Par un arrêt rendu en procédure préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a interprété les dispositions de la directive 2003/55/CE relative au marché intérieur du gaz naturel. En l’espèce, un fournisseur de gaz, agissant en tant que fournisseur de dernier recours, a procédé à plusieurs augmentations de ses tarifs entre 2005 et 2011. Ces modifications tarifaires, visant uniquement à répercuter la hausse de ses coûts d’acquisition du gaz, n’ont pas été notifiées personnellement à un de ses clients résidentiels, mais ont fait l’objet de publications générales. Le fournisseur ayant par la suite réclamé au client le paiement d’arriérés correspondant à ces augmentations, ce dernier a contesté la validité desdites modifications en raison du défaut d’information individuelle. La juridiction nationale saisie du litige a alors interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle situation avec les exigences de protection des consommateurs prévues par la directive. Il s’agissait de déterminer si le respect de l’obligation d’information personnelle et préalable du consommateur conditionne la validité même des augmentations tarifaires appliquées par un fournisseur de dernier recours lorsque celles-ci ne génèrent aucun profit. La Cour de justice répond par la négative, jugeant que la validité des modifications tarifaires n’est pas subordonnée à une notification personnelle. Elle encadre toutefois strictement cette solution en la soumettant à la double condition que le client puisse, d’une part, résilier son contrat à tout moment et, d’autre part, disposer de recours appropriés pour obtenir réparation du préjudice éventuellement subi. La Cour opère ainsi une mise en balance entre la protection du consommateur et la viabilité économique du fournisseur, ce qui justifie une analyse de la portée de cette solution pragmatique (I), avant d’en examiner les garanties correctrices assurant une protection effective bien que réaménagée du consommateur (II).
I. La consécration d’une solution pragmatique au service de la sécurité d’approvisionnement
La décision de la Cour de justice repose sur une appréciation concrète des intérêts en présence, la conduisant à assouplir l’obligation de transparence qui pèse sur le fournisseur (A) afin de ne pas compromettre l’objectif plus large de sécurité de l’approvisionnement en gaz (B).
A. La relativisation de l’obligation d’information au nom de l’équilibre économique
La Cour prend soin de souligner la situation particulière du fournisseur dans cette affaire, lequel agissait en qualité de « fournisseur de dernier recours ». Cette circonstance est déterminante, car un tel opérateur ne jouit pas de la même liberté contractuelle qu’un fournisseur ordinaire. Il est en effet tenu de contracter avec tout client éligible qui en fait la demande, sans pouvoir librement choisir son cocontractant ni mettre fin au contrat. Dans ce contexte, la Cour considère que « les intérêts économiques dudit fournisseur doivent être pris en compte ».
En outre, les augmentations tarifaires litigieuses se limitaient strictement à répercuter la hausse du coût d’acquisition du gaz naturel, sans que le fournisseur ne cherche à réaliser un profit. Lier la validité de ces adaptations à une information personnelle des clients ferait peser un risque économique important sur le fournisseur. En effet, l’impossibilité de répercuter ses coûts mettrait en péril sa stabilité financière. La Cour estime qu’une telle conséquence « est susceptible de mettre sérieusement en danger les intérêts économiques du fournisseur de gaz », ce qui justifie de ne pas sanctionner par la nullité le manquement à l’obligation de notification personnelle.
B. La préservation de l’objectif de sécurité d’approvisionnement en gaz
La prise en compte des intérêts économiques du fournisseur de dernier recours n’est pas une fin en soi ; elle sert un objectif d’intérêt général poursuivi par la directive 2003/55. La Cour rappelle que cette dernière vise non seulement à protéger les consommateurs, mais également à « garantir la sécurité d’approvisionnement stable en gaz ». Or, la viabilité économique des fournisseurs de dernier recours est une condition essentielle à la réalisation de cet objectif.
Si de tels fournisseurs étaient exposés à des pertes financières substantielles en raison d’une application trop rigide des obligations d’information, leur capacité à assurer un approvisionnement continu pour tous les clients serait menacée. La Cour établit ainsi un lien direct entre le risque financier et la pérennité du service. Elle juge que l’invalidité des augmentations de tarifs serait susceptible « de remettre en cause la réalisation de l’objectif de sécurité de l’approvisionnement ». La solution retenue apparaît donc comme un arbitrage pragmatique, où la protection formelle du consommateur est mise en balance avec la nécessité matérielle de maintenir un service essentiel.
II. Une protection du consommateur réaménagée mais garantie
Si la Cour écarte la nullité des augmentations de prix, elle ne laisse pas pour autant le consommateur démuni. Elle subordonne sa solution à la mise en place de garanties spécifiques qui, sans être préventives, assurent une protection a posteriori par le maintien du droit à la résiliation (A) et par l’ouverture d’un droit à réparation (B).
A. Le maintien du droit à la résiliation comme garantie fondamentale
La première condition posée par la Cour est que les clients doivent pouvoir « résilier le contrat à tout moment ». Cette exigence est fondamentale car elle préserve la liberté du consommateur. Bien qu’il ne soit pas informé en amont de la hausse, il conserve la possibilité de quitter son fournisseur sans préavis ni pénalité dès qu’il prend connaissance de la modification tarifaire, par exemple à la réception de sa facture.
Ce droit à la résiliation constitue l’instrument principal de régulation laissé au client. Il lui permet de réagir aux conditions du marché et de sanctionner un fournisseur dont les prix ne lui conviendraient plus. En garantissant cette liberté de choix, même si elle ne peut s’exercer que de manière réactive, la Cour assure que le consommateur n’est pas captif de son contrat. L’effet utile de la protection voulue par la directive est ainsi maintenu, non plus par l’information préalable, mais par la liberté de sortie permanente.
B. L’instauration d’un droit à réparation, correctif de l’asymétrie d’information
La seconde condition est particulièrement notable : le consommateur doit disposer de « recours appropriés » pour obtenir réparation du préjudice qu’il aurait subi. La Cour reconnaît explicitement que le défaut de notification peut causer un dommage, celui d’avoir été « privé de la possibilité d’exercer son droit, en temps utile, de changer de fournisseur afin de bénéficier d’un tarif plus avantageux ».
Cette précision ouvre une voie d’action en responsabilité pour le consommateur. Il ne peut contester la validité de l’augmentation, mais il peut demander à être indemnisé pour la perte de chance de souscrire une offre concurrente plus favorable durant la période où il ignorait la hausse. Ce mécanisme constitue un correctif efficace à l’asymétrie d’information. Il incite le fournisseur à respecter ses obligations, car un manquement, même s’il n’entraîne pas la nullité, peut engendrer des coûts sous forme de dommages-intérêts. La protection du consommateur est ainsi déplacée du terrain de la validité du contrat vers celui de la réparation du préjudice, assurant un équilibre subtil mais effectif.