Par une décision rendue sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime de titularité des droits sur un dessin ou modèle communautaire élaboré dans le cadre d’une relation de commande. Les faits, tels qu’ils peuvent être reconstitués, concernent un créateur indépendant ayant conçu un dessin ou modèle pour le compte d’un commanditaire. Un litige est né entre ces deux parties quant à la question de savoir qui, du créateur ou du donneur d’ordre, devait être considéré comme le titulaire initial des droits conférés par le règlement (CE) n° 6/2002 du 12 décembre 2001. La juridiction nationale saisie du litige, confrontée à une difficulté d’interprétation des dispositions pertinentes, a décidé de surseoir à statuer. Elle a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle visant à clarifier l’attribution des droits sur le dessin ou modèle. Le commanditaire soutenait vraisemblablement qu’une analogie devait être faite avec la situation du salarié, pour laquelle le règlement prévoit une attribution des droits à l’employeur. Le créateur, à l’inverse, revendiquait la titularité de son droit en l’absence de toute cession contractuelle explicite. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le régime spécifique de titularité des droits prévu pour les dessins ou modèles créés par des salariés pouvait être étendu aux créations de commande, et, dans la négative, quel principe général devait s’appliquer. En réponse, la Cour de justice a jugé que « L’article 14, paragraphe 3, du règlement (ce) n o 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires, ne s’applique pas au dessin ou modèle communautaire réalisé sur commande ». Elle a ajouté que dans une telle situation, « le droit au dessin ou modèle communautaire appartient au créateur, à moins qu’il n’ait été transféré au moyen d’un contrat à son ayant droit ».
La solution de la Cour clarifie la titularité des droits en la matière en opérant une distinction stricte entre la création salariée et la création de commande (I), consacrant ainsi la primauté du créateur en l’absence de clause contraire (II).
I. L’exclusion raisonnée du régime de la création salariée
La Cour de justice refuse d’appliquer par analogie le régime de la création salariée à la création sur commande (A), fondant sa décision sur la différence de nature du lien juridique unissant les parties (B).
A. Le rejet d’une interprétation extensive de l’exception
La Cour de justice écarte l’application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement, qui dispose que si un dessin ou modèle est réalisé par un employé dans l’exercice de ses fonctions, le droit au dessin ou modèle appartient à l’employeur. Cette disposition constitue une exception au principe général posé par l’article 14, paragraphe 1, qui attribue le droit au créateur. En affirmant que cette exception « ne s’applique pas au dessin ou modèle communautaire réalisé sur commande », la Cour adopte une interprétation stricte des exceptions. Elle refuse d’assimiler la situation du créateur indépendant, même lié par un contrat de commande, à celle du salarié. Le champ d’application de l’exception est donc limité à la seule hypothèse qu’il vise expressément, ce qui renforce la sécurité juridique. Cette approche prévient une extension jurisprudentielle qui aurait pu complexifier l’identification du titulaire des droits.
B. La pertinence du critère du lien de subordination
Le refus d’analogie de la Cour repose implicitement sur le critère fondamental du lien de subordination juridique. Le contrat de travail se caractérise par l’exécution d’une prestation sous l’autorité d’un employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements. Dans un tel cadre, la création du salarié est une contrepartie de sa rémunération et s’intègre dans l’activité de l’entreprise qui en assume les risques. À l’inverse, le contrat de commande, ou contrat d’entreprise, établit une relation entre deux parties indépendantes. Le créateur s’engage à réaliser un ouvrage déterminé pour un donneur d’ordre, mais il conserve son autonomie dans l’organisation de son travail. L’absence de ce lien de subordination justifie pleinement que le régime dérogatoire de la création salariée soit écarté au profit de l’application du principe général.
II. La consécration du principe de titularité du créateur
En écartant le régime d’exception, la Cour réaffirme que le droit au dessin ou modèle appartient originellement au créateur (A), tout en préservant la liberté des parties de prévoir un transfert par voie contractuelle (B).
A. Le retour au principe de l’attribution du droit à l’auteur de la création
La Cour de justice rappelle la règle fondamentale en la matière, à savoir que « le droit au dessin ou modèle communautaire appartient au créateur ». Cette solution est la mise en œuvre du principe général selon lequel le droit naît sur la tête de celui qui a réalisé l’effort créatif. C’est la reconnaissance du lien personnel qui unit l’auteur à son œuvre. En faisant de cette règle le principe applicable par défaut pour les créations de commande, la Cour protège la partie souvent la plus faible économiquement, à savoir le designer ou l’artiste indépendant. Cette solution assure une cohérence avec les principes généraux du droit d’auteur, qui attachent le droit à la personne du créateur. Elle offre ainsi un point de départ clair et prévisible pour les relations entre créateurs et commanditaires.
B. La liberté contractuelle comme instrument de transfert des droits
La portée de cette affirmation de principe est immédiatement tempérée par la Cour elle-même. Elle précise que la titularité du créateur ne vaut que si le droit n’a pas « été transféré au moyen d’un contrat à son ayant droit ». La décision ne fige donc pas la titularité des droits, mais en désigne le détenteur initial. Elle renvoie la question du transfert à la liberté contractuelle des parties. Pour le commanditaire qui souhaite exploiter le dessin ou modèle, cette solution souligne la nécessité impérieuse de stipuler une clause de cession de droits explicite dans le contrat de commande. La charge de la preuve d’un tel transfert pèsera sur le donneur d’ordre. Cette clarification a une portée pratique considérable : elle incite à une plus grande rigueur dans la rédaction des contrats et prévient les litiges en forçant les parties à définir clairement le sort des droits de propriété intellectuelle dès la conclusion de leur accord.