Cour de justice de l’Union européenne, le 2 juillet 2015, n°C-334/14

Par un arrêt en date du 2 juillet 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le champ d’application des exonérations de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicables aux activités médicales et paramédicales. La Cour a été interrogée sur la possibilité d’exonérer une activité de transport d’organes et de prélèvements humains réalisée par un prestataire indépendant pour le compte d’hôpitaux et de laboratoires.

En l’espèce, une personne exerçant à titre indépendant une activité de transport d’organes et de prélèvements d’origine humaine s’était vu réclamer par l’administration fiscale le paiement de la TVA sur ses prestations. Estimant que son activité devait bénéficier d’une exonération, cette personne a engagé une action en justice. Après avoir obtenu gain de cause en première instance et en appel devant la cour d’appel de Liège, l’affaire fut portée devant la Cour de cassation belge. Celle-ci a saisi la Cour de justice d’une première question préjudicielle, qui a donné lieu à un arrêt du 10 juin 2010 (C‑237/09), excluant l’application de l’exonération relative aux livraisons d’organes humains. Suite à cette décision, la Cour de cassation a annulé l’arrêt d’appel et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Mons. Devant cette dernière, le prestataire a soutenu que son activité devait être exonérée au titre des opérations étroitement liées à l’hospitalisation et aux soins médicaux, en vertu d’une autre disposition de la directive TVA.

La question de droit posée à la Cour de justice consistait donc à déterminer si une activité de transport d’organes et de prélèvements humains, effectuée par un tiers indépendant pour des établissements de soins, pouvait être qualifiée d’« opération étroitement liée » à une prestation d’hospitalisation ou de soins médicaux et, à ce titre, être exonérée de TVA. Il s’agissait en particulier de savoir si ce prestataire pouvait être considéré comme un « établissement de même nature » que les établissements hospitaliers ou les centres de soins.

À cette question, la Cour a répondu par la négative. Elle a jugé que le bénéfice de l’exonération prévue pour les opérations étroitement liées aux soins médicaux est subordonné à la nature de l’entité qui les réalise. Or, un transporteur indépendant ne peut être qualifié d’« établissement de même nature » qu’un hôpital ou un centre de diagnostic, ce qui fait obstacle à l’exonération de ses prestations.

L’analyse de la Cour repose sur une interprétation stricte des conditions d’exonération (I), qui conduit à faire primer le statut juridique du prestataire sur la finalité médicale de l’opération (II).

I. L’application rigoureuse des conditions subjectives de l’exonération

La Cour de justice examine successivement les deux fondements d’exonération possibles pour les prestations de nature médicale. Elle écarte rapidement l’exonération des soins à la personne (A) avant de concentrer son analyse sur le statut du prestataire, qui constitue un obstacle dirimant à la qualification d’opération étroitement liée à l’hospitalisation (B).

A. L’exclusion de la prestation de transport du champ des « soins à la personne »

La directive TVA exonère les « prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l’exercice des professions médicales et paramédicales ». La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle cette notion vise des prestations « ayant pour but de diagnostiquer, de soigner et, dans la mesure du possible, de guérir des maladies ou des anomalies de santé ». Il s’agit donc d’actes à finalité thérapeutique directe.

En l’espèce, la Cour constate qu’une activité de transport d’organes ou de prélèvements humains, bien qu’indispensable à la réalisation ultérieure d’un diagnostic ou d’un soin, ne constitue pas en elle-même une prestation de soins. Elle ne s’inscrit pas dans une démarche directe de diagnostic, de traitement ou de guérison. Comme le souligne la Cour, cette activité ne relève pas « des prestations médicales ayant directement pour but effectif de diagnostiquer, de soigner ou de guérir les maladies ou les anomalies de santé ». De surcroît, la Cour note que cette disposition ne prévoit pas l’exonération des « opérations étroitement liées », contrairement à celle visant l’hospitalisation. Ce fondement est donc logiquement écarté.

B. L’obstacle lié au statut du prestataire pour la qualification d’« opération étroitement liée »

Le cœur de l’argumentation se déplace vers l’exonération de « l’hospitalisation et les soins médicaux ainsi que les opérations qui leur sont étroitement liées ». Pour qu’une prestation bénéficie de cette exonération, deux conditions cumulatives doivent être remplies. La prestation doit être, d’une part, étroitement liée à l’hospitalisation ou aux soins et, d’autre part, assurée par un organisme limitativement énuméré.

