrictive de l’acte de communication (I), consacre une distinction nette entre la fourniture d’une installation et l’intervention active de l’opérateur, clarifiant ainsi la portée du droit d’auteur dans le contexte de la mise à disposition d’équipements (II).
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I. Une application rigoureuse des critères de la communication au public
La Cour de justice fonde sa solution sur une application stricte des éléments constitutifs de la notion de « communication au public ». Elle estime que la location d’un véhicule équipé d’une radio ne constitue pas un acte de communication, faute d’intervention délibérée du loueur dans la transmission des œuvres (A), et qu’il s’agit d’une simple fourniture d’installation, expressément exclue du champ de cette notion (B).
A. L’absence d’intervention délibérée de la société de location
La jurisprudence de la Cour a établi de longue date que l’existence d’une « communication au public » suppose une intervention délibérée d’un utilisateur, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients l’accès à une œuvre protégée. Cet utilisateur joue un rôle incontournable lorsqu’il permet activement à des personnes de jouir de l’œuvre, alors qu’elles n’auraient pu le faire sans son intervention.
En l’espèce, la Cour observe que la société de location de véhicules se contente de fournir un équipement, le poste de radio, qui est un élément standard du véhicule. Elle ne procède à aucune transmission active des œuvres radiodiffusées. Les programmes sont captés par le poste de radio grâce aux ondes hertziennes terrestres, sans aucune intervention additionnelle du loueur. Le rôle de ce dernier est donc passif, ce qui le différencie fondamentalement des prestataires qui, par exemple, installent des téléviseurs dans des chambres d’hôtel et y distribuent un signal porteur d’œuvres. L’acte de communication est le fait de l’organisme de radiodiffusion initial, et non du loueur qui ne fait que rendre disponible un appareil récepteur.
B. La qualification de simple fourniture d’installations
La solution de la Cour s’appuie directement sur le considérant 27 de la directive 2001/29, qui précise que « la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication ». Cette disposition, qui transpose une déclaration commune relative au Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, vise à exclure du champ du droit d’auteur les intermédiaires purement techniques.
La Cour considère que la mise à disposition d’un poste de radio intégré à un véhicule de location relève précisément de cette hypothèse. Le loueur fournit une installation, mais il ne réalise pas lui-même la communication. L’habitacle du véhicule n’est pas un lieu public dans lequel le loueur organise une diffusion. La jouissance des œuvres dépend entièrement de l’initiative du locataire du véhicule, qui choisit d’allumer la radio et de sélectionner une station. Par conséquent, en l’absence d’un acte de communication imputable aux sociétés de location, l’un des deux critères cumulatifs de la notion de « communication au public » fait défaut, rendant inutile l’examen du second critère, celui du « public ».
En refusant de qualifier la location de véhicules de communication au public, la Cour de justice ne se contente pas d’appliquer sa jurisprudence antérieure ; elle en précise les contours et en délimite la portée pour les services de mise à disposition de biens.
II. La portée de la solution : une clarification de la notion de fournisseur d’installations
La décision rendue par la Cour de justice présente une valeur juridique importante en ce qu’elle s’oppose à une conception trop extensive du droit d’auteur (A). Sa portée doit cependant être appréciée avec nuance, car elle se limite aux équipements standards et ne préjuge pas des solutions à venir concernant des technologies plus complexes (B).
A. La valeur de la décision : le rejet d’une conception extensive du droit d’auteur
L’arrêt commenté apporte une sécurité juridique bienvenue en refusant d’assimiler un fournisseur d’équipement à un diffuseur de contenu. Une solution contraire aurait eu des conséquences considérables, créant une obligation de rémunération pour une multitude d’acteurs économiques dont l’activité principale est étrangère à l’exploitation d’œuvres. Elle aurait conduit à une extension difficilement justifiable du droit d’auteur, en faisant peser sur des loueurs de biens une responsabilité pour des exploitations qu’ils ne maîtrisent ni n’initient.
La Cour confirme ainsi une approche pragmatique et fonctionnelle. L’acte de communication au public implique une intervention qui rend les œuvres accessibles. Or, la radio étant un équipement standard et omniprésent, l’accès aux œuvres radiodiffusées n’est pas spécifiquement conditionné par l’acte de location. En ce sens, la décision est cohérente avec l’objectif du droit d’auteur, qui est de contrôler les usages spécifiques des œuvres et non de taxer toute activité rendant fortuitement possible leur écoute. La solution préserve l’équilibre entre la protection des titulaires de droits et la liberté d’entreprendre des fournisseurs de biens et de services.
B. La portée de l’arrêt : une jurisprudence limitée aux équipements standards
Si la solution est claire, sa portée doit être correctement cernée. La Cour se prononce sur la location de véhicules équipés de postes de radio « de série », permettant la réception de la radiodiffusion terrestre. La question se poserait différemment si les véhicules étaient équipés de systèmes proposant des contenus pré-chargés ou un accès à des services de streaming musical pour lequel le loueur aurait souscrit un abonnement. Dans une telle hypothèse, l’intervention du loueur serait bien plus active et délibérée, puisqu’il fournirait non seulement l’équipement mais également un accès spécifique à un catalogue d’œuvres.
L’arrêt ne clôt donc pas le débat sur la responsabilité des acteurs de l’économie de la location face au droit d’auteur. Il établit un principe directeur : la simple mise à disposition d’un récepteur standard ne suffit pas. L’évolution technologique des équipements embarqués dans les véhicules, notamment avec le développement de la connectivité et des services intégrés, conduira sans aucun doute à de nouvelles interrogations sur la frontière entre la simple fourniture d’une installation et l’acte de communication au public.