Cour de justice de l’Union européenne, le 2 juin 2016, n°C-122/15

Par un arrêt en date du 2 juin 2016, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel par la Cour administrative suprême de Finlande, s’est prononcée sur l’applicabilité du principe de non-discrimination en fonction de l’âge à une législation fiscale nationale.

En l’espèce, un ressortissant finlandais percevant des revenus de pension de retraite s’est vu appliquer par l’administration fiscale de son pays un impôt additionnel de 6 % sur la fraction de ses revenus de pension dépassant un certain seuil. Estimant cette mesure discriminatoire au regard de l’âge, dans la mesure où les revenus salariaux de montant équivalent n’étaient pas soumis à cette imposition supplémentaire, il a contesté cette décision. Sa réclamation ayant été rejetée, il a saisi le tribunal administratif d’Helsinki, lequel a également rejeté son recours au motif que la législation fiscale poursuivait des objectifs d’intérêt public et que le droit de l’Union n’était pas applicable en matière de fiscalité directe. Le requérant a alors formé un pourvoi devant la Cour administrative suprême de Finlande. Cette dernière a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur le point de savoir si une telle réglementation nationale, instaurant une imposition spécifique aux revenus de pension, entrait dans le champ d’application de la directive 2000/78/CE relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. La question se posait de déterminer si une mesure fiscale, extérieure en apparence à la relation de travail, pouvait néanmoins être rattachée à la notion de « rémunération » au sens de la directive et ainsi relever de l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge.

À cette question, la Cour de justice répond par la négative, en jugeant que la directive 2000/78/CE doit être interprétée en ce sens qu’une réglementation nationale relative à un impôt additionnel sur les revenus tirés de pensions de retraite ne relève pas de son champ d’application matériel.

Si la Cour écarte l’application de la directive en se fondant sur une définition stricte de la notion de rémunération (I), sa décision consacre les limites de l’application du principe de non-discrimination en matière de fiscalité directe (II).

I. L’exclusion de la mesure fiscale par une interprétation stricte de la notion de rémunération

La Cour de justice justifie sa solution en distinguant nettement le régime de la rémunération, qui relève du droit de l’Union, de celui de l’imposition des revenus, qui demeure extérieur à la relation de travail. Elle s’appuie sur une conception restrictive de la rémunération (A), ce qui entraîne logiquement l’inapplicabilité des garanties prévues par la directive (B).

A. La déconnexion de l’impôt sur la pension de la relation de travail

La Cour rappelle tout d’abord que la notion de « rémunération » au sens de l’article 3 de la directive 2000/78/CE, bien que d’interprétation large, doit présenter un lien avec la relation d’emploi. Elle inclut les avantages, même futurs, octroyés par l’employeur au travailleur en raison de son emploi. Les prestations de retraite peuvent être qualifiées de rémunération lorsqu’elles sont fonction de l’emploi occupé par l’intéressé et se rattachent à la relation de travail passée.

Cependant, la Cour estime qu’une réglementation fiscale nationale portant sur le taux d’imposition de ces revenus ne saurait être assimilée à une condition de rémunération. Elle juge en effet qu’une telle mesure est « extérieure à la relation de travail et, partant, à la détermination, dans ce cadre, seul visé par la directive 2000/78, de la “rémunération” ». L’impôt en cause ne découle pas du contrat de travail ou d’un accord avec l’employeur mais d’une législation fiscale de portée générale. Son fait générateur n’est pas la relation d’emploi mais la perception d’un revenu d’un certain type et dépassant un certain montant, indépendamment de l’identité de l’ancien employeur ou des conditions spécifiques du travail exercé.

Cette qualification restrictive emporte une conséquence directe sur l’applicabilité du principe de non-discrimination.