La Cour ne tranche pas la question de savoir si le transport est une opération « étroitement liée », se contentant de rappeler que seules les prestations qui « s’inscrivent logiquement dans le cadre de la fourniture des services d’hospitalisation et de soins médicaux et qui constituent une étape indispensable » peuvent être ainsi qualifiées. Elle concentre son raisonnement sur la seconde condition, tenant à la nature du prestataire. L’exonération est réservée aux organismes de droit public ou, dans des conditions sociales comparables, aux « établissements hospitaliers, des centres de soins médicaux et de diagnostic et d’autres établissements de même nature dûment reconnus ».

La Cour constate que le transporteur indépendant n’est ni un organisme de droit public, ni un établissement hospitalier ou un centre de soins. La seule qualification possible serait celle d’« autre établissement de même nature ». Or, la Cour rejette cette qualification en jugeant qu’un transporteur n’accomplit pas le même type de fonction que les établissements de soins. Citant sa jurisprudence antérieure, elle rappelle qu’un laboratoire d’analyses médicales peut être un établissement de même nature car il poursuit une finalité thérapeutique. À l’inverse, le transporteur indépendant n’a qu’une fonction logistique. Par conséquent, il « ne peut pas être qualifié d’‘établissement de même nature’ que ces établissements ou centres ». Cette condition subjective faisant défaut, l’exonération est exclue, sans qu’il soit nécessaire d’examiner plus avant le caractère indispensable de la prestation.

II. La primauté de l’interprétation littérale sur la logique économique et fonctionnelle

La solution retenue par la Cour de justice consacre une approche formaliste du droit des exonérations en matière de TVA. Cette approche a pour effet de limiter la portée du principe de neutralité fiscale (A) et de confirmer une vision restrictive de l’écosystème des soins de santé, pouvant engendrer des conséquences économiques paradoxales (B).

A. La portée limitée du principe de neutralité fiscale

Face à l’interprétation stricte du texte, le prestataire invoquait le principe de neutralité fiscale, qui s’oppose notamment à ce que des prestations de services semblables, se trouvant en concurrence, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA. On pourrait en effet soutenir que le transport, qu’il soit réalisé par l’hôpital lui-même ou par un sous-traitant, a la même finalité et participe au même processus de soin.

Cependant, la Cour balaye cet argument en rappelant sa position traditionnelle. Le principe de neutralité « est non pas une règle de droit primaire pouvant déterminer la validité d’une exonération, mais un principe d’interprétation ». Il ne permet pas d’étendre le champ d’application d’une exonération en l’absence d’une disposition non équivoque. Les exonérations constituant des dérogations au principe général de l’imposition de toute prestation de service à titre onéreux, elles sont d’interprétation stricte. Le principe de neutralité ne peut donc prévaloir sur les conditions textuelles claires posées par la directive, et notamment sur la condition tenant à la nature du prestataire.

B. Une conception restrictive de l’écosystème des soins de santé

Au-delà de sa rigueur juridique, la décision révèle une conception restrictive des activités connexes aux soins. En liant l’exonération non pas à la nature de la prestation et à sa fonction dans la chaîne de soins, mais au statut de celui qui la réalise, la Cour crée une distinction qui peut sembler artificielle sur le plan économique. Une même prestation de transport, essentielle à la continuité des soins, sera exonérée si elle est effectuée en interne par un hôpital, mais taxée si elle est confiée à un prestataire externe spécialisé.

Cette solution est paradoxale au regard de l’objectif même des exonérations médicales, qui est de réduire le coût des soins de santé et de ne pas les rendre plus onéreux pour le patient final. En taxant un maillon indispensable de la chaîne de soins, la décision contribue à augmenter le coût global des prestations médicales qui dépendent de ces transports. Elle pourrait ainsi inciter les établissements de soins à réinternaliser ces activités logistiques, même si une externalisation serait plus efficiente, afin de préserver le bénéfice de l’exonération. La décision privilégie ainsi une lecture littérale des conditions d’exonération au détriment d’une approche fonctionnelle qui tiendrait compte de l’intégration économique des différents services concourant à la finalité thérapeutique.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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