Par un arrêt en date du 2 juin 2005, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur le manquement d’un État membre à ses obligations découlant de la directive 76/464/CEE relative à la pollution de l’eau. Cet arrêt offre une illustration de la rigueur avec laquelle la Cour contrôle la mise en œuvre du droit de l’environnement, même en présence d’un texte législatif à la rédaction atypique.
La Commission des Communautés européennes, après une procédure précontentieuse initiée dès 1991, a saisi la Cour d’un recours en manquement à l’encontre d’un État membre. Elle lui reprochait de ne pas avoir transposé et appliqué correctement la directive de 1976, qui vise à réduire la pollution des eaux par certaines substances dangereuses. Les griefs portaient principalement sur la violation de l’article 7 de la directive, qui impose d’adopter des programmes de réduction de la pollution, de fixer des objectifs de qualité pour les eaux et de mettre en place un régime d’autorisation préalable pour les rejets. L’État membre soutenait pour sa part avoir pris des mesures suffisantes et que ses obligations ne concernaient que les substances effectivement détectées dans ses eaux. Il se prévalait également de l’absence de délai de transposition explicite dans le texte de la directive.
Il était donc demandé à la Cour de déterminer si l’absence de délai explicite dans une directive dispense un État membre de son obligation de transposition, et si les mesures partielles et tardives adoptées par cet État satisfont aux exigences spécifiques de la directive en matière de programmes de réduction de la pollution, d’objectifs de qualité et d’autorisations préalables.
La Cour de justice constate le manquement de l’État membre au regard de l’article 7 de la directive. Elle juge d’abord que l’absence de délai de transposition n’autorise pas un État à différer indéfiniment sa mise en œuvre, qui doit intervenir dans un délai raisonnable. Ensuite, elle examine les griefs de la Commission et conclut que l’État membre n’a ni arrêté les programmes spécifiques requis, ni établi des objectifs de qualité pour l’ensemble des substances et des eaux concernées, ni mis en place un régime d’autorisation complet et conforme. La Cour rejette en revanche le grief tiré de la violation de l’article 9 de la directive, relatif à la non-aggravation de la pollution.
Cet arrêt confirme le caractère particulièrement contraignant des obligations environnementales pesant sur les États membres (I), tout en apportant des précisions sur le périmètre temporel et matériel de ces obligations (II).
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I. La confirmation du caractère contraignant et global des obligations de l’article 7
La Cour rappelle avec fermeté que les mécanismes prévus par l’article 7 de la directive constituent un ensemble cohérent et non dissociable, dont la mise en œuvre ne peut être ni partielle ni fragmentaire. Elle insiste ainsi sur l’exigence de programmes de réduction spécifiques et complets (A) et sur la nécessité d’un système articulé d’objectifs de qualité et d’autorisations préalables (B).
A. L’exigence de programmes de réduction de la pollution spécifiques et complets
La Cour réaffirme sa jurisprudence antérieure sur la notion de « programme » au sens de l’article 7. Elle énonce que « les programmes à établir en application de l’article 7 de la directive doivent être spécifiques ». Ce caractère spécifique implique qu’ils doivent constituer « une approche globale et cohérente, ayant le caractère d’une planification concrète et articulée couvrant l’ensemble du territoire national ». Ces programmes doivent ainsi concerner la réduction de la pollution causée par toutes les substances pertinentes dans le contexte national. La Cour en déduit que de simples mesures ponctuelles ou une réglementation générale ne sauraient tenir lieu de programme.
En l’espèce, la Cour constate que les mesures adoptées par l’État défendeur ne répondent pas à ces critères. Un règlement national de 1998, bien que fixant des objectifs pour le phosphore, est jugé insuffisant car il « ne comprend pas l’ensemble des eaux de surface du pays, les canaux n’étant pas concernés par les objectifs de qualité fixés par ce règlement ». De même, des règlements adoptés postérieurement à l’avis motivé de la Commission ne peuvent être pris en compte, l’existence du manquement s’appréciant à la date d’expiration du délai fixé par cet avis. L’approche de la Cour souligne qu’une transposition correcte exige une planification active et complète de la part de l’État, et non une simple réaction à des problèmes de pollution avérés.
