La Cour de justice de l’Union européenne, dans sa décision du 2 juillet 2020, traite de la rectification des factures après un contrôle fiscal définitif. Une société commerciale a livré des marchandises en les déclarant comme des livraisons intracommunautaires exonérées avant qu’un redressement n’impose le paiement de la taxe. L’administration fiscale a émis un avis d’imposition le 4 mars 2014 qui est devenu définitif faute de contestation dans les délais légaux impartis. L’acquéreur a ultérieurement informé le fournisseur que les biens n’avaient pas quitté le territoire national, rendant applicable le régime de l’autoliquidation de la taxe. Le fournisseur a alors sollicité le remboursement des sommes versées en s’appuyant sur de nouvelles factures rectificatives conformes à la réalité des opérations réalisées. Le Tribunal de grande instance d’Arad a rejeté ce recours le 18 mai 2018 au motif que l’avis initial n’avait pas fait l’objet d’une réclamation. Saisie en appel, la Cour d’appel de Timişoara a sursis à statuer pour interroger la juridiction européenne sur la compatibilité de cette pratique administrative restrictive. Le problème juridique porte sur la possibilité pour un assujetti de corriger ses déclarations malgré l’existence d’une décision fiscale nationale devenue définitive et incontestable. La Cour répond que le droit de l’Union s’oppose à une réglementation empêchant cette correction lorsque des informations nouvelles imposent un régime fiscal différent. L’analyse de cette solution impose d’étudier la force du principe de neutralité avant d’envisager les limites posées aux règles de procédure nationales.
I. La primauté du principe de neutralité fiscale dans le régime de l’autoliquidation
A. L’obligation de restitution de la taxe indûment acquittée
Le droit d’obtenir le remboursement de taxes perçues en violation du droit de l’Union constitue le corollaire des droits directs conférés aux justiciables européens. La Cour précise que ce droit à la répétition de l’indu tend à neutraliser la charge économique pesant indûment sur l’opérateur qui l’a effectivement supportée. Le principe de neutralité exige que l’assujetti soit entièrement soulagé du poids de la taxe due ou acquittée dans le cadre de ses activités économiques.
En l’espèce, le fournisseur a versé une taxe qui n’était pas légalement due puisque l’opération relevait techniquement du mécanisme de l’autoliquidation entre deux entités nationales. La jurisprudence constante énonce que « l’État membre concerné est donc tenu, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit de l’Union ». Cette obligation de restitution permet de rétablir la situation qui aurait prévalu si la taxe n’avait pas été erronément facturée et perçue.
B. L’éviction du risque de perte de recettes fiscales
La régularisation de la taxe indûment facturée doit être autorisée dès lors que l’émetteur de la facture a éliminé tout risque de perte fiscale. Dans le cadre de l’autoliquidation, aucun paiement n’intervient entre les parties car le destinataire de la livraison est lui-même redevable de la taxe en amont. La Cour souligne que « le risque de perte de recettes fiscales lié à l’exercice du droit au remboursement se trouve éliminé » dans une telle configuration.
L’administration fiscale ne peut donc pas s’opposer au remboursement si la cohérence globale du système de taxe sur la valeur ajoutée demeure parfaitement préservée. Refuser cette restitution reviendrait à faire supporter au fournisseur une charge fiscale injustifiée, heurtant frontalement l’objectif fondamental de parfaite neutralité du système commun. Cette exigence de neutralité fiscale trouve un prolongement nécessaire dans le respect des principes fondamentaux encadrant les procédures de recouvrement et de remboursement.
II. L’encadrement de l’autonomie procédurale par les exigences d’effectivité et de proportionnalité
A. La protection de l’exercice effectif du droit au remboursement
Le principe d’effectivité interdit aux États membres de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne. Si la fixation de délais de forclusion raisonnables est admise pour garantir la sécurité juridique, ces derniers ne doivent pas vider le droit de sa substance. La situation fiscale d’un contribuable ne peut être indéfiniment remise en cause, mais la procédure doit rester accessible face à des éléments nouveaux.
Dans cette affaire, les informations nécessaires à la contestation de l’avis d’imposition n’ont été portées à la connaissance de la société qu’après l’expiration des délais. La juridiction souligne que « l’exercice du droit à déduction de la taxe par l’assujetti devient en pratique impossible ou, à tout le moins, excessivement difficile » dans ces conditions. Le respect du droit au remboursement prime alors sur le caractère définitif de l’acte administratif national lorsque celui-ci repose sur une réalité matérielle erronée.
B. Le caractère disproportionné du refus absolu de régularisation
Le principe de proportionnalité impose que les sanctions administratives n’excèdent pas ce qui est strictement nécessaire pour assurer la perception exacte de la taxe. Si les États peuvent sanctionner la négligence d’un assujetti, la sanction ne doit pas porter une atteinte excessive aux principes fondamentaux du droit communautaire. Un refus systématique de remboursement constitue une mesure dont la sévérité dépasse les objectifs légitimes de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscale.
La Cour affirme qu’une « sanction, consistant en un refus absolu du droit au remboursement de la taxe erronément facturée et indûment acquittée, apparaît disproportionnée ». L’administration doit privilégier des moyens moins radicaux pour inciter les contribuables au respect de leurs obligations déclaratives sans compromettre définitivement leurs droits financiers. Le droit à la correction des factures demeure un levier essentiel pour garantir que la taxe collectée corresponde toujours à la réalité économique sous-jacente.