B. L’inapplicabilité consécutive du principe de non-discrimination

En concluant que la législation fiscale litigieuse ne relève pas du champ d’application de la directive 2000/78/CE, la Cour de justice écarte par voie de conséquence l’application du principe de non-discrimination en fonction de l’âge tel que protégé par ce texte. Le raisonnement est implacable : puisque la mesure ne concerne ni les conditions d’accès à l’emploi, ni les conditions de travail ou de licenciement, ni la rémunération au sens de la directive, elle se situe hors du cadre général établi par le législateur de l’Union pour lutter contre les discriminations dans le domaine de l’emploi.

La Cour étend cette conclusion à l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle rappelle que, conformément à l’article 51 de la Charte, ses dispositions ne s’adressent aux États membres que « lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ». Or, la législation finlandaise relative à l’impôt sur le revenu ne met en œuvre aucune disposition du droit de l’Union en matière fiscale et, comme la Cour vient de l’établir, elle ne relève pas non plus du champ de la directive 2000/78/CE. Par conséquent, la Charte ne peut être invoquée pour contester la compatibilité de la loi nationale avec le principe de non-discrimination.

Cette décision, tout en étant techniquement fondée, illustre la portée limitée de la protection offerte par le droit de l’Union, laquelle reste conditionnée par les compétences d’attribution.

II. La consécration des limites du contrôle de l’Union en matière de fiscalité directe

L’arrêt réaffirme la compétence de principe des États membres en matière de fiscalité directe (A), ce qui a pour effet de circonscrire la protection contre les discriminations fondées sur l’âge aux seules situations régies par le droit de l’Union (B).

A. Le rappel du principe de l’autonomie fiscale des États membres

La solution retenue par la Cour de justice s’inscrit dans le cadre plus large de la répartition des compétences entre l’Union européenne et ses États membres. En l’état actuel du droit, la fiscalité directe ne fait pas l’objet d’une harmonisation générale et demeure une compétence quasi exclusive des États membres. L’Union ne dispose que de compétences d’attribution, limitées aux mesures nécessaires au fonctionnement du marché intérieur ou à des domaines spécifiques comme la fiscalité de l’épargne ou la coopération entre administrations fiscales.

En refusant de considérer un impôt national sur le revenu comme une composante de la « rémunération » au sens de la directive 2000/78/CE, la Cour se garde d’étendre de manière prétorienne le champ du droit social de l’Union à la politique fiscale des États. Une solution contraire aurait ouvert la voie à un contrôle de l’ensemble des législations fiscales nationales au regard des principes généraux du droit de l’Union, ce qui aurait constitué une ingérence significative dans des prérogatives souveraines. La décision témoigne ainsi d’une forme de retenue judiciaire, respectueuse des équilibres institutionnels prévus par les traités.

Cette autonomie fiscale a pour corollaire une limitation de la protection offerte par le droit de l’Union contre les discriminations.

B. La portée circonscrite de la protection contre les discriminations

Cet arrêt illustre parfaitement que le principe de non-discrimination, bien que fondamental, n’est pas un principe autonome et absolu en droit de l’Union. Son application est subordonnée à l’existence d’un lien de rattachement avec une situation régie par le droit de l’Union. En l’espèce, un traitement fiscal différencié, qui pourrait apparaître à première vue comme une discrimination fondée sur l’âge puisque les pensionnés sont par définition des personnes plus âgées, échappe au contrôle de la Cour de justice faute d’entrer dans le champ d’une compétence de l’Union.

La portée de la décision est donc double. D’une part, elle confirme que la protection contre les discriminations en matière d’emploi et de travail ne s’étend pas aux modalités d’imposition des revenus qui en sont issus, dès lors que ces modalités sont fixées unilatéralement par la loi fiscale. D’autre part, elle renvoie les justiciables à leur droit national pour contester de telles mesures. Le requérant ne pourra donc chercher une protection que sur le fondement de la constitution finlandaise ou des conventions internationales relatives aux droits de l’homme qui ne dépendent pas du droit de l’Union, comme la Convention européenne des droits de l’homme. La solution souligne ainsi la fragmentation de la protection des droits fondamentaux en Europe.

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Hassan KOHEN
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