Cour de justice de l’Union européenne, le 2 juillet 2019, n°C-619/18

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt de Grande Chambre du 24 juin 2019, précise les exigences d’indépendance des magistrats nationaux. Un litige opposait une institution européenne à un État membre suite à une réforme législative abaissant l’âge de départ à la retraite des juges suprêmes. La nouvelle loi fixait cet âge à soixante-cinq ans, s’appliquant immédiatement aux membres en exercice nommés sous l’empire de la législation antérieure. Les magistrats concernés pouvaient demander une prolongation de leur activité, soumise à l’autorisation discrétionnaire du président de la République après avis d’un conseil national spécialisé. L’institution requérante a introduit un recours en manquement, invoquant la violation des obligations de garantie d’un système de voies de recours effectif. L’État membre défendeur soutenait que l’organisation de la justice relevait de sa compétence exclusive et ne pouvait faire l’objet d’un contrôle européen. La Cour devait déterminer si l’abaissement immédiat de l’âge de la retraite et le mécanisme de prolongation discrétionnaire portaient atteinte à l’indépendance juridictionnelle. Elle conclut au manquement, jugeant que ces mesures méconnaissent le principe d’inamovibilité des juges et créent un risque d’intervention extérieure sur le pouvoir judiciaire.

I. L’exigence de protection de l’inamovibilité des magistrats du siège

A. L’application du standard européen aux structures judiciaires nationales

La juridiction rappelle que l’Union regroupe des États ayant librement adhéré à des valeurs communes, dont l’État de droit, selon l’article 2 du Traité. En vertu de cette prémisse, « l’article 19 TUE, qui concrétise la valeur de l’État de droit, confie aux juridictions nationales et à la Cour la charge de garantir la pleine application du droit ». Cette mission impose aux États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer aux justiciables le respect de leur droit à une protection effective. Dès lors qu’une juridiction nationale est susceptible de statuer sur des questions portant sur le droit de l’Union, elle doit répondre aux exigences d’indépendance. La Cour rejette ainsi l’argument de la compétence exclusive, affirmant que les États doivent respecter leurs obligations européennes lors de l’organisation de leur système judiciaire. La préservation de l’indépendance d’une instance telle que la Cour suprême est jugée primordiale pour garantir l’accès à un tribunal impartial et autonome.

B. La méconnaissance du principe d’inamovibilité par l’effet rétroactif de la loi

L’exigence d’indépendance comporte un aspect externe nécessitant que l’instance exerce ses fonctions en toute autonomie, protégée contre les pressions susceptibles d’influencer ses décisions souveraines. À ce titre, « le principe d’inamovibilité exige, notamment, que les juges puissent demeurer en fonction tant qu’ils n’ont pas atteint l’âge obligatoire du départ à la retraite ». L’abaissement soudain de cet âge pour les magistrats déjà en poste entraîne une cessation anticipée de leurs fonctions, portant atteinte à leur sécurité statutaire. La Cour juge que cette mesure ne saurait être admise qu’à la condition que des motifs légitimes et impérieux la justifient, dans le respect de la proportionnalité. En l’espèce, les doutes sur la finalité réelle de la réforme, visant potentiellement à écarter un groupe de juges, invalident les justifications avancées. L’application immédiate de la loi aux juges en exercice constitue donc une violation manifeste du principe d’inamovibilité, garantie indispensable à la liberté de jugement.

II. L’encadrement des prérogatives exécutives sur la carrière judiciaire

A. Le risque d’influence lié au pouvoir discrétionnaire de prolongation

Le mécanisme contesté permettait au président de la République d’autoriser la poursuite de l’activité des magistrats au-delà du nouvel âge légal de la retraite fixé. La Cour souligne que les modalités de cette prolongation ne doivent pas être de nature à faire naître des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges. Or, cette décision présentait un caractère discrétionnaire, n’étant encadrée par aucun critère objectif vérifiable et échappant à toute obligation de motivation ou de recours juridictionnel. L’intervention d’un avis non contraignant du conseil national de la magistrature, souvent dépourvu de motivation réelle, ne permettait pas d’objectiver le processus de décision. Une telle configuration expose les magistrats à des formes d’influence indirectes susceptibles d’orienter leurs décisions dans l’espoir d’obtenir le maintien de leur poste. La perspective d’une autorisation présidentielle est ainsi de nature à engendrer des pressions contraires à l’indépendance de jugement exigée par les traités.

B. La portée systémique de l’arrêt pour la sauvegarde de l’État de droit

La décision affirme que les garanties d’indépendance postulent l’existence de règles claires concernant la durée des fonctions afin d’écarter tout doute dans l’esprit des justiciables. En censurant le pouvoir discrétionnaire de l’exécutif, la Cour renforce la séparation des pouvoirs et protège le contenu essentiel du droit à un procès équitable. Cette jurisprudence confirme que l’indépendance judiciaire n’est pas une prérogative corporatiste mais un garant de la protection de l’ensemble des droits tirés de l’ordre juridique. L’arrêt souligne que « les conditions de fond présidant à l’adoption de telles décisions doivent exclure toute influence susceptible d’orienter les décisions des juges concernés ». La solution dégagée limite drastiquement la marge de manœuvre des États souhaitant modifier la composition de leurs instances judiciaires suprêmes par des voies législatives détournées. Cette protection assure la cohérence et l’unité du système juridictionnel européen en garantissant l’impartialité structurelle des juges nationaux chargés d’appliquer le droit commun.

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Hassan KOHEN
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