Par l’arrêt commenté, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conséquences financières du non-respect par un État membre d’une de ses décisions antérieures. La Cour avait déjà constaté, dans un premier arrêt, un manquement de cet État à ses obligations découlant du droit de l’Union en matière de traitement des déchets. Face à la persistance de la situation, la Commission européenne a introduit un nouveau recours en manquement sur le fondement de l’article 260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, visant à faire sanctionner pécuniairement l’inexécution de la première décision. Les faits à l’origine du litige concernaient la présence continue de nombreux sites d’élimination incontrôlée de déchets, en violation des directives européennes pertinentes. La procédure a donc opposé la Commission, gardienne des traités, à un État membre défaillant. La question de droit posée à la Cour était de déterminer les conditions et les modalités de calcul des sanctions pécuniaires, et plus spécifiquement du cumul d’une astreinte et d’une somme forfaitaire, applicables à un État qui n’a pas pris les mesures nécessaires pour se conformer à un arrêt en manquement. La Cour de justice répond en constatant que « la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE ». En conséquence, elle inflige une double sanction : d’une part, le paiement d’une somme forfaitaire de dix millions d’euros et, d’autre part, une astreinte semestrielle dont le montant est modulé en fonction des progrès réalisés dans la mise en conformité.
L’articulation de cette double sanction pécuniaire met en lumière la rigueur avec laquelle la Cour entend assurer l’exécution de ses arrêts (I), tout en révélant une approche pragmatique visant à encourager une mise en conformité effective et rapide (II).
I. La sanction rigoureuse d’un manquement persistant
La décision de la Cour repose sur la constatation préalable d’une inexécution caractérisée (A), ce qui justifie le prononcé de deux types de sanctions financières distinctes et complémentaires (B).
A. La constatation de l’inexécution de l’arrêt initial
La procédure engagée au titre de l’article 260 TFUE ne vise pas à réexaminer le manquement initialement jugé, mais à vérifier si l’État membre concerné a pris « toutes les mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt » précédent. La charge de la preuve de cette exécution pèse sur l’État membre. En l’espèce, la Cour constate que, malgré le temps écoulé depuis le premier arrêt, l’obligation de réhabiliter les sites de déchets illégaux n’a pas été pleinement respectée. Le manquement est donc non seulement avéré mais également continu, ce qui constitue une menace persistante pour l’environnement et la santé humaine, ainsi qu’une atteinte grave à l’ordre juridique de l’Union.
Le dispositif de l’arrêt est sans équivoque, affirmant qu’« en n’ayant pas pris toutes les mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt Commission/Grèce (c‑502/03, eu:c:2005:592 ), la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE ». Cette formulation établit formellement la base juridique de la condamnation pécuniaire. La persistance du manquement est ainsi l’élément déclencheur qui permet à la Cour de passer d’une simple déclaration d’illégalité à l’imposition de sanctions financières coercitives, marquant une escalade dans le mécanisme de contrôle du respect du droit de l’Union.
B. Le cumul d’une somme forfaitaire et d’une astreinte
Pour sanctionner ce manquement prolongé, la Cour de justice fait usage de la panoplie d’outils à sa disposition en cumulant deux instruments financiers. Premièrement, elle condamne l’État membre au paiement d’« une somme forfaitaire de 10 millions d’euros ». Cette sanction a une fonction essentiellement répressive ; elle vise à punir la durée de l’infraction commise entre le prononcé du premier arrêt et celui du second. Son montant est fixé en tenant compte de la gravité du manquement et de sa durée, agissant comme une sanction pour le préjudice déjà causé à l’ordre juridique communautaire.
Deuxièmement, la Cour impose « une astreinte semestrielle » dont le montant initial est fixé à 14 520 000 euros. Contrairement à la somme forfaitaire, qui regarde vers le passé, l’astreinte a une finalité prospective. Elle est conçue pour exercer une pression financière continue sur l’État membre afin de le contraindre à mettre fin au manquement le plus rapidement possible après le prononcé du présent arrêt. Le cumul de ces deux sanctions permet ainsi de sanctionner l’intégralité du comportement illicite de l’État, tant pour son inaction passée que pour sa potentielle inaction future.
II. La finalité incitative du mécanisme de sanction
Au-delà de leur caractère punitif, les sanctions pécuniaires sont structurées de manière à guider et encourager l’action de l’État membre (A), réaffirmant ainsi le rôle de la Cour comme garante de l’effectivité du droit de l’Union (B).
A. La modulation de l’astreinte comme outil d’incitation
L’aspect le plus remarquable de la décision réside dans la modulation de l’astreinte. La Cour ne se contente pas de fixer une pénalité, elle met en place un véritable mécanisme incitatif. Le montant de l’astreinte est en effet calculé en prévoyant une déduction pour chaque site réhabilité. La décision précise qu’il sera déduit « un montant de 40 000 euros par site d’élimination incontrôlée des déchets […] ayant fait l’objet soit d’une désaffectation soit d’une réhabilitation » et « un montant de 80 000 euros pour ceux des sites visés qui auront été à la fois désaffectés et réhabilités ».
Cette méthode confère à l’astreinte une grande flexibilité et un caractère pédagogique. Elle offre à l’État membre une voie claire pour réduire sa charge financière en accomplissant des progrès concrets et mesurables. Chaque action de mise en conformité se traduit par un allègement direct de la sanction, transformant la pénalité d’une simple punition en un instrument de politique publique. Cette approche pragmatique démontre que l’objectif ultime de la Cour n’est pas tant de remplir les caisses de l’Union que d’assurer la réalisation concrète des objectifs fixés par le droit européen.
B. La portée de la décision pour l’effectivité du droit de l’Union
Cet arrêt constitue une illustration significative de la force du mécanisme de l’article 260 TFUE. En imposant des sanctions financières lourdes mais intelligemment structurées, la Cour de justice envoie un signal fort à tous les États membres quant aux conséquences d’une méconnaissance persistante de leurs obligations. La décision rappelle que l’adhésion à l’Union européenne implique une soumission effective à un ordre juridique commun, dont la Cour est l’ultime gardienne. L’effectivité de ce droit serait compromise si les arrêts de la Cour pouvaient rester lettre morte sans conséquences tangibles.
La condamnation à une somme forfaitaire combinée à une astreinte modulable témoigne de la maturité du système de contrainte de l’Union. Elle montre une volonté d’adapter les sanctions à la nature du manquement et à l’attitude de l’État, en équilibrant la nécessité de la répression et l’efficacité de l’incitation. En agissant de la sorte, la Cour ne se positionne pas uniquement comme un juge, mais également comme un acteur régulateur veillant à la mise en œuvre effective et uniforme des politiques de l’Union, en l’occurrence dans le domaine fondamental de la protection de l’environnement.