B. L’indispensable établissement d’objectifs de qualité et d’un régime d’autorisation préalable
La Cour examine ensuite les deux autres piliers de l’article 7 : la fixation d’objectifs de qualité et le régime d’autorisation. Elle rappelle le lien intrinsèque entre ces deux éléments, le second dépendant entièrement du premier. Sans objectifs de qualité définis, les normes d’émission fixées dans les autorisations de rejet seraient privées de fondement. La Cour constate que l’État membre a failli sur les deux plans. D’une part, il n’a pas fixé d’objectifs de qualité pour un grand nombre de substances dangereuses. De simples observations sur la qualité des eaux, aussi étendues soient-elles, « n’équivaut pas à la fixation de tels objectifs de qualité ». La prétention de l’État membre de s’être fixé des objectifs futurs plus ambitieux est jugée inopérante, car elle ne le dispense pas « de l’obligation de se conformer, à tout le moins, aux exigences prescrites par ladite directive ».
D’autre part, et en conséquence de cette première défaillance, le régime d’autorisation est jugé incomplet. Plusieurs sources de pollution significatives, telles que les rejets d’égouts de certaines collectivités locales, les rejets d’installations maritimes ou encore les rejets prévisibles d’installations agricoles, n’étaient pas soumises à une autorisation préalable. La Cour rejette l’argument de l’État selon lequel son droit national, qui posait une interdiction générale de polluer, constituait une « mesure plus sévère » autorisée par l’article 10 de la directive. Elle juge que ce régime d’interdiction, assorti de clauses d’exonération et dépourvu de référence à des objectifs de qualité, n’offrait pas un cadre juridique « clair, précis et non équivoque » équivalent au système d’autorisation de la directive.
Si la Cour sanctionne fermement la mise en œuvre défaillante des mécanismes prévus à l’article 7, elle apporte également des clarifications importantes sur le cadre temporel de la transposition et sur l’interprétation d’autres dispositions de la directive.
II. La portée temporelle et matérielle des obligations de l’État membre précisée
La décision est également instructive en ce qu’elle se prononce sur deux points délimitant la portée des obligations des États membres : l’un concerne le délai de transposition lorsque la directive est silencieuse (A), l’autre l’interprétation de la clause de non-aggravation de la pollution (B).
A. L’affirmation de l’obligation de transposition dans un délai raisonnable
L’un des apports principaux de l’arrêt réside dans la réponse apportée à l’argument de l’État membre tiré de l’absence de délai de transposition dans la directive 76/464. La Cour pose un principe essentiel pour garantir l’effectivité du droit de l’Union. Elle juge que l’absence de délai explicite « ne signifie pas que les États membres soient libres d’adopter les mesures en vue de sa mise en œuvre dans des délais qu’eux seuls estimeraient adéquats ». Au contraire, une telle situation ferait obstacle à l’effet utile de la norme. La Cour en conclut que « une directive dont la transposition pourrait rester en suspens de façon indéfinie serait vidée de son contenu et privée de tout effet utile ». L’objectif de la directive, à savoir la protection du milieu aquatique, exige donc une transposition « dans un délai raisonnable ».
Pour apprécier ce délai raisonnable, la Cour prend en compte les dates que la Commission avait proposées aux États membres en 1976. Bien que non contraignantes, ces suggestions, non contestées à l’époque par l’État défendeur, ainsi que l’importance de la protection de l’environnement, suffisent à établir qu’un délai raisonnable était largement écoulé au moment de l’ouverture de la procédure précontentieuse. Cette solution pragmatique et finaliste assure la primauté et l’efficacité du droit de l’Union face aux lacunes textuelles.
B. La lecture stricte de la clause de non-aggravation de la pollution
Le dernier grief de la Commission portait sur la violation de l’article 9 de la directive, qui dispose que l’application des mesures prises ne peut avoir pour effet d’accroître la pollution. La Commission soutenait que le retard de transposition avait permis une dégradation de la qualité des eaux. La Cour rejette ce grief en adoptant une interprétation textuelle de la disposition. Elle relève que le libellé de l’article 9 « se réfère expressément aux ‘mesures prises en vertu de la […] directive' ». Par conséquent, l’obligation qu’il énonce « vise la situation dans laquelle les États membres ont effectivement adopté des mesures en vue de transposer la directive ».
Le manquement de l’État membre consistant précisément en une abstention ou une action très partielle, la condition d’application de l’article 9 n’était pas remplie. La Cour note cependant, dans un considérant qui a valeur d’avertissement, qu’un tel comportement pourrait être contraire à d’autres dispositions, notamment l’article 2 qui impose une obligation générale de prendre des mesures appropriées pour réduire la pollution. Toutefois, la Commission n’ayant pas suffisamment démontré ce point, le manquement n’est pas constaté sur ce fondement. Cette analyse rigoureuse montre que, même dans un contentieux en manquement, la Cour s’en tient aux moyens soulevés et aux preuves apportées, refusant d’étendre la portée d’une disposition au-delà de son champ d’application littéral.