Cour de justice de l’Union européenne, le 2 avril 2020, n°C-802/18

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 2 avril 2020, une décision fondamentale relative à l’égalité de traitement des travailleurs frontaliers. Elle précise si une allocation familiale liée à l’activité salariée constitue un avantage social au sens du droit de l’Union européenne. Un travailleur résidant dans un État membre exerce une activité salariée dans un autre État tout en vivant avec son épouse légitime. Le ménage comprend trois enfants dont l’un est né d’une précédente union du conjoint, lequel exerce seul l’autorité parentale sur lui. À la suite d’une modification législative nationale, l’organisme de sécurité sociale a supprimé le versement des allocations pour cet enfant précis. Cette mesure reposait sur l’absence de lien de filiation direct entre le travailleur frontalier et l’enfant de son épouse. Le travailleur a contesté cette décision devant les juridictions sociales nationales compétentes en invoquant une discrimination interdite par les traités. Saisi d’un appel, le Conseil supérieur de la sécurité sociale a décidé d’interroger la juridiction européenne par un renvoi préjudiciel. La question tend à savoir si la législation peut exclure les enfants du conjoint du bénéfice des prestations familiales exportables. La Cour répond qu’une telle allocation constitue un avantage social dont la limitation aux enfants biologiques du frontalier s’avère discriminatoire. L’analyse de cette décision suppose d’étudier l’assimilation des prestations familiales aux avantages sociaux protégés avant d’envisager l’interdiction de toute discrimination indirecte.

I. L’assimilation des prestations familiales à un avantage social protégé

A. La reconnaissance d’une prestation de sécurité sociale de plein droit

La juridiction européenne examine d’abord si l’allocation litigieuse entre dans le champ d’application matériel du règlement sur la coordination des systèmes. Elle rappelle que la distinction repose sur les finalités et les conditions d’octroi de la prestation, indépendamment de sa qualification interne. En l’espèce, l’allocation est versée automatiquement aux familles répondant à des critères objectifs sans aucune appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins. « L’allocation familiale en cause au principal constitue une prestation de sécurité sociale, relevant des prestations familiales visées à l’article 3 ». Cette qualification permet d’asseoir la compétence du droit de l’Union pour encadrer les conditions d’accès à ces droits sociaux essentiels. Le juge européen peut alors apprécier la portée de ces prestations au regard du régime général des avantages sociaux du travailleur.

B. La portée extensive de la notion d’avantage social du travailleur

La Cour souligne ensuite que les règlements relatifs à la sécurité sociale et à la libre circulation peuvent s’appliquer de manière combinée. L’article 7 du règlement n o 492/2011 assure au travailleur migrant les mêmes avantages sociaux que les travailleurs nationaux d’accueil. La notion d’avantage social englobe tout bénéfice lié à la qualité objective de travailleur ou au simple fait de sa résidence. « Une allocation familiale liée à l’exercice, par un travailleur frontalier, d’une activité salariée dans un État membre constitue un avantage social ». Cette reconnaissance impose le respect strict du principe d’égalité de traitement entre les agents résidents et les travailleurs frontaliers mobiles. L’application de ce principe conduit nécessairement à censurer les législations nationales instaurant une discrimination indirecte fondée sur le critère de la résidence.

II. L’interdiction d’une discrimination indirecte fondée sur le lien de filiation

A. Le constat d’une rupture d’égalité injustifiée liée à la résidence

L’analyse se porte sur la différence de traitement instaurée par la législation entre les enfants résidents et les enfants non-résidents. La loi nationale accorde l’allocation à tous les enfants domiciliés sur le territoire quel que soit leur lien juridique avec l’assuré. À l’inverse, les travailleurs non-résidents ne peuvent percevoir cette prestation que pour leurs propres enfants biologiques ou leurs enfants adoptifs. « Une telle distinction fondée sur la résidence […] constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité qui ne pourrait être admise ». L’objectif de protéger l’administration ou de consacrer un droit personnel de l’enfant ne saurait justifier une telle mesure d’exclusion. L’interdiction de discriminer impose dès lors une extension de la protection sociale aux membres de la famille recomposée du travailleur frontalier.

B. L’extension de la protection aux membres de la famille recomposée

La décision conclut que la protection contre les discriminations bénéficie indirectement aux membres de la famille définis par la directive européenne. Cette définition inclut les descendants directs du conjoint lorsque le travailleur pourvoit effectivement à leur entretien quotidien au sein du foyer. « Il y a lieu d’entendre par enfant d’un travailleur frontalier […] également l’enfant du conjoint ou du partenaire enregistré dudit travailleur ». L’État membre d’emploi ne peut restreindre l’accès aux avantages sociaux en imposant une condition de filiation absente pour les résidents. Cette solution jurisprudentielle garantit la libre circulation en assurant une protection sociale cohérente pour toute la cellule familiale du travailleur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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